Par le Pr Andreas Theophanous, Président du Centre chypriote pour les affaires européennes et internationales, et Chef du département de la Politique et de la Gouvernance de l’Université de Nicosie.
English version below
Il est indéniable que l’UE est actuellement confrontée à de multiples défis. Dire que, en plus de l’euroscepticisme, nous sommes également confrontés au populisme, qui peut parfois conduire à des issues dangereuses, n’est pas une exagération. Pourtant, malgré de nombreuses critiques sur plusieurs thèmes, l’UE reste l’un des endroits les plus attractifs, sinon le plus attractif, au monde pour vivre. En conséquence, l’approche critique exprimée dans cet article a pour objectif principal de contribuer modeste ment à des actions qui peuvent rendre l’UE encore meilleure, ainsi qu’une entité politique internationale efficace qui inspire crédibilité et respect.
Je divise l’histoire de l’UE en trois périodes. La première s’étend du traité de Rome en 1958 jusqu’à la fin de la guerre froide et la réunification de l’Allemagne. La deuxième va du traité de Maastricht jusqu’à l’introduction de l’euro en 1999. Et la troisième, du début du nouveau siècle jusqu’à aujourd’hui.
Les objectifs fixés lors de la première période ont été plus ou moins atteints. Il y a eu une guérison des blessures passées, une reconstruction économique a été réalisée, l’Europe occidentale a connu une période de paix et de prospérité sans précédent, et l’avenir semblait prometteur. La Communauté européenne est devenue l’Union européenne en 1991, l’Allemagne a été réunifiée sans guerre, l’Union soviétique s’est décomposée, et le communisme s’est effondré.
Avec le traité de Maastricht, un objectif majeur était d’atteindre une monnaie commune, l’euro. Cet objectif aussi a été mis en œuvre. Il faut cependant noter qu’il y a eu une forte réaction de la part de la Grande-Bretagne, qui a choisi de rester en dehors de la zone euro bien qu’elle remplissait les critères. Quelques années plus tard, la Grèce est devenue membre de la zone euro, bien qu’il soit encore discutable que les critères aient été remplis. C’était une époque où des voix de gauche à travers l’Europe asso ciaient l’intégration européenne à la désintégration sociale. C’est également à cette époque que la structure de la zone euro a été critiquée. Dans les années 1990, nous avons également assisté à la désintégration violente de la Yougoslavie. L’UE aurait pu jouer un rôle plus constructif dans cette crise majeure.
Le bilan de l’UE depuis le début du XXIe siècle a été plus problématique. La crise économique n’a pas été bien gérée. Les politiques de la Troïka ont été inutilement sévères, créant plus de problèmes qu’elles n’en résolvaient. Dans les cas de la Grèce et de Chypre, cette sévérité était sans précédent. Et il ne serait pas exagéré de dire qu’il n’y avait ni solidarité ni sensibilité sociale. Qu’il était nécessaire de procéder à une restructuration et à une rationalisation économiques, il n’y a aucun doute à ce sujet. Cependant, cela aurait pu être fait avec un coût social moindre. Après tout, dans les deux cas, il y avait à la fois des facteurs endogènes et exogènes à l’origine des crises.
La crise de la Covid-19 a été un point tournant supplémentaire pour l’UE. Il a été compris que les conséquences auraient été dévastatrices si l’UE avait insisté sur les termes et conditions du Pacte de stabilité. En avril 2020, lors de la réunion de l’Eurogroupe, des décisions ont été prises pour un assouplissement monétaire et fiscal. En même temps, il y a eu une déclaration admettant que la manière dont la crise de l’Euro a été gérée aurait pu être meilleure.
Le Brexit a été un autre revers pour l’UE. Pendant la crise économique, plusieurs acteurs et analystes ont exprimé l’avis que la Grèce finirait par se retirer de la zone euro. Cela ne s’est pas produit, malgré les politiques très dures de la Troïka et le lourd coût socio-économique imposé au peuple grec. Au lieu de cela, nous avons eu le Brexit. Ce n’était pas un bon résultat – ni pour la Grande-Bretagne ni pour l’UE. Il est essentiel de comprendre les causes de ce développement. Inévitablement, celles-ci incluent les perceptions britanniques de l’Union, ainsi que la manière dont la crise de l’euro a été gérée. Avec le temps, la Grande-Bretagne a été un partenaire difficile; bien qu’il soit utile. Ce n’est pas un développement positif que, aujourd’hui en Allemagne, une partie de la population considère le retrait du pays de l’Union comme une option.
On peut également soulever la question de la crise de l’immigration. La plupart des gens estiment que cette question n’est pas abordée de la meilleure manière possible. Et inévitablement, cela conduit à des répercussions socio-économiques et politiques.
La guerre en Ukraine a été un grand revers pour l’UE. Elle a aujourd’hui moins de sécurité et moins de prospérité. Je n’ai aucun doute que l’invasion russe et la guerre auraient pu être évitées. Avec un leadership européen fort, un accord aurait pu être atteint, qui aurait été bien meilleur que la situation actuelle. Un tel accord aurait pu prendre en considération les préoccupations de sécurité de toutes les parties concernées.
En même temps, je ne peux éviter la tentation de mentionner que l’UE ne parvient pas à adopter les mêmes normes en relation avec l’invasion russe de l’Ukraine et l’occupation turque en continu de la partie nord de Chypre. Nous devrions rappeler que la République de Chypre est un État membre de l’Union depuis le 1er mai 2004.
Compte tenu des développements pertinents, quels sont les problèmes auxquels l’UE est confrontée?
1) Il est essentiel de réfléchir à un nouveau modèle socio-économique qui offre plus d’opportunités aux gens et réduit également les inégalités entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci.
2) Il ne fait aucun doute qu’une politique environnementale est impérative. Néanmoins, étant donné que la transition vers l’économie verte entraîne un énorme coût de transaction, il est essentiel de revoir comment cela sera promu de la meilleure manière possible. En effet, la précipitation à remplacer les hydrocarbures sans actes d’équilibrage social peut s’avérer contre-productive.
3) L’UE devrait réévaluer le dilemme entre approfondissement et élargissement. La réponse à ce dilemme dépend des priorités de l’Union.
4) Il est de la plus haute importance de réfléchir à une nouvelle architecture de sécurité européenne. Étant donné que la position géographique de la Russie ne peut changer, cette question doit éventuellement être abordée en conséquence.
5) L’immigration est une question complexe et nécessite une approche politique globale. En même temps, il est important pour l’UE d’envisager des moyens qui conduiraient à la réduction des flux migratoires. En effet, la paix, la reconstruction et le développement en Afrique et au Moyen-Orient seraient des étapes stratégiques majeures dans la bonne direction. Le défi pour l’UE est de trouver des moyens de contribuer à ce résultat souhaité.
6) L’UE a été confrontée à des problèmes liés à des déficits démocratiques. Il est essentiel que ceux-ci soient abordés efficacement.
7) Enfin, mais non des moindres, il est important que l’UE accorde une attention particulière aux questions de responsabilité publique et de légitimation. En effet, l’UE est à un carrefour. Elle doit agir de manière à rétablir sa vitalité et sa crédibilité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
CONFRONTATION-EUROPE-138-210×297-WEB-34-35CYPRUS – THE EU AT A CROSSROAD
By Professor Andreas Theophanous, President of the Cyprus Center for European and International Affairs and Head of the Department of Politics and Governance of the University of Nicosia
Undoubtedly, the EU currently faces multiple challenges. It will not be an exaggeration to say that in addition to euroscepticism we are also faced with populism which at times may lead to dangerous outcomes. Yet, despite much criticism on multiple themes, the EU remains one of the most desirable, if not the most desirable place, in the world to live in. Consequently, the critical approach that is expressed in this article has as a major objective to modestly contribute to actions which can make the EU an even better place, as well as an effective international political entity which inspires credibility and respect.
I divide the history of the EU into three periods. The first one from the Treaty of Rome in 1958 until the end of the Cold War and the reunification of Germany. The second one from the Treaty of Maastricht until the intro- duction of the Euro in 1999. And the third one from the beginning of the new 21st century until today.
The objectives set in the first period were more or less fulfilled. There was healing of past wounds, economic reconstruction was
achieved, Western Europe had an unprecedented period of peace and prosperity and the future seemed promising. The European Community by 1991 had become the European Union, Germany was reunified without war, the Soviet Union disintegrated and communism collapsed.
With the Treaty of Maastricht, a major goal was to achieve a common currency, the Euro. This objective too was implemented. It should be noted though, that there was a strong reaction by Britain, which opted to stay out of the Eurozone although it fulfilled the criteria. Some years later Greece became a member of the Eurozone, although it is still questionable
whether it fulfilled the criteria. This was a time when there were voices from the Left through- out Europe that European integration was as- sociated with social disintegration. It was during this time that there was also criticism for the architecture of the Eurozone. In the 1990’s we also witnessed the violent disintegration of Yugoslavia. The EU could have played a more constructive role in this major crisis.
The record of the EU since the beginning of the 21st century had been more problematic. The economic crisis was not handled well. The policies of the Troika were unnecessarily harsh, creating more problems than those resolved. In the cases of Greece and Cyprus, this harshness was unparalleled. And it would not be an exaggeration to say that there was no solidarity nor social sensitivity. That there was a need for economic restructuring and rationalisation there is no doubt about it. However, this could have been done with a lower social cost. Afterall, in both cases there were both endogenous and exogenous factors for the crises.
The Covid-19 crisis was an additional turning point for the EU. It was understood that the consequences would have been devastating if the EU insisted on the terms and conditions of the Stability Pact. In April 2020 at the Eurogroup meeting, decisions were made for monetary and fiscal easing. At the same time there was a statement admitting that the way the Eurocrisis was managed could have been better.
Brexit was another setback for the EU. During the economic crisis, several actors and analysts expressed the view that eventually Greece would withdraw from the Eurozone. This did not happen, despite the very harsh policies of the Troika and the heavy socioeconomic cost imposed on the Greek people.
Instead, we had Brexit. This was not a good outcome – neither for Britain nor the EU. It is essential to understand the causes of this development. Inevitably, these include British perceptions about the Union as well as the way the Eurocrisis was dealt with. Over time, Britain was an uneasy partner; at the same time though a useful one. It is not a positive development that today in Germany part of the population considers the withdrawal of the country from the Union as an option.
One can also raise the issue of the immigration crisis. Most people feel that this issue is not addressed in the best possible way. And inevitably this leads to socioeconomic and political repercussions.
The war in Ukraine was a great setback for the EU. The EU today has less security and less prosperity. I have no doubt that the Russian invasion and the war could have been prevented. With strong European leadership, an agreement could have been reached, which would have been much better than the current situation. Such an agreement could have taken into consideration the security concerns of all parties involved.
At the same time, I cannot avoid the temptation to mention that the EU fails to adopt the same standards in relation to the Russian invasion of Ukraine and the continuing Turkish occupation of the northern part of Cyprus. We should recall that the Republic of Cyprus is a member state of the Union since May 1, 2004.
Given the relevant developments, what are the issues that the EU is facing?
1) It is essential to think about a new socioeconomic model which provides more opportunities to people and also reduces inequality between and within countries.
2) There is no doubt that an environmental policy is imperative. Nevertheless, given
that the transition to the green economy entails a huge transaction cost it is essential to revisit how this will be promoted in the best possible way. Indeed, the hastiness to replace hydrocarbons without socially balancing acts may prove counterproductive.
3) The EU should reassess the dilemma between deepening and widening. The answer to this dilemma depends on the priorities of the Union.
4) It is of utmost importance to think about a new European security architecture. Given that the geographical position of Russia cannot change, eventually this issue must be addressed accordingly.
5) Immigration is a complex issue and requires a comprehensive policy approach. At the same time, it is important for the EU to consider ways which would lead to the reduction of migrant flows. Indeed, peace,
reconstruction and development in Africa and the Middle East would be major strategic steps in the right direction. The challenge for the EU is to find ways to contribute toward this desired outcome.
6) The EU has been facing issues relating to democratic deficits. It is essential that these are addressed effectively.
7) Last but not least, it is important that the EU pays particular attention to issues of public accountability and legitimization.
Indeed, the EU is at a crossroad. It must act in ways which reestablish its vitality and credibility internally and externally.
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