Jos Delbeke
Directeur Général Action pour le Climat à la Commission européenne
La COP21, qui va réunir à Paris 195 pays, du 30 novembre au 11 décembre, envisage d’obtenir, pour la première fois en plus de vingt ans de négociations aux Nations Unies, un accord universel et juridiquement contraignant sur le climat. Le but étant de contenir le réchauffement climatique en dessous des 2 °C. L’enjeu est de taille. Comme le dit le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon : « Il n’y a pas de plan B car il n’y a pas de planète B ». Jos Delbeke, directeur général Action pour le Climat à la Commission européenne est revenu pour nous sur l’enjeu de la Conférence de Paris.
L’échec de la Conférence de Copenhague est encore dans tous les esprits. En quoi l’Union européenne a-t-elle contribué à un changement de méthode en vue de la Conférence de Paris et quels enseignements a-t-elle tiré des précédentes COP ?
Jos Delbeke : Le monde a changé depuis 2009, de même que le contexte des négociations internationales sur le climat. À l’approche de la Conférence de Paris, nous avons assisté à un élan politique marqué en faveur d’un accord mondial ambitieux, mais aussi à une vague d’initiatives portées par les villes, les régions, les entreprises et les citoyens. Les graines du changement prennent déjà racine. La Conférence peut les aider à germer endonnant une nouvelle impulsion à la transition vers des économies et des sociétés produisant peu d’émissions et résistant mieux au changement climatique.
Les « contributions nationales » envisagées par divers pays en préparation de la COP21 témoignent bien de cette dynamique. À ce jour, 158 pays, représentant plus de 90 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ont dévoilé leurs plans pour participer à l’effort global de réduction des émissions. Cela va bien au-delà des contributions actuellement réalisées dans le cadre de la deuxième période d’engagement du Protocole de Kyoto : sous celui-ci, seuls 35 pays, représentant environ 10 % des émissions mondiales, ont actuellement des objectifs en matière de réduction des émissions. Nous nous éloignons du schéma des actions isolées pour nous rapprocher d’un programme d’action mondial complet et véritablement collectif.
Toutefois, même si ces contributions initiales font une grande différence, elles ne permettront pas de contenir le réchauffement climatique mondial sous la barre des 2 °C (le seuil internationalement convenu au-dessus duquel le changement climatique pourrait être catastrophique). C’est pourquoi la Conférence de Paris doit aboutir à un cadre adapté aux objectifs futurs et faire en sorte que les pays poursuivent leurs efforts, et les intensifient.
Pour l’Union européenne, cela implique la prise en compte des trois éléments clés suivants. Premièrement, nous devons définir un objectifopérationnel à long terme, c’est-à-dire une vision concertée du résultat souhaité. L’Union européenne voudrait aboutir à une réduction de 50 % des niveaux de 1990 d’ici 2050. Deuxièmement, pour nous assurer que nous sommes sur la bonne voie, il faut que les pays se réunissent régulièrement, tous les cinq ans, pour faire le point sur les objectifs en termes d’émissions et les renforcer à la lumière des derniers progrès scientifiques. Troisièmement, nous avons besoin de règles de transparence et de fiabilité strictes pour assurer le suivi de la réalisation des objectifs, et veiller à ce que les partenaires honorent leurs engagements.
Outre la question de la réduction des émissions, la Conférence de Paris devra également traiter d’autres points essentiels, notamment de l’adaptation aux impacts du changement climatique et de la mobilisation des financements publics et privés. La tâche sera difficile, mais l’Union européenne est déterminée à collaborer avec l’ensemble des partenaires pour conclure à Paris l’accord mondial équitable et ambitieux dont le monde a besoin, et qu’il mérite.
L’Union Européenne a choisi de dévoiler dès septembre ce que seront les bases de la négociation de l’Union européenne et de parler d’une seule voix à la COP21. L’un des piliers de l’accord portera sur les questions financières : le Fonds vert et la transformation de la finance mondiale. Comment l’Union européenne se positionnet-elle sur ce volet financier et quelle place peut avoir, dans le dispositif, le marché européen du carbone ?
J. D. : Le volet financier représente une part importante des résultats attendus de la COP21. Les investissements nécessaires à la transition vers une économie mondiale à faibles émissions de carbone sont substantiels et ne peuvent être obtenus sans le déblocage de financements privés. Il faut donc améliorer les conditions d’investissement dans tous les pays.
L’Union européenne y travaille, en interne et avec des pays partenaires. Nous voulons que l’accord de Paris envoie ce signal clair aux investisseurs : dans tous les pays, les responsables politiques s’aligneront sur l’objectif des 2 °C. L’engagement politique national est souvent l’un des principaux facteurs de changement, mais les pays les plus pauvres auront également besoin d’un soutien international. L’Union européenne demeure résolue à aider les pays les plus vulnérables à prendre des mesures pour limiter le changement climatique et s’y adapter.
L’Union européenne et ses États membres sont les principales sources de financement de la lutte contre le changement climatique (14,5 milliards d’euros débloqués en 2014) et vont poursuivre leurs efforts pour assumer leur part de l’objectif des pays développés, qui est de mobiliser conjointement 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, auprès de diverses sources publiques et privées.
Les pays de l’Union européenne ont également contribué à près de la moitié de la somme promise au Fonds vert pour le climat (4,7 milliards de dollars). D’ici 2020, le montant des subventions accordées par l’Union européenne aux pays en voie de développement dans le cadre de la lutte contre le changement climatique passera à plus du double (2 milliards d’euros par an), et la Banque européenne d’investissement débloquera la même somme. Des États membres se sont également engagés à augmenter les financements.
Les bénéfices sur les enchères du système européen d’échange de quotas d’émission (EU-ETS) représentent l’une des nombreuses sources de financement public que les États membres pourraient mobiliser. La récente proposition de la Commission européenne pour la révision du système encourage activement les États-membres à exploiter ces bénéfices pour financer la lutte contre le changement climatique dans les pays tiers vulnérables, notamment pour les aider à s’adapter aux impacts.
Les objectifs « climat » affichés par la Commission européenne pour l’Union européenne sont définis. Mais l’Union européenne dispose-t- elle d’une stratégie industrielle et financière cohérente avec ces objectifs alors même que les tiraillements, voire les divergences, entre États membres sont nombreux ?
J. D. : Le cadre pour le climat et l’énergie à l’horizon 2030 a été adopté à l’unanimité par les dirigeants de l’Union européenne en octobre 2014. Il définit trois objectifs clés pour 2030 : réduire les émissions domestiques d’au moins 40 % par rapport au niveau de 1990, augmenter la part des énergies renouvelables à 27 % minimum de la consommation d’énergie dans l’UE, et améliorer l’efficacité énergétique d’au moins 27 %. Leur réalisation nécessite des efforts continus et des politiques strictes à la fois au niveau européen et national.
La bonne nouvelle, c’est qu’une lutte ambitieuse contre le changement climatique est parfaitement compatible avec la nécessité d’assurer croissance et emploi. L’expérience européenne montre que la réduction des émissions peut aller de pair avec la croissance économique. Les émissions de gaz à effet de serre en Europe ont diminué de 23 % entre 1990 et 2014, tandis que notre PIB a augmenté de 46 % dans le même temps. Ce « découplage » s’est produit dans tous les pays de l’Union.
Pour l’Union européenne, la transition vers une économie à faible émission de carbone est un élément clé de la stratégie européenne de l’énergie lancée en février dernier. L’objectif est de garantir une énergie sûre, abordable et respectueuse du climat aux entreprises et aux foyers européens en prenant en compte cinq dimensions étroitement imbriquées : la sécurité de l’approvisionnement, l’intégration du marché de l’énergie, l’efficacité énergétique, la décarbonisation, et la recherche et l’innovation.
Le système ETS de l’Union continuera à jouer le rôle clé de principal instrument réglementaire permettant d’assurer la réduction à moindre coût des émissions de l’industrie et du secteur de l’énergie. En établissant un signal de prix du carbone, il crée des conditions de concurrence équitable pour les entreprises dans toute l’Europe. Il vise à encourager l’innovation et à faire en sorte que les industries européennes restent compétitives sur les marchés internationaux.
Le cadre pour le climat et l’énergie à l’horizon 2030, adopté par l’Union européenne, fait clairement état des différences qui existent en son sein. Conformément au système ETS, il est prévu de mettre en place plusieurs mécanismes de redistribution des quotas et des bénéfices sur les enchères afin de soutenir les États membres à faibles revenus dans la modernisation de leur secteur de l’énergie, par exemple via la création d’un Fonds de modernisation. De même, dans les secteurs non soumis au système ETS, des objectifs de réduction des émissions seront établis en tenant compte des différences de niveau de revenus entre les États membres, tout en autorisant ces derniers à échanger leurs quotas.
L’importance de la lutte contre le changement climatique et des investissements qui y sont associés est également reflétée dans le budget de l’Union européenne : au moins 20 % du budget 2014-2020 devrait être dépensé dans ce domaine. Enfin, je tiens à souligner que notre cadre pour le climat et l’énergie est souvent utilisé à titre d’exemple quand il s’agit de faire face aux différences entre les pays et de parvenir à instaurer des instruments politiques axés sur la rationalisation des coûts.
Questions de Clotilde Warin, rédactrice en chef
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