L’économie sociale de marché | Les Echos

Marcel GRIGNARD

Président, Confrontations Europe

Pour Marcel Grignard, refonder l’Union européenne est un impératif pour tous ceux qui s’alarment des fractures qui la traversent et du doute qui habite un nombre croissant de ses citoyens. « L’économie sociale de marché », promesse non tenue, est un horizon possible de cette refondation ; l’entreprise en Europe, un levier incontournable.

Les raisons d’une promesse non tenue

Le traité de Lisbonne, depuis une décennie, fait de « l’économie sociale de marché » une référence prétendant équilibrer compétitivité et progrès social, préservant l’environnement, combattant l’exclusion sociale et les discriminations…

Mais depuis toujours, les dirigeants européens ont décidé de séparer l’économique et le social : l’Union construit le marché, les États gèrent le social et le traité de Lisbonne n’y a rien changé. Les États membres sont enclins à faire des conditions sociales du marché un paramètre de la concurrence avec leurs voisins.

Ce déséquilibre structurel est d’autant plus problématique qu’au fil du temps, les idées de Friedman et ses disciples ont réussi à imposer une vision de l’entreprise conçue d’abord comme moyen de maximiser les profits dans une vision de court terme. Elles aboutissent en pratique à reléguer, voire occulter, les enjeux sociaux et culturels dans les décisions stratégiques qui s’imposent aux managers et aux salariés. Le fait que les décideurs sont éloignés et difficilement identifiables en rajoute dans le sentiment d’être dépossédé de son propre devenir et qu’il y a des territoires inutiles dans la tournure que prend la mondialisation des échanges. Il n’y a finalement rien de surprenant dans la montée des replis et dans la contestation de la mondialisation quand elle se traduit par des décisions ou les critères économiques et financiers dominent alors que le « vivre ensemble » ne peut ignorer les dimensions sociétales et culturelles.

L’entreprise, principal levier d’une « économie sociale de marché » Faire de l’implication et de la coopération des acteurs de l’entreprise les éléments clés de sa performance est une évidence à l’heure de l’économie 4.0. Encore faut-il réduire les contradictions que nous venons d’évoquer. L’entreprise est le lieu où s’organise et se traite la question du travail et s’élabore le compromis « capital/travail ».

Et c’est justement dans ces domaines que l’Europe a su développer des pratiques particulières en lien avec sa culture et la place qu’elle accorde aux droits de l’homme. Qu’il s’agisse du dialogue social, des formes de codétermination mises en oeuvre dans 18 des 28 États membres ; nous avons développé sur nos territoires des formes d’association des parties prenantes que nous pouvons régénérer et développer dans la traduction d’une « économie sociale de marché » d’autant que la tension entre recherche de l’efficacité économique et respect des personnes sera toujours d’actualité. C’est aussi dans l’entreprise que se posent en premier l’organisation de la chaîne de valeur, les conditions de sa création et de sa répartition ; sources d’inégalités.

L’entreprise est une forme de communauté humaine plurielle, elle n’ignore pas les conflits, mais est dans l’obligation de les dépasser d’autant mieux qu’elle prend les moyens de forger un projet partagé. Il faut la considérer bien au-delà de son périmètre juridique, avec ses parties prenantes amont et aval, sa responsabilité vis-à-vis de son territoire et de la société, ses diversités en Europe.

Des réformes structurelles du marché

Parier sur l’entreprise et sur la capacité de ses acteurs à faire bouger les lignes ne suffira pas. Le cadre dans lequel elle évolue est déterminant. Les normes comptables construites autour de la valeur boursière sont incompatibles avec une vision de long terme de l’entreprise ; soulignons qu’elles ont été conçues aux USA qui ne les appliquent pas sur leur territoire.

La valorisation économique et sociétale des investissements nous sortira d’une vision purement financière. La prise en compte des externalités sera un discriminant économique favorisant les entreprises les plus responsables dans un marché reconnaissant la place des « biens communs »…

Une Europe ouverte sur le monde

Une Europe ouverte sur le monde et affirmant sur son territoire « L’économie sociale de marché », réconciliant développement économique et racines culturelles, c’est une Europe qui assume sa part de responsabilité dans un monde qui doit relever des défis inédits. C’est proposer un mode de développement qui fait sien le développement inclusif proposé par l’ONU tout en le mariant avec sa culture.

Marcel GRIGNARD a écrit cet article dans l’espace du Collège des Bernardins en tant que membre du séminaire « Passé et avenir de la civilisation européenne ».

Lire l’article paru dans Les Echos.

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