Recréer un lien entre l’Europe et les citoyens

Marcel GRIGNARD

Président de Confrontations Europe

Alors que les États sont de plus en plus interdépendants, l’Europe est menacée de déconstruction. Il est urgent de trouver, en Europe, une nouvelle voie de développement économique et sociale fondée sur une implication de la société civile.

Les dérèglements climatiques se moquent des frontières, la menace terroriste aussi. La santé économique de la Chine n’est pas sans incidence sur la croissance mondiale et donc sur la nôtre. Nous ne parviendrons pas avec nos seuls petits bras nationaux à inventer une nouvelle voie de développement économique et social. Il n’y a pas de solutions solides sur les sujets majeurs au seul niveau national.
Nous n’avons jamais été autant inter- dépendants et l’Union européenne est, en ce sens, une chance pour nous. Par conviction, par attachement aux valeurs de démocratie, de liberté, de solidarité, vecteurs de paix et de progrès en Europe, mais aussi par intérêt économique, nous avons besoin de politiques européennes robustes, innovantes et porteuses d’avenir.
Un risque de déconstruction de l’Union
Or, les dossiers de l’été (sauvetage de la Grèce, migrants, crise agricole…) pour n’en citer que quelques-uns, mettent à mal des valeurs aussi fondamentales que la solidarité ou la libre circulation des biens et des personnes. Et confirment le risque élevé et croissant de déconstruction de l’Union européenne. Pourquoi en sommes-nous là ? Comment sortir de cette impasse alors que nos sociétés en mutation rendent de plus en plus inopérantes les recettes d’hier ?
Commission, Parlement, Conseil : chaque instance joue son rôle dans la construction des politiques européennes. L’engagement de Jean-Claude Junker tranche avec le mandat précédent. Le Conseil, les chefs de gouverne- ment ont un poids croissant. On peut le regretter considérant qu’ils servent peu l’intérêt européen. On peut estimer, et c’est notre point de vue, que cette tendance répond aux enjeux actuels et futurs. L’adoption d’une monnaie commune, l’union bancaire, le besoin d’une gouvernance solide de l’euro accroissent les domaines de souveraineté partagée, ce qui amène les gouvernements nationaux, qui ont à en rendre compte, à jouer un rôle plus important.
Sous la pression des opinions publiques
Dans le même temps, la distance entre les citoyens, leurs dirigeants et les institutions, ne cesse de croître. Sur le plan institutionnel, la légitimité de la Commission et du Parlement ne fait aucun doute. Du point de vue des citoyens l’essentiel du débat démocratique se situe dans le cadre national : les possibilités de délibération et d’interpellation des dirigeants sont tout autres qu’envers la Commission ou le Parlement euro Il ne peut y avoir de politique européenne ambitieuse, mise en œuvre de manière dynamique, si elle n’est pas portée par les chefs d’États des pays de l’Union. Mais ces derniers sont de plus en plus sous la pression de leurs opinions publiques sensibles aux arguments de ceux qui jouent sur les peurs, le ressenti, la recherche du bouc émissaire. La fréquence des élections, la crainte de les perdre ne poussent pas les politiques à transcender leurs opinions publiques, pas davantage à proposer des solutions européennes. D’autant que les divergences croissantes entre les États membres ne favorisent pas la construction de compromis.
Il est impératif d’améliorer le fonctionnement des institutions européennes mais cela ne suffira pas à répondre à une demande de plus en plus forte : que les politiques ne prennent pas de décision sans en débattre avec ceux qui seront les premiers concernés par leur mise en œuvre.
La construction par le haut, au cours des Trente Glorieuses, d’une Union plus réduite se heurte de plus en plus aux intérêts nationaux. Chacun essaie de préserver ce qu’il peut d’emploi et de croissance dans un monde en crise. L’adoption de la monnaie unique, qui aurait pu être un instrument de convergence, n’a pas pu empêcher les divergences de développements économiques et sociaux(1). Les solutions tardives et déséquilibrées face à la crise de l’euro ont encore accru ces écarts. Les réductions des efforts en matière d’éducation et le départ des plus qualifiés des pays les plus en difficulté risquent de les accentuer encore un peu plus.
Pour répondre aux impératifs de compétitivité et de stabilité de notre monnaie commune, les politiques nationales mettent les pays de l’Union en concurrence sur le plan fiscal, social, des règles du marché du travail… La préservation des intérêts nationaux laisse place à la concurrence là où il faudrait faire progresser coopération et convergence. On peut y voir une certaine similitude avec l’évolution de l’économie où les chaînes de valeur se sont segmentées en une multitude d’acteurs afin de satisfaire des exigences de rentabilité financière. Le plus fort – en général le donneur d’ordre – impose ses conditions au plus faible – souvent le sous-traitant. Ces pratiques, en vigueur depuis déjà quelques décennies, ont fortement accru les inégalités. Ce qui devrait faire l’objet d’une régulation économique et sociale est largement résultat des concurrences qui poussent aussi à renvoyer sur la périphérie les externalités.
Un nouveau mode de développement économique et social
Comment, dans ces conditions, réconcilier les Européens avec l’Europe ? Il faut donner sens aux réformes indispensables et aux efforts partagés qu’elle suppose. Il faut aussi renforcer le rôle de la société civile dans l’objectif de modifier le mode de gouvernance des politiques.
Confrontations Europe agit pour un nouveau mode de développement économique et social en Europe et l’a rappelé, en juillet, lors de son assemblée générale organisée au siège de CNP Assurances.
Pour une économie compétitive à l’échelle du monde mais préservant les ressources de la planète et parvenant à contenir le réchauffement climatique en deçà des 2 °C. L’avenir des générations futures ne se joue pas sur un coup de dé.
Pour une économie permettant à chacun d’exercer une activité avec un revenu correct. La numérisation de l’économie va bouleverser les repères. Nous ne savons pas encore quel sera l’impact de cette « troisième révolution industrielle » sur l’emploi. Mais, la promesse de sortir du chômage de masse par la croissance ne convainc plus guère : une génération entière a entendu ce refrain ! Est-on entré dans une « stagnation séculaire » de la croissance ? Si la réponse à cette question suscite bien des controverses, elle se situe probablement entre stagnation et croissance faible durable. Seule, la croissance ne peut plus répondre au défi de l’emploi.
Enfin, pour une économie qui réinvente nos systèmes de solidarité défaillants.
Entreprise, société civile et gouvernance
Il y a le sens, il y a les modalités de construction d’élaboration et de mise en œuvre des politiques. Il faut, selon nous, accorder une place centrale à la société civile. Le rôle de l’entreprise, entendue comme associant l’ensemble des parties prenantes (salariés, managers, clients, fournisseurs, financeurs, territoire d’action…) y est central. L’entreprise est en prise directe avec les mutations de l’économie et de la société, aux transitions numérique et énergétique. Elle est un espace de régulation qui doit évoluer et être partie prenante d’une régulation européenne à réinventer. Il ne s’agit pas de confondre l’intérêt de l’entreprise avec l’intérêt général dont elle n’est pas garante. Et pas davantage de réduire le rôle du politique et des institutions. Il s’agit de chercher les voies d’une confrontation constructive pour mieux appréhender un monde en mouvement, pour donner de l’espace à une construction politique prenant en compte les acteurs, pour mieux articuler compétence technique et décision politique.

1. P. 18 et 19, article de Carole Ulmer.

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