Le vague à l’âme européen de la Pologne

Krzysztof ZANUSSI

Cinéaste et metteur en scène polonais

La Pologne fait face à une montée d’euroscepticisme. Pour le cinéaste polonais Krzysztof Zanussi, cette défiance provient d’une déception : l’Europe ne répond plus aux attentes des Polonais.

Ne dites pas que la Pologne, c’est l’Europe de l’Est, s’il vous plaît ! » C’est en ces termes que le ministre polo- nais des Affaires étrangères du premier gouvernement élu démocratiquement en 1989 m’a apostrophé alors que je me rendais à Strasbourg à l’occasion de l’entrée de la Pologne dans le Conseil de l’Europe. Sa requête était tout à fait justifiée. L’Europe de l’Est n’a aucun fondement géographique. Prague, la capitale de la République tchèque, est située à l’ouest de Vienne, et, pour- tant la République tchèque est aussi rattachée à cette partie de l’Europe. Ce que l’on ignore souvent, c’est que cette vision est née à la Conférence de Yalta en 1945 et fait référence à la « sphère d’influence russe ».
La Pologne appartient à l’Europe de l’Ouest de par son héritage historique, qui est latin et non byzantin. De fait, nos schémas de pensée ont été influencés par la philosophie scolastique médiévale des croisades et de la chevalerie, par la volonté de séparer Église et pouvoir laïc, mais aussi par la Renaissance et la Contre-Réforme, les Lumières et la Révolution française. À la différence de l’Europe de l’Est, la Pologne possédait des châteaux, des universités, une classe moyenne auto- nome, une monarchie éclairée, exempte d’absolutisme.
Attentes élevées dans un contexte difficile
Cela suffit-il à expliquer pourquoi les Polonais se sentent à leur place dans la communauté européenne occidentale ? La Pologne est l’un des États membres qui a toujours soutenu le projet européen. Pour les Polonais, dans le langage courant, « européen » est synonyme de « qualité ». Les institutions européennes sont perçues comme des garantes de la justice et de la démocratie.
Mais alors, comment expliquer le manque d’adhésion actuelle à l’Europe ? Pourquoi le gouvernement récemment élu, fortement eurosceptique, a-t-il obtenu 30 % des suffrages, ce qui lui confère la majorité au Parlement ? La réponse est simple : les Polonais sont déçus. Les attentes étaient élevées mais le contexte difficile. Et l’Europe se révèle en deçà des attentes des Polonais. Je ne vais pas revenir sur les sources de déception évidentes liées à l’arrogance des bureaucrates et des hommes politiques européens (le président Chirac n’avait-il pas affirmé, en février 2003, lors d’un sommet sur l’Irak que les pays candidats à l’UE avaient « manqué une occasion de se taire » en affichant leur solidarité avec Washington ?). Je ne reviendrai pas non plus sur le cynisme des hommes d’affaires occidentaux qui se livrent à des pratiques de corruption dans les pays moins développés de l’Union et tentent d’exploiter les travailleurs (notamment dans le secteur de la grande distribution).
Pas de risque immédiat de « Polexit »
À mon avis, la déception actuelle est étroitement liée à la vague européenne de nihilisme post- moderne qui nous a submergés, avec ses principes confus de multiculturalisme et de respect des droits des minorités. Les élites dirigeantes ont apparemment sous-estimé la puissance de la fierté nationale. Ils n’ont laissé aucune place à l’idéalisme, qui est de mon point de vue un besoin inné. Aujourd’hui, l’Europe renie ses racines judéo-chrétiennes et ne jure que par le consumérisme. La solidarité est devenue un mot vide de sens qui laisse transparaître l’égoïsme des États européens.
Je n’exprime pas là mon propre point de vue. Je cherche simplement à proposer un diagnostic pour expliquer le mal actuel. Pour ma part, je vois beaucoup d’idéalisme dans l’Europe. Je vois de la solidarité et des gestes magnanimes de la part d’individus mais aussi d’États membres. Je suis profondément choqué que mon pays, la Pologne, refuse d’accueillir les réfugiés du Moyen-Orient, mais je constate aussi que ceux qui ont été accueillis chez nous prennent immédiatement le chemin de l’Allemagne (c’est notamment le cas des réfugiés ukrainiens accueillis en masse par la Pologne). Un artiste n’est ni un prophète, ni un devin, et je ne sais absolument pas comment la situation va évoluer. Je suis certain que malgré le scepticisme ambiant, les Polonais resteront favorables à une Europe unie. Il n’y a aucun risque immédiat de Polexit. J’espère cependant que les États européens feront un effort pour faire revivre les idéaux qui ont autrefois servi de fondement à l’Union européenne. Pour recréer un mouvement dynamique, nous devons aborder le développement de l’homme, non seulement d’un point de vue économique, mais aussi d’un point de vue spirituel. L’Europe a besoin d’un renouveau du rêve européen.

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