Comment élaborer une politique européenne en matière de défense spatiale ?

Nathalie Errard, Senior Vice-présidente des Affaires européennes et OTAN, Airbus

Le domaine de l’espace fait aujourd’hui partie des grandes réussites de l’Europe qui a su dès les années 60 fédérer ses efforts pour accéder aux compétences stratégiques qui étaient à l’époque au cœur de la rivalité entre l’URSS et les États-Unis. Ces investissements initiaux en matière de lanceurs et de satellites ont connu leur premier aboutissement en 1975 avec la création de l’Agence spatiale européenne (ESA) et le lancement du programme Ariane. En dépit du succès de ce dernier, ce n’est qu’en 2007 que l’espace devient une politique reconnue de l’Union européenne dans le traité de Lisbonne 1.

 

En partenariat avec l’ESA, l’UE a lancé à partir du début des années 2000 une série de grands programmes destinés à développer une utilisation autonome de l’espace, qu’il s’agisse de navigation (Galileo et Egnos) ou d’observation (Copernicus). Structurés et financés au travers de planifications pluriannuelles, dont la dernière couvre la période 2021-2027, ces programmes seront bientôt rejoints par celui de constellation destinée à la connectivité que la Commission vient de mettre sur la table. À destination d’abord civile, ces systèmes satellitaires revêtent pour l’UE une dimension de souveraineté. Ils fournissent en outre des services capables de répondre à des besoins de sécurité.

 

La cloison entre civil et militaire en matière spatiale est en réalité assez artificielle. Dès l’origine, répondant à des objectifs de nature stratégique, les programmes spatiaux ont bénéficié de synergies à la fois politiques et technologiques, qu’il s’agisse des lanceurs avec la force de dissuasion française, de l’imagerie satellitaire pour le renseignement ou des télécommunications spatiales sécurisées.

 

À ces capacités traditionnelles, s’en ajoute aujourd’hui une autre, celle de la surveillance de l’espace, qui renvoie à la prévention de la guerre dans l’espace. Rendu critique par l’encombrement des orbites satellitaires, ce besoin appelle des réponses de régulation, mais également de moyens. Ceux-ci relèvent pour partie du champ de la défense : radars de trajectographie, satellites durcis, etc.

 

Les principaux outils spatiaux à finalité exclusivement militaire sont encore entre les mains des ministères de la défense de quelques États membres de l’UE. Mais la montée en puissance de celle-ci au travers de son programme spatial et le progrès accéléré des performances des capacités à destination civile autorisent de nouvelles ambitions pour une politique européenne de défense spatiale.

 

La Commission européenne, encouragée à cet égard par la nouvelle donne liée à la guerre en Ukraine, ne fait pas mystère de ses intentions de faire de l’espace un axe de l’autonomie stratégique de l’UE en matière de défense. La Boussole stratégique adoptée en mars dernier consacre un développement à ce sujet2 et lance la rédaction d’une stratégie spatiale pour la défense et la sécurité.

 

Plus concrètement, on observe déjà une forme de fertilisation croisée entre les capacités civiles et militaires :

 

  • Le système de navigation Galileo off re un service « Public Restricted » (PRS) réservé à des usages gouvernementaux.
  • La qualité et la résolution des images fournies par la constellation commerciale Pleiades Neo conçue et opérée par Airbus en font une source d’information utile pour les états-majors et en particulier pour celui de l’UE.
  • Le projet de constellation de connectivité proposé par la Commission a pour double objectif de fournir un service d’accès commercial et une capacité de communications sécurisées à usage gouvernemental « GovSatCom ».
  • D’une façon plus générale, on observe que les nouveaux systèmes spatiaux, pourvoyeurs de données dont la croissance est exponentielle, sont de plus en plus dépendants de la capacité à traiter ces données efficacement et donc de segments sol qui sont par nature duaux.

 

Au total, on voit que les éléments nécessaires à la mise en œuvre d’une politique spatiale de défense au niveau de l’Union Européenne sont en place. Les compétences technologiques et industrielles requises existent aujourd’hui en Europe. Et, dans ce domaine comme dans d’autres, on sait que l’Europe est l’échelon obligé pour apporter une réponse à la hauteur de l’enjeu. C’est en définitive de la capacité des États à accepter d’en faire un objectif partagé et à mutualiser leurs investissements au travers de projets proposés dans le cadre de l’UE que dépendra cette réponse.

1 Article 189 TFUE : « L’UE peut promouvoir des initiatives communes, soutenir la recherche et le développement technologique et coordonner les efforts nécessaires pour l’exploration et l’utilisation de l’espace ».

2 « Étant donné que les moyens spatiaux de l’UE sont sous contrôle civil, et compte tenu de l’importance du programme spatial de l’UE, il est urgent de compléter la stratégie spatiale actuelle et de renforcer les dimensions “sécurité et défense” de l’Union dans le domaine spatial. »

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