Hommages à Michel ROCARD

Philippe HERZOG

Président fondateur de Confrontations Europe

Un compagnonnage de 50 ans

Avec émotion et tristesse, je ressens la fin d’une époque partagée, le besoin de transmettre un peu ce que nous avons fait ensemble, même si c’est avec le sentiment de l’inaccompli par rapport à nos ambitions respectives, différentes mais mutuellement respectueuses.
Michel était une personne de grande humanité. Imprégné par son éducation protestante et humaniste, il avait un sens aigu de la responsabilité dans sa vie et envers la société. Révolté par les guerres qu’il a vécues, la paix était sa valeur première et il était un Européen conscient et engagé depuis toujours.
Il était extrêmement respectueux des apports de la science. C’est ce qui nous a immédiatement unis quand, débutant ma vie professionnelle dans la cellule de prévision du ministère des Finances, nous étions cinq à construire avec lui des outils pour éclairer la politique économique de la France. Michel Rocard était à la fois un homme d’État et un critique acéré de l’État. Le dernier en France peut-être à vouloir vraiment le réformer. Avec la tentative de Rationalisation des choix budgétaires et d’une Évaluation rigoureuse des choix publics, puis avec la Commission nationale de planification à laquelle j’ai participé, que d’efforts pour que l’État soit comptable de ses actes ! Michel était tout sauf « souverainiste », profondément anti-jacobin. J’ai pu admirer sa culture historique et sa pugnacité à dénoncer les perversités du Centralisme révolutionnaire français.

En acceptant d’être cofondateur de Confrontations au début des années 1990, il a contribué à donner à cette association sa crédibilité. « C’est mon association » aimait-il à dire chaque fois qu’il venait. Comme le souligne Claude Fischer, Michel savait s’ouvrir aux autres et travailler avec ceux qui n’étaient pas de son camp, jamais partisan, toujours politique, guidé par la passion de vouloir entrer dans la complexité. Au Parlement européen, nous avons travaillé ensemble et en grande entente. Plus récemment il souhaitait la sortie du Royaume-Uni ; nous étions d’avis contraire, mais nous constations l’amertume de celui qui admirait l’apport exceptionnel des Britanniques dans la victoire contre le fascisme. Paradoxalement, il a souffert du vote du Brexit, un échec grave de l’Idée et du Projet européens. Nous étions fiers d’être ses amis.

Philippe Herzog, président-fondateur de Confrontations Europe

Un regard lucide sur l’Europe

Rendre hommage à Michel Rocard oblige à beaucoup d’humilité tant l’homme a marqué par son exigeante lucidité. Jamais dupe des jeux de pouvoirs qui minent les partis politiques et réduisent considérablement leur capacité d’analyse et d’innovation, déplorant « la déculturation de l’opinion publique par la télévision. La politique est de plus en plus présentée par les médias comme une espèce de match dans lequel l’arme centrale c’est le charisme »(1), affirmait-il. Privilégiant la négociation et le compromis sans nier la légitimité du rapport de force face à tout système oppressif. Lucide sur les défis auxquels notre monde doit faire face (engagé sur les questions climatiques) et les limites des réponses issues des institutions nationales et internationales.

Sur l’avenir de l’Europe, dans une belle et longue préface(2) au livre de Philippe Herzog, Michel Rocard (un des fondateurs de Confrontations) y réaffirme l’impératif d’Europe tout en avouant son pessimisme et dit espérer un électrochoc. Il prédit le départ du Royaume-Uni. Il appelle à une Europe plus politique, pointant la précarité de l’Euro. Il souligne le basculement du monde et son désordre (climat, Islam, finances, désertification industrielle…). Il espère enfin l’émergence d’une Europe de pleine capacité souhaitant un engagement des acteurs économiques, sociaux, financiers. C’est aussi ce que souhaite Confrontations, et agir en ce sens est la meilleure manière d’honorer sa mémoire.

Marcel Grignard, président de Confrontations Europe

Et à Jean-Jacques PARIS

Confrontations Europe tenaient à rendre hommage à Jean-Jacques Paris, « artisan du droit social européen » (Liaisons Sociales Europe) qui nous a quittés le 29 juin. Après la DG Emploi de la Commission européenne, où avec deux autres amis de Confrontations Europe, Fernando Vasquez et Odile Quintin, il a bataillé sur de nombreux dossiers sociaux, dont la directive détachement des travailleurs. Il a rejoint nos partenaires du Groupe Alpha, où il a accompagné la constitution des Comités d’entreprises européens et élaboré, avec Mireille Battut notamment, le rapport AgirE sur l’anticipation et la gestion des restructurations. Nous publions sur notre site sa dernière publication sur le détachement des travailleurs dans le secteur européen du transport et adressons toutes nos condoléances à sa famille et amis.

Anne MACEY, déléguée générale de Confrontations Europe

1) Confrontations Europe, La Revue, avril-juin 2009.
2) Préface de Michel Rocard à l’ouvrage Europe, réveille-toi ! Philippe Herzog, Éditions le Manuscrit, 2013.

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