Édouard-François de LENCQUESAING
Président de l’EIFR (European Institute of Financial Regulation), trésorier de Confrontations Europe
Comment appréhender le Brexit ? S’agit-il d’une « grosse erreur » ou d’une nécessaire « sonnette d’alarme » à même de réveiller une Europe pour le moins désorientée ? Loin de sonner le glas des initiatives communes, le vote britannique de juin dernier doit permettre à l’Europe d’aller de l’avant. À 27, sans doute désormais.
Le Brexit est probablement une « grosse erreur » que dans sa sagesse le peuple anglais devra d’une manière ou d’une autre « réparer » dans l’intérêt bien compris (par elles) des jeunes générations. Une décision aussi structurante implique en effet un réel engagement démocratique, qui ne se matérialise que rarement par une simple majorité.
Mais il faut le reconnaître le Royaume-Uni vient de rendre un réel service aux 27 États membres : un « wake-up call » ! Quand Jean-Claude Juncker présentait sa Commission comme celle de la dernière chance, ce n’était pas qu’une figure de style. Nous y sommes, il faut donc se réveiller. À la différence de nombreux « politiques », assumons notre responsabilité enracinée dans le bon sens de la société civile. Il ne s’agit pas d’inventer de nouvelles institutions ou de nouveaux traités. La dernière crise a déjà fait progresser très significativement l’Europe. Il s’agit d’abord d’être responsables, d’assumer les projets et d’user des outils déjà démocratiquement disponibles. Le petit jeu de contestation « à domicile » des décisions prises collectivement est une des causes premières de notre échec.
Les moyens d’action ne manquent pas ! Il faut donc utiliser à plein les institutions existantes, y compris Schengen. Les frontières communes sont connues, il suffit de décider du budget commun pour en défendre les points faibles. Il faut aussi assumer et redonner du lustre à nos valeurs communes – il suffit de se référer à notre histoire pour comprendre que ce que nous avons en commun est un réel différenciateur par rapport aux pays non européens. Ce sont ces valeurs qui fondent le projet européen face à la nouvelle gouvernance d’un monde multipolaire. La profonde culture européenne d’économie sociale de marché sera un des facteurs de succès essentiel d’une mondialisation raisonnée. Il faut enfin valoriser notre diversité comme facteur d’enrichissement et d’efficacité économique. L’Union des marchés des capitaux (UMC) doit ainsi être revisitée selon l’approche de « poxunion », c’est-à-dire d’une union de proximité qui saura adapter les besoins de marché à la réalité culturelle des entreprises et épargnants des différents États membres en s’appuyant sur un réseau de centres financiers situés à proximité des utilisateurs.
Bien entendu, face à la compétitivité mondiale, il faut concevoir et développer un projet de création de valeur pour tous les citoyens européens. La masse critique d’un marché intérieur profond et interopérable est une condition qui s’impose d’évidence, d’ailleurs plus pour nos PME que pour les grands groupes, et cette condition n’est, ni en Chine ni aux États-Unis, la résultante d’une simple zone de libre-échange. Ce marché intérieur est un acte politique qui a commencé par la mise en place d’une monnaie unique mais qui ne peut se prolonger que par une politique économique cohérente. Le cadre ainsi assumé, la priorité n’est pas à la règle – la Commission ne doit pas se limiter à émettre des directives – mais à la stratégie. Et c’est là qu’une révolution culturelle essentielle est nécessaire pour formuler la mission adéquate de la Commission. Son action doit s’enraciner dans une réelle dynamique stratégique autour d’un nombre limité d’axes de politiques industrielles : énergie, numérique, infrastructures… et surtout l’infrastructure financière, ce qui peut la conduire à légiférer. La finance en effet conditionne de manière souveraine le modèle de croissance et de développement. L’absence de vision stratégique en la matière conduit à une perte de puissance de la finance européenne (les banques américaines sont en passe de financer 50 % des marchés européens !) et la mise en œuvre tardive de mécanismes imposés par les choix politiques force à un rééquilibrage entre le financement crédits et marchés, comme par exemple la titrisation. Cette approche résolument stratégique ne peut s’incarner, sous la pression des nouvelles technologies, que dans le réel. C’est là qu’une autre révolution s’impose nécessitant une véritable articulation de confiance et de responsabilité entre la société civile et la sphère politique. La société civile se doit, au-delà des intérêts catégoriels, d’impulser les conditions équilibrées de création de valeur afin que la sphère publique en induise des incitations adéquates et un cadre réglementaire proportionné (smart regulation).
Oui, que l’on ne s’y trompe pas, le Brexit est un accélérateur d’Europe, face à un monde en ébullition technologique et identitaire. Et si le défi reste d’une extrême difficulté, il n’y a pas d’alternative. Encore faut-il être responsable et pédagogue.