Général Dominique Trinquand, Ancien Chef de la mission militaire française auprès de l’ONU
Il y a quelques mois le Président Macron parlait de la « mort cérébrale de l’OTAN » et l’été dernier la crise consécutive à l’évacuation de Kaboul semblait valider cette constatation. Depuis le 24 février et l’attaque russe en Ukraine, l’OTAN semble avoir retrouvé sa raison d’être de bouclier européen animé par les États-Unis. Au même moment, l’Union européenne validait sa « boussole stratégique » (21 mars 2022) pour revoir ses ambitions à l’aune des crises récentes, mais aussi de la constance des menaces qui pèsent sur elle. Quelles ambitions l’Union européenne peut-elle conserver après ces récents bouleversements ? L’anticipation, l’investissement et la capacité d’action sont les maîtres-mots qui doivent guider les ambitions communes pour permettre de sécuriser l’Europe selon des modalités flexibles associant les Européens et les alliés de l’OTAN.
Anticipation
L’anticipation est une nécessité pour l’Europe de la défense. Pour cela, une meilleure appréciation autonome des menaces requiert un effort particulier à consentir dans le domaine du renseignement, de la cyberdéfense et de l’espace. Il s’agit de renforcer les capacités de renseignement, comme le cadre de la capacité unique d’analyse du renseignement (SIAC) de l’UE et de poursuivre le développement de la politique de cyberdéfense de l’UE afin d’être mieux préparé aux cyberattaques et d’y répondre ; renforcer les actions dans les domaines maritime, aérien et spatial, notamment en étendant les présences maritimes coordonnées à d’autres zones et en élaborant une stratégie spatiale de l’UE pour la sécurité et la défense.
Investissements
Pour que cette anticipation se développe, il s’agit de réduire les dépendances technologiques et industrielles et pour cela il faut investir davantage et mieux dans les capacités et les technologies innovantes. À cette fin, il faut, dépenser plus et mieux dans la défense et améliorer le développement et la planification de nos capacités pour mieux faire face aux réalités opérationnelles et aux nouvelles menaces et nouveaux défi s. Il faut aussi rechercher des solutions communes pour développer les instruments stratégiques nécessaires aux opérations, ainsi que les capacités nouvelles dans tous les domaines opérationnels, tels que les plateformes navales, les futurs systèmes aériens de combat, les capacités spatiales et les chars de combat. Enfin, utiliser pleinement la coopération structurée permanente (PESCO) et le Fonds européen de défense (FED) pour développer conjointement des capacités militaires de pointe et investir dans l’innovation technologique pour la défense.
Capacité de déploiement
Cette anticipation et les investissements doivent permettre à l’UE d’agir rapidement dès qu’une crise éclate. À cette fin, il s’agit sur la base de ce qui existe (en particulier les groupements tactiques en alerte) de développer une capacité de déploiement rapide au niveau de l’UE qui permettra de disposer d’une force de 5 000 hommes pour la déployer dans des environnements non permissifs pour différents types de crises. Il faudra aussi renforcer les structures de commandement et de contrôle, en particulier la capacité de planification et de conduite militaire et accroître l’état de préparation et la coopération en améliorant la mobilité militaire et en organisant régulièrement des exercices réels, en particulier pour la capacité de déploiement rapide.
Coopération
Enfin la guerre en Ukraine a rappelé que l’OTAN est le socle de la défense du continent européen mais que les Européens sont aussi les acteurs principaux de cette défense. Pour cela, l’Europe doit renforcer sa coopération avec ses partenaires pour faire face aux menaces et aux défi s communs. À cette fin, il convient de renforcer les partenariats stratégiques avec l’OTAN par des dialogues politiques plus structurés ainsi que par une coopération opérationnelle et thématique. Dynamiser la coopération avec les partenaires bilatéraux qui partagent les mêmes valeurs et intérêts, tels que les États-Unis, la Norvège, le Canada, le Royaume-Uni et le Japon. Développer des partenariats sur mesure dans les Balkans occidentaux, dans notre voisinage oriental et méridional, en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Finalement mettre en place un forum de partenariat de l’UE en matière de sécurité et de défense afin de travailler plus étroitement et plus efficacement avec les partenaires pour relever les défi s communs. Les mois qui viennent de s’écouler ont démontré qu’à la fois l’Europe ne pouvait pas tout, mais que sans elle la défense du continent ne pouvait pas se faire. Son autonomie dans la prise de décision est une nécessité vitale, de même que sa capacité à agir seule ou au sein de l’OTAN est une option pragmatique qui ne peut être contournée. L’Union européenne doit se préparer pour un avenir incertain en investissant dans la défense et en anticipant pour permettre une action plus efficace. Sans oublier que si l’OTAN reste le bouclier incontournable pour la défense du continent, son allié majeur, les États-Unis, n’est pas constant dans son soutien. « Si vis pacem, para bellum » disaient les anciens. L’Europe pour rester en paix doit préparer la guerre et donc comprendre que l’aire de paix constituée par l’Union européenne depuis la moitié du XXe siècle sur notre continent ne subsistera que si un effort de défense vient renforcer cette aire.