Laurence Borie-Bancel, Présidente du Directoire de CNR
L’Union européenne a l’ambition de devenir climatiquement neutre d’ici 2050 et de réduire ses émissions de 55 % d’ici 2030. Le paquet « Fit for 55 » de juillet dernier pose les conditions de réalisation de cet objectif, notamment par un soutien au déploiement des énergies renouvelables. CNR (Compagnie Nationale du Rhône), premier producteur français d’énergie 100 % renouvelable, est un acteur du « Green Deal » sur les territoires et œuvre chaque jour pour la mise en œuvre de la transition écologique. La nouvelle réalité géopolitique (et celle du marché de l’énergie) oblige l’UE à accélérer radicalement la transition vers une énergie propre et à accroître son indépendance énergétique vis-à-vis des combustibles fossiles. Ce contexte explique en partie la focalisation des débats autour des sources d’énergies aux grandes capacités de développement comme l’éolien ou le solaire. Si leur développement est essentiel, le fait de résumer le sujet du mix électrique à ces seules énergies me semble réducteur.
L’hydroélectricité, grande oubliée des débats européens actuels, est pourtant la première des énergies renouvelables (EnR), historiquement comme en termes de capacité de production. En 2021, l’hydroélectricité a permis de produire près de 58,4 TWh, couvrant environ 12,4 % de l’électricité consommée en France. En Europe, elle couvre 16 % de la production de l’électricité. Il s’agit de la deuxième source de production électrique française et la troisième européenne et mondiale ! L’hydroélectrique présente de nombreux atouts. Elle est indispensable pour l’équilibre du réseau électrique. Elle participe à environ 50 % de l’ajustement en énergie et joue donc un rôle primordial pour le développement des autres sources d’EnR. Elle est d’autant plus essentielle aujourd’hui que, du fait de la crise actuelle et de l’augmentation importante du prix des matières premières, de nombreux projets éoliens et solaires rencontrent des difficultés à émerger. Dans un contexte où l’acceptabilité des EnR constitue l’un des premiers freins à la transition énergétique, cette énergie mature peut servir d’inspiration pour développer des modes de gouvernance et de développement d’actifs de production acceptables. Sur le Rhône par exemple, nos aménagements hydroélectriques ont été construits et sont gérés de manière concertée avec les territoires que nous intégrons totalement, en permettant de produire de l’électricité mais aussi la navigation, l’irrigation des terres agricoles et la restauration écologique du fleuve. Le modèle Rhône contribue ainsi à l’aménagement durable des territoires et pourrait être dupliqué à d’autres énergies renouvelables et dans d’autres pays européens. Enfin, l’hydroélectricité est une filière industrielle française et européenne d’excellence, dynamique, et source d’emplois qui mérite toute l’attention des pouvoirs publics pour se développer, se moderniser et s’exporter au niveau mondial.
La filière de l’hydroélectricité est confrontée à de nombreux enjeux que le débat européen gagnerait à évoquer afin d’assurer sa pérennité. Parmi eux, les enjeux de maintien du parc de production hydroélectrique, liés aux questions de sûreté et de performance. Les enjeux de développement passent notamment par l’optimisation et l’adaptation des aménagements devant tenir compte d’une saisonnalité croissante de la ressource en eau dans un contexte de dérèglement climatique. Ce développement se heurte également à des contraintes réglementaires et à des enjeux économiques et de gouvernance pour améliorer les modèles qui permettent de garantir une hydroélectricité capable de rendre des services aux territoires, au réseau, et de contribuer ainsi à notre transition énergétique et écologique.
Pour l’ensemble de ces raisons et bien d’autres, je suis convaincue de la pertinence d’accorder aux actifs hydroélectriques le statut de projet d’intérêt public. Cette reconnaissance permettrait de rendre ses lettres de noblesse à cette énergie qui concilie enjeux sociétaux, économiques et de préservation de la biodiversité, et de reprendre sa place dans le mix énergétique européen.