La France doit laisser prospérer ses nouveaux atouts

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Pour Confrontations Europe, deux générations analysent les forces et faiblesses de la France dans le monde nouveau qui s’annonce : d’un côté le haut fonctionnaire d’État qui a été dirigeant de plusieurs grandes entreprises françaises, auteur de nombreux ouvrages, Jean PEYRELEVADE; de l’autre le conseiller et essayiste Robin RIVATON, figure montante de la jeunesse libérale. Malgré quelques divergences, ils se rejoignent pour inciter la France à se tourner vers la nouvelle économie.

Marcel Grignard : Malgré le déclinisme ambiant, la France a- t-elle des atouts dans la compétition internationale ?
Jean Peyrelevade : Notre pays garde toujours ses atouts classiques, sa position géographique, la qualité des infrastructures, mais aussi la qualité de l’État qui globalement fonctionne, celle de notre système éducatif, de notre recherche scientifique et technique. Mais depuis une quinzaine d’années, il s’est ajouté un atout nouveau : la jeune génération a une envie très forte de créer son entreprise. Les jeunes ne sont plus du tout fascinés par le service de l’État. Ils acceptent même de quitter une position institutionnelle confortable pour créer leur affaire.
Robin Rivaton : Je suis pleinement d’accord sauf que ce nouvel état d’es- prit ne touche pas seulement les jeunes, mais toute une partie de la population, à tous les niveaux, avec le renouveau du Do It Yourself (couture, bricolage…). Depuis 2011, les ventes de machine à coudre ont triplé. La France est un des pays qui créent le plus de petites entreprises. Certes il s’agit davantage de devenir des indépendants que des créateurs d’entreprise. Mais cette attitude part d’un esprit positif d’ouverture, quand bien même la raison en serait de détester son patron. Le simple fait de prendre en main son destin reflète des changements profonds en amont comme la réévaluation du rapport au risque, à l’échec, à la création de richesse. C’est le signe d’un peuple qui se sent mieux que ne le disent certains déclinistes.
M. G. : Comment expliquez-vous cette révolution des mentalités ?
R. R. : Deux mouvements sont en train de converger. Celui d’une individualisation profonde de la société, qui a commencé dans la sphère familiale dans les années 60, et qui est en train de passer dans la sphère professionnelle car les conditions technologiques la rendent possible. Auparavant, un individu qui s’autonomisait se condamnait au suicide social, l’anomie. Aujourd’hui, il peut se réaliser pleinement dans l’autonomie.
J. P. : Les ressources fantastiques qu’offre le numérique ont fait prendre conscience à cette génération qu’il est possible de gagner sa vie, même de devenir riche, en explorant un autre avenir que la grande structure verticalisée qu’est l’entreprise : un avenir « transverse » qu’Internet fabrique et décuple. Car la nouvelle économie, c’est la capacité de mettre en contact un fournisseur et un client qui ignoraient qu’ils étaient potentiellement fournisseur et client.
Malheureusement cette modernité est étouffée en France pour deux raisons : par une structure d’État historiquement jacobine, « verticalisée » qui freine le mouvement « transverse » car il la menace. Une fois que les jeunes gens ont commencé à vivre dans le transverse, ils ne comprennent plus les structures verticalisées. Ils les trouvent archaïques. Toutes les structures verticalisées, État, partis, syndicats et même la politique sont remises en cause.
Egalement, la toute-puissance du principe d’égalité, hérité de la Révolution française, est une chappe de plomb.
M. G. : Ce conflit entre verticalité et transversalité explique les tensions que l’on observe aujourd’hui.
R. R. : Oui. Cependant pour moi la verticalité du pouvoir en soi ne me gêne pas. Paradoxalement elle est même la meilleure chance de réformer le pays car elle donne à celui ou celle qui veut changer les choses tous les leviers pour le faire. Et comme l’on constate chez les jeunes une demande très forte d’autorité, c’est une incitation pour l’État à réformer, à être efficace. La nouvelle capacité entrepreneuriale en France pourrait être surmultipliée.
Le problème c’est qu’aujourd’hui l’État n’est plus efficient. Comme il ne pourra pas retrouver son efficience d’antan face aux mutations des conditions, le plus simple est de recentrer sa verticalité. Il y a des domaines où l’État n’est plus légitime ni efficace. Par exemple dans l’énergie. Par rapport aux années soixante, le mix énergétique est devenu d’une rare complexité. Il serait sage que l’État se mette en retrait des choix. Un décideur unique et aveugle fait porter un risque majeur à la collectivité.
J. P. : Sauf que dans notre pays, la verticalité de l’État triomphe toujours. Il est profondément ancré dans la mentalité française que l’État est l’incarnation de l’intérêt général alors qu’il n’y a pas de définition de l’intérêt général. Rien depuis les textes de Rousseau et de l’Église. Or l’État est un recours permanent. Pour les ONG, les syndicats, les intermittents du spectacle, les politiques locaux, il est garant d’un intérêt général qui n’est pas défini. L’État considère encore qu’il est de sa responsabilité de s’occuper de tout. Où est l’intérêt général dans le fait d’imposer un régime national unique et uniforme d’interdiction du travail salarié le dimanche, quel que soit le secteur concerné, quelles que soient la ville et la volonté des gens concernés ? Quel est l’intérêt général national mis en cause par le barrage de Sivens ? Ce modèle intellectuel doit être cassé.
R. R. : La meilleure stratégie pour l’État serait déjà de sortir des domaines où il n’arrivera jamais à dégager l’intérêt général. Car celui-ci est beaucoup plus dur à déterminer que dans le passé, la population étant beaucoup plus différenciée et hétérogène. Par exemple, pour le voile à l’université, l’État devrait laisser à l’université le droit de décider tant les positions sont inconciliables.
J. P. : Je ne suis pas d’accord. La première condition d’efficacité de l’É- tat est de sortir de ce qui n’est pas de son niveau et reconnaître un intérêt général au niveau local d’une part et européen de l’autre, ce qui donnerait d’ailleurs une colo- ration beaucoup plus positive à l’approche européenne. Ensuite le « vivre-ensemble » entre des communautés très différentes est un sujet d’intérêt général national. Il faut en discuter très en amont de façon transpartisane. Il appartiendrait à l’État d’organiser ces réflexions. Car on ne peut pas jouer la sensibilité d’une partie de l’électorat contre une autre.
R. R. : Bien sûr, il faut essayer d’aboutir à un compromis. Mais in fine, comme les politiques cherchent toujours à se faire réélire, c’est la loi de la majorité qui s’impose.
J. P. : En bout de process seulement !
M. G. : Dans le monde « transverse » qui arrive, comment l’entreprise peut-elle rester efficiente avec des salariés plus autonomes ?
J. P. : L’intensification du dialogue social au sein des entreprises me paraît une nécessité absolue. Pour cela, l’État doit s’interdire d’interférer dans l’entreprise et accepter le principe de la liberté contractuelle despartenaires sociaux. Il est extraordinairement archaïque que les quotas et la rémunération des heures supplémentaires soient fixés par le Président de la République. L’économie est conçue comme une dépendance de l’État. Il faut changer la philosophie du code du travail.
R. R. : J’approuve pleinement. L’économie est beaucoup trop réglementée. Mais l’entreprise devra aussi s’adapter. La notion même de salarié va changer de façon radicale. Les salariés vont s’externaliser de plus en plus. Or les états-majors sont dépourvus devant une main-d’œuvre devenue beaucoup plus volatile, qui obéit à des incitations subjectives et moins au gain matériel. Si l’entreprise ne s’adapte pas, elle n’attirera plus les meilleurs. Dès 2020, les États-Unis pourraient compter jusqu’à 50 % d’indépendants (en Europe, 93 % de la population active est salariée).
J. P. : Il faudrait revisiter les contrats de travail et abandonner beaucoup de préjugés, comme le statut de fonctionnaire à vie pour les hauts fonctionnaires, ce qui est une anomalie dans le monde d’aujourd’hui.
M. G. : Le numérique a aussi des effets négatifs. L’organisation du travail chez Amazon est extrêmement aliénante. Or les salariés n’ont pas le choix.
J. P. : Quel est l’avenir des non qualifiés dans une économie digitalisée ? C’est une vraie question, notamment en France où nous avons plus de travailleurs non qualifiés que nos voisins développés. La réponse est moins dans l’entreprise que dans les parcours de formation professionnelle qui est aussi une autre des faiblesses françaises.
R. R. : L’économie numérique va effectivement laisser un nombre croissant d’individus de côté. Au vu des progrès de ce que j’appelle la robonumérique, la perspective est vertigineuse. 20 à 25 % de la population pourraient être concernés. Cela renforce les tentations de refuser le numérique, mais ce n’est pas possible dans notre environnement mondialisé. Par effet de levier, on devra tous se mettre au niveau de cette barrière technologique. C’est là où le rôle de l’État sera important pour aider à créer aussi des emplois à plus faible valeur ajoutée dans la relation humaine car tout le monde ne sera pas ingénieur. Le défi est colossal.
J. P. : Sans mécanisme correcteur, l’évolution spontanée de ce monde nouveau s’accompagnera d’un accroissement des inégalités entre les qualifiés et les non qualifiés, les insiders et les outsiders car des professions entières sont menacées de disparition, celles qui n’adopteront pas suffisamment tôt le langage du numérique. Il sera de la responsabilité de la puissance publique de faire en sorte que ce fossé ne se creuse pas trop, donc de revisiter le système de formation et toutes les politiques de logement social, d’aménagement du territoire, pour que les gens, quelle que soit leur fonction dans la société, soient à égalité de dignité. ’
Entretien dirigé par Marcel Grignard, président de Confrontations Europe

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