Robert MADELIN
Ancien fonctionnaire européen, président de Fipra International, cabinet de conseil stratégique
L’Union européenne doit faire face à des défis et y répondre sans rien perdre de sa spécificité. Robert Madelin, ancien fonctionnaire européen, citoyen britannique, esquisse pour nous le portrait de cette Union européenne qui formerait consensus.
L’Europe est aujourd’hui un continent confronté à des défis avant tout planétaires, mais qui reste en quête d’une forme de leadership qui lui permettrait de réaliser son plein potentiel.
Nul homme n’est une île et aucun continent ne se suffit à lui-même. L’Europe du XXIe siècle doit faire face à de profondes perturbations : une utilisation non durable des ressources ; une population vieillissante ; une révolution technologique des données (la quatrième Révolution industrielle) qui bouleverse les cadres conceptuels sous-tendant nos sociétés. Enfin une économie mondialisée dans laquelle la position dominante de l’Occident est remise en cause.
L’Europe n’est pas en tant que telle achevée. Elle possède une série de valeurs sociales distinctes qui doivent lui permettre de mener à bien une stratégie gagnante dans le tumulte actuel. Une stratégie qui nous demande de réaffirmer nos valeurs historiques tout en étant prêt à innover. Il nous faut un filet de sécurité durable, inclusif et répondant à l’avenir. Il nous faut un programme plus ambitieux en matière de compétences professionnelles, une volonté politique néo-keynésienne de mettre en place des infrastructures solidaires de classe mondiale, et un vrai changement sur l’offre et les objectifs sur les questions d’éducation.
Mais un tel programme serait-il en mesure de fédérer un véritable consensus social autour de lui ? Cette stratégie requiert un travail âpre sans gains garantis, alors que le populisme, lui, nous offre une détestation des élites à même de plaire aux foules, des boucs émissaires tout désignés pour expliquer les difficultés actuelles, et le mirage d’un monde facile.
Guérir la démocratie
Pour rompre cette spirale, pour que la démocratie guérisse et s’épanouisse à nouveau, il nous faut trouver le moyen de traiter ces symptômes et de retrouver la confiance perdue au profit des populistes : c’est là le défi des élections européennes à venir.
Cette guérison est possible. Même si cela prendra du temps. Une première étape pourrait être franchie en 2019, à condition de bâtir un nouveau consensus. Consensus fondé sur une meilleure sécurité sociale, sur la mise en place d’une gouvernance plus participative de nos communautés – qu’il s’agisse des Régions, des États ou de l’Union – et sur la nécessité d’embrasser au niveau communautaire des régulations et une administration modernes et ouvertes sur l’innovation.
Le plus important de ces facteurs de succès est la participation. Les citoyens font confiance aux institutions dont ils sont cocréateurs : les budgets participatifs à Paris, les règles de l’Internet au Brésil, la Constitution en Islande… Ils peuvent fournir des données, participer à des travaux scientifiques collectifs et aider les innovateurs, à condition que « nous » « les » laissions entrer dans le système.
En tant qu’acteur néophyte du secteur privé, riche d’une carrière plus longue au sein de la fonction publique européenne, je garde en guise de boussole le bien collectif et les objectifs des Nations Unies sur le développement durable. Je vois l’adoption de ces objectifs comme une chance sans précédent pour créer un consensus autour de nos objectifs et de justifier un élan créatif au sein du service public. Les obstacles sont nombreux, mais pas plus que les nouveaux outils et les opportunités. L’Europe pourrait être un modèle intellectuel et de pratique : un exemple dans le processus de transformation des institutions à l’ère numérique. L’innovation est une chance qu’il faut saisir.
Et en tant que Britannique ? Je suis intimement persuadé que la Grande-Bretagne peut quitter l’UE, mais pas le continent européen. Le vrai travail sur la relation entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne ne commencera que lorsque le Brexit sera ratifié. Ce travail prendra une décennie. Il sera long et épineux. En avril prochain, Douvres sera toujours à la même distance de Calais et d’Ostende, mais leurs habitants se demanderont malgré tout quelle est la largeur du fossé qui les sépare désormais. J’ai confiance, pourtant : dans dix ans, les deux parties impliquées dans le Brexit auront compris qu’il y a davantage de choses qui unissent leurs peuples que de choses qui les séparent, et que l’UE pourra bénéficier d’une coopération étroite et productive avec la Grande-Bretagne, comme c’est déjà le cas avec le Japon ou le Canada.