Par Stefan Seidendorf, Directeur adjoint de l’Institut franco-allemand (DFI)
English version below
Du 6 au 9 juin 2024, les Européens seront appelés aux urnes pour élire la seule assemblée supranationale dotée de vrais compétences et pouvoirs législatifs. Mais combien seront-ils à se rendre aux urnes? Sans doute autour de 50 %, donc un électeur sur deux, en cela comparable aux élections présidentielles américaines. Étonnamment, ces dernières, qui se jouent dans un seul pays au bout d’une campagne nationale qui tient le pays en haleine pendant presque deux ans, et qui oppose in fine deux personnages clairement identifiés et définis, ne mobi lisent pas vraiment plus d’électeurs que le scrutin européen, qui, lui, a tout pour ne pas passionner les foules…
Selon les pays membres, les gens se rendront aux urnes entre le 6 et le 9 juin – ce qui ne facilite pas un accompagnement médiatique qui vise le timing et le suspens. Quatre des 27 pays membres accorderont le droit de vote à partir de 16 ans, un (la Grèce) à partir de 17 ans, les autres à partir de 18 ans. Les Européens vont élire 720 parlementaires, mais pour chaque citoyen, seulement une partie des parlementaires sera éligible sur les bulletins (les candidats dans le cadre national). Le vote à la proportionnelle de listes préétablies par les partis au niveau national ne facilite ni le lien entre les électeurs et leurs représentants ni l’émergence d’une campagne réellement paneuropéenne.
Comment y remédier ? En partie, et il faut l’espérer, la pédagogie que déploient actuelle ment les institutions européennes, mais aussi nationales, ainsi que les associations de la société civile pour expliquer l’importance et l’en jeu, et ainsi rappeler les citoyens à leur devoir, fera son effet. Plus fondamentalement, c’est une élection plus « européenne » qu’il faudra établir. Pour cela, une réforme de l’acte électoral, qui définit les contours du scrutin et qui date encore des premières élections en 1979, semble inévitable, même si ce ne sera pas chose facile.
Réformer l’« acte électoral de l’UE », rien de simple…
Pour établir les règles qui permettent d’élire le Parlement européen (PE), les traités prévoient une procédure complexe. Contrairement aux autres procédures législatives, l’initiative revient au PE. Conformément à l’article 223 du traité sur le fonctionnement de l’UE, ce texte doit ensuite être approuvé à l’unanimité par les États au Conseil, avant que les Députés ne doivent donner leur accord, avec la majorité simple. Le texte ainsi accepté doit ensuite être ratifié dans tous les États membres, selon leurs règles respectives.
“c’est une élection plus ‘européenne’ qu’il faudra établir. Pour cela, une réforme de l’acte électoral, qui définit les contours du scrutin et qui date encore des premières élections en 1979, semble inévitable.”
Vers une réforme du code électoral ?
Les parlementaires – une majorité – sont conscients de ce défi. Après de long mois de négociation, ils ont proposé en 2022 une ré forme du code électoral. Bien entendu, cette initiative législative reste pour l’instant bloquée au Conseil, aucune chance donc de voir s’appli quer les nouvelles règles pour le scrutin devant nous. Et à regarder de plus près, il reste même une autre tentative de réforme, entamée en 2018, à faire aboutir…
Réforme de l’acte électoral européen, où en sommes-nous?
Initialement, l’Acte électoral européen a été établi en 1976, en amont des premières élections européennes en 1979. Il définit les principes communs qui doivent guider les États dans l’établissement des règles respectives qui régissent dans chaque pays membre les élections au PE. Il ne s’agit donc pas d’un code électoral uniforme dans l’ensemble de l’UE.
Une première grande tentative de réforme a été entamée par le PE en 2018. Après de laborieuses
négociations, elle a été validée par le Conseil (à l’unanimité), puis approuvée par le PE. Cependant, en amont des élections de 2019 puis de 2024, il reste toujours deux États membres qui n’ont pas ratifié cette réforme (pourtant approuvée par leur gouvernement au Conseil). L’acte réformé en 2018 ne peut donc pas encore entrer en vigueur pour les élections de 2024…
En attendant, le PE a entamé une nouvelle réforme de l’Acte électoral. La proposition de réforme a été présentée par le PE au Conseil des ministres en 2022. Le Conseil n’a pas encore pu trouver de compromis lui permettant d’approuver cette nouvelle réforme à l’unanimité, avant
de renvoyer ce texte au PE…
En conséquence, les élections 2024 auront donc lieu sur les bases d’un Acte électoral très vaste, qui laisse une très grande liberté aux États membres pour l’adapter à leurs propres règles.
Rendre les élections plus compréhensibles
La réforme proposée par le Parlement en 2022 reprend beaucoup d’éléments de la Conférence sur l’avenir de l’Europe (2021-2022). Ces propositions donnent une image assez précise de la réforme nécessaire pour rendre les élections européennes plus accessibles, plus visibles et plus compréhensibles. En résumé, il s’agit de rendre ces élections plus européennes et en même temps plus démocratiques, en améliorant le lien de proximité entre parlementaires et citoyens.
Pour plus de visibilité paneuropéenne, ces élections devront avoir lieu le même jour. Pour réduire l’éparpillement des voix, un seuil électoral minimal semble souhaitable, tout en gardant en tête l’importance de permettre, au PE, l’expression de toute la pluralité de l’Europe.
Afin de combiner une proximité citoyenne avec une dimension vraiment européenne, le PE propose que chaque électeur dispose de deux voix. Une (comme c’est le cas actuellement) pour élire les Députés nationaux qui siégeront au Parlement, une deuxième pour élire 28 Députés sur des listes paneuropéennes. La proposition de choisir ensuite, parmi ces Députés, les futurs Commissaires européens, et notamment le Président de la Commission, semble encore utopique aujourd’hui, mais va sans doute dans le bon sens. Elle renforcera le lien entre le résultat des élections et la politique qui sera mise en œuvre ensuite par la nouvelle Commission. Bien encadrée, la composition de cette « liste européenne » tiendra compte des craintes exprimées dans le passé qu’un automatisme entre les « têtes de liste » aux élections européennes et la désignation par la suite comme Président de la Commission favoriserait systématiquement les délégations des « grands pays », et notamment de l’Allemagne.
Si les « listes européennes », transnationales, étaient établies selon des règles succinctes, qui garantissent un accès égal aux candidats venant des différents pays, elles pourraient vraiment jouer le rôle fédérateur espéré par Emmanuel Macron, qui avait parlé le premier des « listes transnationales » lors de son discours de la Sorbonne en 2017.
Plus compliquée sera la proximité à établir avec les citoyens. Aujourd’hui, le système de vote à la proportionnelle, sur des listes fermées, proposées par les partis nationaux, complique largement l’établissement d’un lien entre électeurs et élus. À part quelques députés qui « sortent du lot », la majorité des membres du PE reste inconnue du public. Or dans les systèmes démocratiques, la responsabilité devant les électeurs est l’instrument le plus important et le plus puissant dont disposent les citoyens pour faire valoir leurs droits. Un système qui remplace ce lien direct entre électeurs et élus par des partis qui définissent, au bout de tractations la plupart du temps dénuées des priorités des citoyens, des listes fermées, ne permet pas l’établissement d’un tel lien – et peut même dégrader la légitimité de l’institution, si les calculs des partis deviennent trop visibles. Il serait plus logique de combiner la réforme qui permettra d’introduire des listes paneuropéennes avec un changement de taille, qui établira pour le vote « national » un système majoritaire, basé sur plusieurs circonscriptions, au moins dans les pays membres les plus grands (Allemagne, Italie, France, mais également Pologne et Espagne). Et comme une telle réforme ressemble farouchement à un « compromis franco-allemand » entre « listes européennes » et système de « tête de liste », pourquoi ne pas discuter également de l’établissement de quelques circonscriptions transfrontalières, le long de la frontière franco-allemande, entre la France et l’Espagne, entre l’Italie et l’Autriche, ou entre l’Allemagne et la Pologne? Le caractère véritablement européen du scrutin sortirait à coup sûr renforcé d’une telle opération audacieuse.
CONFRONTATION-EUROPE-138-210×297-WEB-28-31DEUTSCHLAND – EUROPEAN ELECTORAL ACT REFORM: A FURTHER STEP NEEDED
By Stefan Seidendorf, Deputy Director of the franco-German Institute Dfi
From June 6 to June 9, 2024, Europeans will head to the polls to elect the only supranational assembly endowed with genuine competencies and legislative powers. But how many will actually vote? Likely around 50%, making it comparable to the turnout in American presidential elections, where one in two voters participates. Intriguingly, these elections, which unfold within a single country following nearly two years of national campaigning that captivates the nation, and ultimately pits two clearly identified and defined figures against each other, do not significantly outpace the Euro- pean vote in terms of turnout, despite seemingly having every reason to ignite more public passion…
Voting schedules vary across member countries between June 6 and June 9 – a setup that does not lend itself easily to media coverage aimed at timing and suspense. Four of the twenty-seven member countries will grant voting rights starting at 16 years of age, one (Greece) from 17 years, and the rest from 18 years. Euro- peans will elect 720 parliamentarians, but for each citizen, only a portion of these candidates will be eligible for selection on their ballots (those within national contexts). The proportional representation system with pre-established party lists at the national level complicates both the connection between voters and their representatives and the emergence of a truly pan-European campaign.
How can this be remedied? Partly, and hopefully, through the educational efforts currently being deployed by European and national institutions, as well as civil society organizations to explain the importance and stakes of these elections, thereby reminding citizens of their duty, will have an effect. More fundamentally, a more “European” election must be established. For this, a reform of the electoral act, which outlines the parameters of the election and dates back to the first elections in 1979, seems inevitable, although it will not be an easy task.
Reforming the “EU Electoral Act” is no simple task…
To establish the rules for electing the EP, the treaties prescribe a complex procedure. Unlike other legislative procedures, the initiative lies with the EP. According to Article 223 of the Treaty on the Functioning of the EU, this next must then be unanimously approved by the States in the Council, before the deputies must give their consent, with a simple majority. The text thus accepted must then be ratified in all member states, according to their respective rules.
Towards a reform of the electoral code?
A majority of parliamentarians are aware of this challenge. After many months of negotiation, they proposed a reform of the electoral code in 2022. Naturally, this legislative initiative remains stalled in the Council for now, there is no chance of the new rules being applied to the upcoming election. And upon closer inspection, there is even another reform effort, begun in 2018, that still needs to be completed…
European Electoral Act Reform: Where Are We Now?
Initially, the European Electoral Act was established in 1976, ahead of the first European elections in 1979. It defines the common principles that must guide the States in establishing the respective rules governing elections to the EP in each member country.
It is not, therefore, a uniform electoral code throughout the EU.
A significant attempt at reform was initiated by the EP in 2018. After laborious negotiations, it was validated by the Council (unanimously), and then approved by the EP. However, ahead of the elections of 2019 and 2024, there remain two member states that have not ratified this reform (despite it being approved by their government in the Council). Therefore, the reformed act of 2018 cannot yet come into force for the 2024 elections…
In the meantime, the EP has initiated a new reform of the electoral act.
The reform proposal was presented by the EP to the Council of Ministers in 2022. The Council has not yet been able to find a compromise that would allow it to approve this new reform unanimously, before sending the text back to the EP…
As a result, the 2024 elections will therefore take place based on a very broad electoral act, which
Making elections more understandable
The reform proposed by the parliament in 2022 incorporates many elements from the “Conference on the Future of Europe” (2021- 2022). These proposals provide a fairly accurate picture of the necessary reform to make European elections more accessible, visible, and understandable. In summary, it is about making these elections more European and at the same time more democratic by improving the closeness of the relationship between parliamentarians and citizens.
For greater pan-European visibility, these elections should take place on the same day. To reduce the dispersion of votes, a minimal electoral threshold seems advisable, while keeping in mind the importance of allowing the European Parliament to reflect the full diversity of Europe.
To combine citizen proximity with a truly European dimension, the EP suggests that each voter should have two votes. One (as is currently the case) to elect national deputies who will sit in the Parliament, and a second to elect twenty-eight deputies from pan-European lists. The proposition to then select, from these deputies, the future European Commissioners, especially the President of the Commission, seems utopian today but undoubtedly moves in the right direction. It would strengthen the link between the election results and the policy to be implemented thereafter by the new Commission. Well-regulated, the composition of this “European list” will take into account past concerns that an automatic link between “lead candidates” in the European elections and their subsequent designation as President of the Commission would systematically benefit
delegations from “large countries,” particularly Germany.
If “European lists,” transnational in nature, were established according to succinct rules that guarantee equal access for candidates from different countries, they could truly play the unifying role hoped for by Emmanuel Macron, who first spoke of “transnational lists” during his speech at the Sorbonne in 2017.
More challenging will be establishing closeness with citizens. Today’s system of voting by proportional representation, with closed lists proposed by national parties, significantly complicates the establishment of
a link between voters and elected officials. Except for a few deputies who “stand out,” the majority of EP members remain unknown to the public. Yet in democratic systems, accountability to voters is the most important and
powerful tool citizens have to assert their rights. A system that replaces this direct link between voters and elected officials with parties that define, through mostly citizen-detached negotiations, closed lists, does not allow for such a connection – and may even degrade the legitimacy of the institution if party calculations become too visible. It would be more logical to combine the reform that will introduce pan-European lists with a significant change that would establish a majority voting system for the “national” vote, based on several constituencies, at least in the larger member countries (Germany, Italy, France, but also Poland, Spain). And as such a reform closely resembles a “Franco-German compromise” between “European lists” and a “lead candidate” system, why not also discuss the establishment of some cross-border constituencies, along the Franco-German border, between France and Spain, between Italy and Austria, or between Germany and Poland?
The truly European character of the election would undoubtedly be enhanced by such a bold move.
“More fundamentally, a more “european” election must be established. for this, a reform of the electoral act, which outlines the parameters of the election and dates back to the first elections in 1979, seems inevitable…”
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