Entretien exclusif avec le président de la COP24

Michal KURTYKA

Vice-ministre de l’Environnement, Pologne & Président de la COP 24

Michal Kurtyka, vice-ministre de l’Environnement au sein du gouvernement polonais et président de la COP24, ami de longues date de Confrontations Europe, nous a accordé une interview dont nous publions ici le texte intégral. Il souligne que la conférence de Katowice de décembre 2018 s’est déroulée dans une atmosphère de solidarité entre États, une situation devenue exceptionnelle au niveau mondial. Pour lutter efficacement contre le changement climatique, Michal Kurtyka nous invite à élargir la focale. Le président de la COP24 rappelle ainsi que la lutte concerne d’autres secteurs que la production d’électricité, des secteurs tels que la gestion des sols et des forêts ou le domaine de la mobilité. Il recommande enfin de prendre en compte le temps long nécessaire pour faire évoluer les systèmes en place et considère que la réussite passe par un accompagnement social dans les activités touchées par la transition énergétique.

Confrontations Europe : Quelles conclusions tirez-vous de la COP24 qui vient de s’achever ?

Michal Kurtyka, vice-ministre polonais de ­l’Environnement, président de la COP24 : Le succès majeur de la COP24, c’est d’avoir adopté et, par conséquent, de mettre en œuvre le « Rulebook » qui rendra l’accord de Paris de 2015 opérationnel. Sans la coopération et la bonne volonté de toutes les parties, l’instauration d’un système mondial de politique climatique doté d’outils de vérification ne serait pas possible. D’après moi, la mise en place d’un système durable prenant en compte les différents niveaux de potentiel et de capacité des États est l’un des éléments les plus importants de l’accord de Katowice. Il convient d’autant plus d’insister sur la bonne volonté aussi bien des pays les plus développés qui participent financièrement aux coûts liés à la réduction des émissions qu’aux pays moins développés. Le sentiment de solidarité entre les différents pays et régions s’est avéré très fort et nous sert d’exemple pour les pro­chaines actions sur le climat. Le dialogue intensif sur la transformation équitable et solidaire n’a fait que renforcer ce sentiment, ce qui permet d’inclure au processus les demandes de tous les groupes sociaux et acteurs de la politique climatique.

Il convient également de souligner que tous les pays détermineront leurs contributions, qui sont déterminées au niveau national selon des principes unifiés pour ensuite les déclarer de façon transparente, ce qui permettra de mieux comprendre les efforts de réduction des émissions dans le monde entier. En outre, il convient de noter la mise en place du comité d’analyse et d’évaluation de la réalisation des objectifs de réduction des émissions par les différents pays. Pour conclure, nous avons réussi à établir un système mondial d’analyse et d’évaluation des efforts dans la lutte contre le changement climatique accepté par toutes les parties. L’accord de Paris sera ainsi mis en œuvre.

Confrontations Europe : Quels en sont les enseignements pour la politique « énergie & climat » de l’Union européenne ?

M. K. : Je pense qu’il convient de retenir et de poursuivre l’atmosphère de dialogue et de solidarité qui a accompagné l’adoption du « Rulebook » de Katowice. Cette manière de procéder est essentielle dans l’Union européenne, tout comme la conscience que les différents États de l’Union doivent composer dans leurs politiques énergétique et climatique avec plusieurs facteurs déterminants, dont certains sont liés à leurs activités actuelles, d’autres à leur passé. Si nous feignons de les ignorer, il nous sera plus difficile d’atteindre les objectifs de la politique énergétique et climatique de l’Union européenne. L’exemple de la politique climatique mondiale nous montre que les processus relatifs au secteur énergétique ou celui de l’extraction sont des processus à long terme. Ce fait ne résulte pas uniquement des investissements à grande échelle dans un secteur tel que l’énergie et, en conséquence, d’une longue période de remboursement, mais aussi de la diffusion des changements technologiques. Ceux-ci sont évidemment plus rapides qu’il y a 50 ans, néanmoins le changement et l’adaptation prend plus de temps dans des secteurs aussi sensibles pour la sécurité économique que l’énergie.

Il existe un autre aspect où la COP24 pourrait servir de source d’inspiration pour l’Union dans sa politique énergétique et climatique. Il s’agit de l’élargissement du champ de discussion sur la protection du climat que nous avons opéré en mettant sur la table trois déclarations consacrées à la transformation solidaire et aux changements sociaux dans le secteur énergétique, à l’absorption de CO2 par les forêts et au développement de la mobilité électrique et des véhicules à émissions nulles. Quelques dizaines de pays, ainsi que 1 500 villes et régions et plus de 1 200 entreprises ont soutenu cette initiative.

La politique énergétique et climatique ne devrait pas se concentrer uniquement sur le secteur de la production d’énergie électrique, mais elle devrait également englober les autres secteurs qui sont des émetteurs importants de gaz à effets de serre. Les transports sont très importants et en pleine expansion, notamment dans l’Union. L’ensemble des analyses, y compris celles de la Commission européenne, indiquent que les émissions en provenance du secteur des transports dans l’Union européenne vont augmenter d’ici 2030. C’est un défi majeur pour l’Europe, tout comme pour les autres régions du monde, surtout celles qui se développent et s’urbanisent très vite.

Confrontations Europe : Quelles en sont les consé­quences pour la politique énergétique de la Pologne ?

M. K. : Le défi principal auquel est confrontée la Pologne ainsi que de nombreux pays en développement rapide à travers le monde consiste à concilier le développement économique avec la protection du climat et de l’environnement. Il convient de mentionner que, selon Eurostat, le PIB de la Pologne a augmenté de 3,1 % en 2016 et de 4,8 % en 2017(1) (avec un développement économique deux fois plus robuste que la croissance moyenne de l’UE). Les données de 2018 seront probablement encore plus prometteuses. Malgré l’accroissement de l’efficacité énergétique, cette réalité engendre une hausse de la demande en énergie.

Selon moi, la meilleure leçon que la Pologne peut tirer de la COP24 pour sa politique énergétique, c’est qu’elle doit lier le développement économique à l’investissement dans les sources d’énergie à émissions nulles. On voit clairement qu’un compromis à l’échelle mondiale est possible. Des pays dont les systèmes énergétiques sont en grande partie basés sur les combustibles fossiles – certains développés, d’autres en voie de développement – contribuent également à la protection du climat, proportionnellement à leurs moyens. On ne peut pas s’attendre bien évidemment à une transformation brutale du bouquet énergétique de la Pologne en quelques années, car une telle révolution n’a jamais été observée nulle part dans le monde. Cependant, il est nécessaire d’investir dans de nouvelles capacités de production qui viendraient remplacer les anciennes centrales électriques, en se basant sur les sources qui permettront une réduction radicale des émissions et sans a priori sur les différentes technologies. Nous devons avant tout nous focaliser sur la réduction des émissions et de la pollution tout en respectant l’efficacité économique et technique (du point de vue du consommateur final et du système énergétique). La diversification des sources de combustibles pour les secteurs émetteurs de gaz à effet de serre autres que le secteur énergétique est un autre élément dont il faut tenir compte. Le soutien au développement des technologies permettant la réduction des émissions dans le transport, la construction et l’agriculture est nécessaire. La politique climatique doit être envisagée dans sa globalité. C’est ainsi que nous la concevons en Pologne et c’est ainsi que nous l’avons présentée à Katowice lors de la COP24.

Questions de Michel Cruciani, conseiller Énergie & Climat pour Confrontations Europe

1) https://ec.europa.eu/eurostat/tgm/refreshTableAction.do?tab=table&plugin=1&pcode=sdg_08_10&language=en

S’APPUYER SUR LE MULTILATÉRALISME POUR AVANCER

François de Rugy, ministre de la Transition écologique et Solidaire, et Brune Poirson, secrétaire d’État, à ses côtés, ont insisté à leur tour sur l’importance de l’accord obtenu à Katowice, dans une période où les tentations unilatéralistes se multiplient. Parmi ses actions spécifiques, la France a notamment contribué à élargir l’aide financière aux pays les plus vulnérables afin de soutenir aussi les mesures d’adaptation au changement climatique, alors que cette aide était initialement restreinte à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La France a aussi milité pour que les pays relèvent leurs engagements à l’échelle nationale de façon à les rendre compatibles avec une hausse de la température moyenne limitée à 1,5 °C à la surface de la Terre d’ici 2100. Cet effort n’a malheureusement pas encore abouti au sein de l’Union européenne : au Conseil européen du 14 décembre 2018, une majorité d’États ont exprimé leur opposition au relèvement des objectifs fixés pour 2030. L’année 2019 marquera-t-elle un revirement ?

Michel CRUCIANI

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