L’ouverture au monde, pour que l’Europe retrouve son projet

Claude FISCHER HERZOG et Marie-France BAUD

Directrice d’ASCPE, Les Entretiens Européens & Eurafricains
Directrice du Bureau de Bruxelles, Confrontations Europe

Confrontations Europe s’est développée dans la rencontre et le débat entre différents peuples européens. Leurs différences ont nourri notre action et leur union. Face aux risques de repli des sociétés sur elles-mêmes, il est urgent de revivifier le dialogue en Europe et avec les autres régions du monde.

L’ouverture au monde, pour que l’Europe retrouve son projet

Confrontations Europe est née fin 1991, deux ans après la dislocation des blocs en 1989, le temps que mûrisse le projet et que, autour de Philippe Herzog, nous nous rassemblions et nous engagions dans cette association où nos différences nous unissaient et où les conflits étaient rendus constructifs ! Un laboratoire de ce que nous rêvions pour une France clivée, puis un peu plus tard, pour l’Europe, avec le souhait d’accueillir les peuples de l’Est dans la « maison commune ».

Dès les années 2000, nous allons à la rencontre des peuples d’Allemagne de l’Est, de Hongrie et de Pologne. Nous prenons des « bols d’air » auprès d’hommes et de femmes qui – alors que les peuples de l’Ouest étaient déjà repliés sur eux-mêmes et s’inquiétaient de l’élargissement – veulent nous rejoindre, heureux de sortir des dictatures et d’entrer dans la démocratie pour participer à l’écriture d’une nouvelle constitution pour l’Europe de demain. Nous rencontrons l’envie et la foi en un avenir européen. Au sein même de Confrontations, nous travaillons avec des ­stagiaires polonais, hongrois, et nous « rajeunissons ». En 2004, nous saluons et fêtons l’entrée des pays de l’Est, « des retrouvailles », clame Vaclav Havel. Parallèlement, la Roumanie et la Bulgarie se préparent et les peuples des Balkans espèrent qu’on ne les oublie pas.

Un an plus tard, la honte nous submerge : le « non » de la France et des Français au référendum pour une Constitution européenne  nous ramène en arrière ! Nous nous interrogeons sur le « non » de gauche qui, voulant se différencier des anti-Européens, dénonce un texte abscons, et se réclame d’une Europe sociale. Mais qui voulait véritablement construire une Europe sociale ? Et sur quel modèle ? Pour beaucoup, le social relève de la souveraineté nationale : ça ne se partage pas ! Il est au fondement de la demande de protection qui empêche de nouer des solidarités entre Européens. Nos amis socialistes portugais – qui avaient combattu la dictature et rejoint l’Europe – s’interrogent avec nous… Que faire ? La crise européenne était ouverte, on n’allait pas en sortir.

La rencontre organisée à Sarajevo en ­Bosnie-Herzégovine en 2005, entre Bosniens, Croates et Serbes, est un choc émotionnel. Elle sera prolongée quelques années plus tard par un tour des Balkans, mais l’échec est patent. Les divisions règnent, et personne n’a envie de les accueillir (il faudra attendre 2013 pour l’entrée de la Croatie).

Relancer l’envie d’Europe

Nous engageons un « Tour d’Europe », pour nous excuser, aller vérifier auprès de nos amis européens leur volonté de continuer avec nous et (ré)ouvrir des options(1). En neuf mois, nous nous rendons dans neuf capitales : Bruxelles, Berlin, Budapest, Londres, Varsovie, Madrid, Prague, Athènes et Sofia. Nous organisons des conférences sur les enjeux socio-économiques et culturels du projet, sur les politiques industrielles et de services à bâtir, sur la démocratie et la gouvernance de l’Europe. Nous visitons les villes et leurs environs, projetons des films donnant à voir et à comprendre nos histoires. Nous nouons des liens d’amitié avec ceux qui font l’Europe, et qui viendront témoigner à Paris – pour les 15 ans de Confrontations et les 50 ans de l’Europe – lors d’une fête qui rassemblera tous les mouvements européens de France. Nous rassemblons plus de 2 000 personnes pendant cette période, mais nous sommes trop peu nombreux pour inverser la tendance. Nous créons alors un nouveau groupe de travail sur « l’Europe en devenir(s) », avec le souci de continuer le dialogue.

Quand on refait le chemin à l’envers, on prend encore plus conscience que nous portions la crise en nous-mêmes, et qu’en 2005 ce sont nos divisions qui minaient notre union, nous empêchaient de créer les solidarités et les biens publics sur le marché intérieur. Celles-ci se sont aggravées lors des débats pour le droit à la mobilité des travailleurs, pour des services d’intérêt général européens, ou pour une politique énergétique commune, pour ne citer que quelques exemples. Paradoxalement, la crise de 2008 a ressoudé les pays européens quand l’Europe a consolidé son Union économique et monétaire pour y faire face, mais tout reste fragile car nous n’avons pas su redéfinir notre projet. Celui-ci est né après-guerre avec une promesse de prospérité de paix et de réconciliation, mais la prospérité n’est pas au rendez-vous pour tous, la réconciliation n’est pas achevée et la paix est de nouveau menacée.

Mieux nous retrouver

Aujourd’hui, chacun sait qu’il faut refonder l’Europe si nous ne voulons pas qu’elle explose. Les Anglais ont voté leur sortie et les autres s’interrogent sur leur devenir commun. Les peuples sont restés nationaux, ils ne sont pas devenus européens. On a tendance aujourd’hui à montrer du doigt les pays comme la Hongrie ou la Pologne qui se détournent. Mais il faut entendre Kryzstof Zanussi, cet immense réalisateur européen, qui explique combien les Polonais ont été déçus, voire humiliés, par l’accueil qui leur a été réservé. Et quelles leçons peut-on donner quand la crise démocratique est partout, avec la remontée, comme en France, des partis d’extrême droite ? C’est la nation qui soude les peuples autour de droits qui puisent dans son passé et dans sa culture et des valeurs qui n’ont rien d’universel, mais qui, comme le rappelle Philippe Herzog citant Edgar Morin, « expriment nos besoins »(2).

La diversité des nations n’est pas le ciment de notre unité, et l’Europe ne fait pas société… Dans le monde en pleine mutation, elle ne joue plus son rôle de grande puissance, contrairement aux États-Unis, à la Chine ou à la ­Russie… Quant à la paix, elle n’a jamais été acquise. Elle a sévi dans les Balkans et se développe depuis quatre ans à nos portes en Syrie… Et le terrorisme – qui se nourrit des exclusions et des différences – est une guerre mondiale d’un type nouveau qui se propage au cœur même de notre Europe.

La refondation de notre Union ne pourra se faire qu’en rapprochant les nations et les peuples pour qu’ils se connaissent et acceptent leurs différences : pour cela, il faut qu’ils s’ouvrent et sachent ce qu’ils ont envie de partager, ce qui suppose de multiplier les rencontres, créer des espaces publics de débat où les jeunes seront associés, et développer des projets en coopération. Philippe Herzog parle de confédération où le cœur reste l’Union à 27, qu’il faut solidariser et élargir à la Serbie et la Bosnie-Herzégovine. Celui-ci ne pourra battre que si d’un côté, les États s’appuient sur une zone monétaire consolidée, et de l’autre, s’ils développent leurs relations avec les pays voisins, coopèrent dans une vision partagée de l’avenir de l’Europe. Ce troisième cercle pourrait associer des pays comme l’Ukraine, la Géorgie, ceux d’Afrique du Nord dont la Libye(3). La Turquie ou la Russie devront-elles l’intégrer ? Elles ne le souhaitent pas. Mais l’arrêt des négociations d’adhésion avec la Turquie, les politiques de sanctions vis-à-vis de la Russie risquent de se retourner contre l’Europe et contre les États de l’Union qui refusent qu’elle s’ingère dans leurs relations extérieures, menaçant un peu plus l’Europe de dislocation. Il faudrait impérativement renouer le dialogue avec ces grandes puissances, entrées dans des jeux complexes de recomposition d’alliances(4).

C’est par ses relations extérieures et son ouverture au monde que l’Europe pourra retrouver son projet et sa cohésion, mais son absence de stratégie ne lui permet pas d’être à l’offensive. C’est vrai aussi pour l’Afrique avec qui pourtant nous partageons une longue histoire commune. Comment renouveler nos relations commerciales, bâtir des coopérations et des projets de développement sur ce continent qui émerge dans la mondialisation ? L’Afrique n’attendra pas(5). Elle s’ouvre au monde, les jeunes aspirent aux changements économiques et politiques en cours, et il ne faudrait pas que faute d’une véritable stratégie de développement, les peuples européens se replient et affaiblissent l’Europe qui plus que jamais doit devenir un acteur mondial.

1) Le Tour d’Europe. Dialogues et découvertes pour partager un destin. L’Europe après l’Europe, éditions Le Manuscrit.
2) Identité et valeurs : quel combat ? L’Europe après l’Europe, éditions Le Manuscrit, Paris, 2015.
3) Philippe Herzog, « L’identité de l’Europe. Vers une refondation », essai pour King’s College London, ASCPE, mai 2016.
4) Cf. Les Entretiens Européens animés par ASCPE : « Sécurité énergétique en Europe. Repenser nos interdépendances », avril 2016.
5) Cf. Les Entretiens Eurafricains animés par ASCPE : « Le défi de l’émergence de l’Afrique de l’Ouest. Politiques publiques et régulation pour favoriser l’investissement », mars 2017.

Derniers articles

Articles liés

Leave a reply

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici