Par Christophe Béguinet,
Conseiller Énergie de Confrontations Europe
et Brieuc Hallouët,
Responsable du Bureau de Confrontations Europe à Bruxelles
Le 5 décembre 2024, Dan Jørgensen, ancien ministre danois en charge de l’énergie, puis de la politique climatique, et Commissaire désigné à l’Énergie et au Logement, était auditionné par les députés européens, sous la présidence Borys Budka et Li Andersson, représentant respectivement les commissions ITRE et EMPL du Parlement européen. À l’issue de cette audition et de la validation par deux tiers du Commissaire désigné, Confrontations Europe publie une analyse de cette audition et de la lettre de mission adressée par la Présidente de la Commission le 17 septembre dernier.
Tandis que la nouvelle Commission aura pour mission de proposer un successeur au Pacte vert européen afin d’ancrer le continent sur la voie de la neutralité carbone, l’audition du Commissaire Jørgensen devait représenter un moment clef permettant d’esquisser les ambitions de la Commission au regard de son futur Clean Industrial Deal et des 100 premiers jours de cette mandature.
Une appréhension limitée de l’enjeu de la décarbonation
Dan Jørgensen, dès le début de son audition, souligne son attachement à la poursuite d’une politique permettant d’atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050, fixé par la précédente Commission.
À cet égard, il insiste à plusieurs reprises sur la nécessité de renforcer les performances des Etats membres en matière d’efficacité énergétique et d’installation de nouvelles capacités de renouvelables. En parallèle, il se montre particulièrement déterminé s’agissant de l’arrêt des énergies fossiles dans le mix européen, en particulier s’agissant de l’énergie en provenance de Russie. Cette orientation a d’ailleurs été réaffirmée par la Présidente Ursula von der Leyen dans son appel avec Donald Trump le 8 novembre dernier, suggérant le remplacement des importations de gaz naturel liquéfié russe par un approvisionnement accru en GNL américain.
Toutefois, ces ambitions se heurtent à certaines annonces contraires, à l’image des réserves exprimées par le Commissaire quant à la pertinence des objectifs d’efficacité énergétique et la possibilité d’en définir de nouveaux à l’horizon 2050, et ce, dépit d’un soutien affiché à de nouvelles cibles en termes de capacité installée d’EnR.
Sur la question de l’hydrogène bas-carbone, le Commissaire désigné s’est montré particulièrement favorable à la poursuite des efforts initiés, notamment en matière de financement via la Banque européenne de l’hydrogène, pour créer un véritable marché européen de l’hydrogène et construire, en Europe, les infrastructures nécessaires à son utilisation. Cependant, il fait ici l’impasse sur les limites de la stratégie européenne pour l’hydrogène, notamment s’agissant de notre capacité à atteindre l’objectif de production fixé (10 millions de tonnes produites d’ici 2030) ainsi que de la part importante (10 millions de tonnes en 2030) devant être importée. Le rôle de vecteur de l’hydrogène bas-carbone, et non de source d’énergie primaire, n’a également pas été souligné, tandis que son utilisation devrait nécessairement impliquer l’installation de capacités additionnelles de production électrique.
Vers un plan d’action pour l’électrification
Un des principaux angles morts de cette audition est par ailleurs la question de la planification de la conversion de la consommation des énergies fossiles en électricité bas-carbone. Ainsi, il manque encore une véritable approche systémique dans la stratégie européenne pour la décarbonation de son économie, la question de l’électrification n’ayant été qu’effleurée. La mise en œuvre d’un Plan d’action pour l’électrification a ainsi été évoquée, sans plus de précisions néanmoins, notamment s’agissant des leviers financiers et fiscaux susceptibles d’accélérer l’électrification des industries du continent.
Le candidat-Commissaire s’est avancé quant à la poursuite d’une approche basée sur des cibles d’EnR, suggérant ici l’éventualité d’une nouvelle directive et de nouvelles cibles pour les énergies renouvelables d’ici 2040 et 2050. Cependant, de telles annonces risqueraient de se heurter aux dispositions de l’Article 194 du TFUE, paragraphe 2, soulignant le principe de neutralité technologique de l’Union quant au choix du mix énergétique des Etats membres.
En matière de réseaux, Dan Jørgensen s’est contenté de souligner l’importance des interconnexions électriques, en prenant notamment pour illustration le cas de la péninsule ibérique et du projet d’interconnecteur Golfe de Gascogne, ainsi que le rôle de la transformation numérique des réseaux pour assurer une plus grande gestion de la flexibilité. Le rôle des réseaux de transport a ici été omis, bien qu’ils constituent l’un des principaux enjeux dans le processus d’électrification du continent, dans le but d’assurer à la fois une plus grande solidarité entre Etats et améliorer la connexion des centrales électriques aux régions d’utilisations de cette électricité. Plus globalement, c’est la stratégie européenne pour les réseaux de distribution et de transport qui a été négligée, en dépit du fait que les besoins d’investissements soient estimés à 584 Md€ d’ici 2030 en Europe.
Une priorité affichée pour l’accès à une énergie abordable, mais sans que des mécanismes de marchés clairs et rassurants puissent être exposés
Un autre grand point d’intérêt de cette audition est constitué par les annonces du Commissaire-désigné sur l’accès à une « énergie abordable », tant pour les ménages que les entreprises. Dans ce cadre, il a notamment évoqué la mise en place d’un Plan d’action pour des prix de l’énergie abordables.
Toutefois, aucune n’explication n’a été fournie quant aux moyens qui pourraient ici être engagés pour permettre un prix de l’électricité plus compétitif en Europe. La mise en œuvre d’un signal-prix, associé à un fort interventionnisme réglementaire, similaire à celui mis en place en Californie à partir de 2001, permettrait une tarification plus progressive de l’énergie, en plus de son effet de « sensibilisation » des usagers au coup réel (saisonnier, environnemental…) de l’électricité.
De même, le Commissaire-désigné ne s’est pas risqué à détailler les mécanismes de marché afin d’engager les investissements nécessaires à une baisse du prix final de l’électricité ou dans le but de créer les conditions de prix compétitifs pour les consommateurs industriels ou résidentiels. Ce sera donc, ici, la capacité de la Commission à proposer des outils de marchés pertinents pour agir sur les prix qui fera l’objet des attentions, moins d’un an après l’adoption de la réforme du marché de l’électricité.
Une continuité affichée des grandes voies tracées par la mandature précédente sans retour d’expérience
Dans l’ensemble, Dan Jorgensen a fait preuve d’une grande aisance dans l’exercice de l’audition. Sa connaissance des arcanes du Parlement et des députés eux-mêmes a ainsi joué en sa faveur. Cependant, sur le fond, il n’affiche que peu de différences avec la manière de fonctionner de la précédente Commission. Il conserve une logique performative qui a pourtant fait la preuve de son inefficacité comme c’est notamment le cas pour les objectifs d’EnR, atteints seulement par une poignée d’Etats.
En outre, les grandes absentes de cette audition sont la réflexion systémique, pourtant nécessaire pour concevoir la mise en œuvre d’une électrification à grande échelle des consommations d’énergie sur le continent, ainsi que le développement d’une logique planificatrice et programmatique, sans laquelle une profonde révision de la tarification et une ambitieuse transition énergétique d’ici 2050 sont impossibles.
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