Philippe Herzog, Président-fondateur de Confrontations Europe
« Confrontations Europe » est un acteur de la société civile qui œuvre à construire l’Europe autrement : notre ambition est de former société en Europe. Pour Claude et moi ce sera le départ d’une nouvelle vie. En 1992, à la veille de la ratification du traité de Maastricht, l’association tout juste créée réunit 400 personnes à la Maison de la Chimie et prend l’engagement de construire l’Europe par-delà les oui et les non. Si elle compte dans ses fondateurs des communistes critiques et des socialistes rocardiens, elle va réunir bien au-delà des personnes de différentes sensibilités politiques, des dirigeants et cadres d’entreprises, des syndicalistes et des militants associatifs ainsi que des citoyens-acteurs d’autres pays européens. « Confrontations Europe » est une innovation politique.
Après coup, je suis frappé par la ressemblance entre notre démarche et celle de Jean Monnet. Comme lui « nous ne coalisons pas des États, nous unissons des peuples ». Et comme lui, nous pensons que « c’est la méthode qui est le véritable fédérateur ». Il faut commencer par bâtir des solidarités concrètes industrielles, sociales, humaines. À l’époque, ce fut la mutualisation du charbon et de l’acier. Monnet voulait poursuivre dans d’autres domaines d’infrastructures de biens essentiels : l’énergie, les transports, la défense. Aujourd’hui, il faudrait ajouter l’éducation, la santé, les mobilités, bref, des biens communs où les gens pourraient vivre leur européanité sur chaque territoire, dans chaque entreprise.
Fédéralistes, avec « Confrontations Europe » nous l’avons été, mais nous avons toujours pensé que sans reposer sur des solidarités intimes, les institutions sont bâties sur du sable. Deux projets de Constitution, en 1984 et 2004 ont échoué. L’Union a basculé dans une méthode de « gouvernance » techno-juridique improductive. On abuse de la norme juridique uniforme, on multiplie les objectifs chiffrés sans savoir par quel chemin les réaliser, et on cultive une idéologie managériale d’efficacité qui a minorisé les solidarités concrètes. Quant à la coopération intergouvernementale, elle est au mieux un plus petit commun dénominateur. Tout ceci peut changer mais pensons-y quand une nouvelle Conférence sur l’avenir va nous faire des propositions.
« Confrontations Europe » a posé le défi d’une démocratie de participation dès ses tout débuts. Nous avons multiplié les groupes de travail, c’est pourquoi on a pu nous comparer à un Commissariat général au Plan de la société civile, prouvant la fécondité de notre méthode « pour une conflictualité ouverte, viable et créative ». Conscients des biais et des failles du grand marché, nous réunissons 500 personnes en 2007 à la CCI, avenue Friedland puis à Bruxelles, pour lancer l’objectif d’un Nouvel Acte Unique. Et en 2009, nous lançons le défi des investissements à long terme pour la création d’infrastructures communes. L’Union n’avait alors, ni une union bancaire, ni une union des marchés de capitaux, ni des fonds d’investissement, ni un véritable budget. Ces objectifs ont été retenus dans l’agenda communautaire, mais l’Union économique marche au ralenti et est en position de faiblesse parce que l’enjeu d’un capitalisme européen n’a pas été posé. Nous sommes foncièrement dépendants des rivalités de puissances privées et géopolitiques globales qui font obstacle à la création de biens communs à l’échelle planétaire.
Or le monde a changé de base et il ne nous attend pas. Chaque « crise » est désormais globale. L’enjeu d’une autonomie européenne est posé et les enjeux économiques et géopolitiques sont inextricablement liés.
Alors que la guerre est de retour en Europe, l’Union européenne ne sera forte et en sécurité que si elle est porteuse de coopérations pacifiques en son sein, d’Ouest en Est, et avec toutes les autres régions du monde, non alignée sur les intérêts des puissances. L’épreuve du dialogue d’égal à égal doit commencer.
Ceci appelle une révolution culturelle. « Confrontations Europe » a créé un groupe de travail « Civilisation » en 2004, réuni une conférence sur l’éthique de la participation à Bruxelles, et un colloque à Paris sur le thème « Que peut le cinéma pour l’Europe ? ». L’éducation était absente du traité de Rome et l’éducation européenne est maintenant une peau de chagrin dans nos écoles. Où sont passées nos humanités ? Je publierai à l’automne un essai intitulé « Les failles de la raison ». Je veux montrer qu’une réflexion historique et philosophique peut beaucoup apporter à la réflexion sur le devenir de l’Europe. Retrouver l’ambition d’une communauté politique est possible !