A quoi sert l’entreprise et qui sert-elle ?

Anne MACEY

Déléguée Générale de Confrontations Europe

Aujourd’hui, plus que jamais, les questions « à quoi sert l’entreprise et qui sert-elle ? Doit-elle servir  d’autres parties prenantes que celles qui lui apportent du capital ? » se posent avec acuité. Le plan d’action sur la réforme du gouvernement d’entreprise présenté par la Commission européenne en  décembre dernier entend renforcer l’implication à long terme des actionnaires. Ce plan doit être salué parce qu’il cherche à réhabiliter le temps long, celui de l’investissement humain et productif. Il faudra néanmoins aller beaucoup plus loin pour s’affranchir du seul actionnariat financier et de logiques patrimoniales. Car enfin les actionnaires et les dirigeants ne sont pas les seules parties prenantes de l’entreprise. Elle est avant tout une communauté humaine qui produit des biens et services, donc de la valeur, appropriable sous forme de retour financier par elle-même, mais aussi par la société. Elle fournit des réponses à des besoins collectifs. De plus en plus, elle devra contribuer à répondre aux grands défis sociétaux (villes propres, transports intelligents, santé, voiture propre, énergie décarbonée, climat, sécurité alimentaire…) pour trouver collectivement le chemin d’un développement plus soutenable.
L’entreprise fournit également du travail, qui devait être l’une des principales sources de réalisation de soi. On est encore loin cependant du « travail socialement nécessaire » qui pourrait, selon Simone Weil(1), constituer le fondement spirituel d’une civilisation. Il reste que nous avons lamentablement échoué dans notre valorisation du travail, transformé en emploi, quand il y en a.
Pourtant, la mobilisation des travailleurs, leur montée  en compétences, leur capacité d’initiative, leur participation aux décisions à tous les niveaux sont des investissements stratégiques qui conditionnent la compétitivité des entreprises. Les travailleurs ne pourront s’identifier à l’objectif de compétitivité s’ils ne sont pas en situation de responsabilité, s’ils ne participent pas à la gestion. La compétitivité a aussi, on l’oublie trop souvent, une dimension sociale, qui se concrétise notamment en Allemagne, par la codétermination.
Au plan européen, la  participation des travailleurs est consacrée comme un élément du modèle social européen. C’est un droit fondamental reconnu par la Charte des droits fondamentaux. Elle fait partie intégrante de la démocratie participative. La France peut-elle s’inscrire dans ce modèle social européen de co-détermination ?
L’accord de sécurisation de l’emploi récemment repris dans la loi prévoyait déjà la présence d’un salarié ayant voix délibérative dans les conseils (deux quand le conseil dépasse 12 membres), le rapport Gallois en recommandait au moins 4 dans les entreprises de plus de 5000 salariés. Reste qu’un certain esprit de lutte des classes persiste tant chez certains chefs d’entreprises que chez certains travailleurs. Mais dans la majorité des cas, comme en témoigne l’expérience de grands groupes comme Danone, La Poste ou Sanofi, la poursuite du conflit jusqu’au bout, à partir du moment où il est ouvert, viable, constructif, permet même en France d’aboutir à des résultats.
Il y a loin encore avant que les stratégies et projets d’investissement intègrent des critères d’efficacité sociale, certains diront de performance sociale, c’est-à-dire de valeur ajoutée disponible pour le développement économique et social, et non simplement de rentabilité financière à court terme. Cela suppose un cadre et des incitations, aux plans national et européen, incorporés y compris dans la rémunération des dirigeants et des managers.

1 Citée par Philippe Herzog dans Une tâche infinie. Fragments d’un projet politique européen

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