Elizabeth COLLETT
Directrice du Migration Policy Institute Europe (Bruxelles)
L’accord UE-Turquie sur la question des réfugiés apparaît à court terme comme un succès. Mais il est loin d’apporter une solution globale satisfaisante à l’ensemble des défis.
Trois mois après l’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie visant à gérer les afflux sans précédent de demandeurs d’asile et de migrants qui traversent la mer Égée, l’initiative apparaît clairement comme un succès. L’immigration a chuté de façon radicale : alors que l’on dénombrait 2 000 arrivées par jour sur les îles grecques un mois avant l’application de l’accord, et plus de 10 000 au plus fort de la crise, on n’en compte plus que 50 en moyenne. Les dirigeants européens ont annoncé que leur plan était une réussite incontestable et que la crise européenne était terminée.
Si le nombre d’arrivées est le seul indice de succès ou d’échec, alors les objectifs de cet accord ont été atteints. D’un point de vue politique, cette intervention était nécessaire pour endiguer la montée du chaos et les inquiétudes des populations. Cependant, cette solution pourrait n’être viable qu’à court terme et avoir des répercussions négatives à plus long terme.
La réduction des flux repose sur l’action rapide du gouvernement turc, et sur le message envoyé aux futurs migrants sur la fermeture de la route des Balkans occidentaux. La mise en œuvre de l’accord côté européen se révèle, en revanche, plus aléatoire, notamment en ce qui concerne ses aspects les plus simples, comme les conditions d’accueil. Sur les îles grecques, des centres d’accueil (jusque-là ouverts) conçus pour des séjours de courte durée ont été transformés en centres de détention surpeuplés, offrant des conditions de vie décrites comme effroyables par le Haut-commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés en juin, et peu est entrepris pour y remédier. Le traitement des dossiers prend encore beaucoup de temps et, comme l’avaient prédit de nombreux observateurs, peu de personnes ont effectivement été renvoyées en Turquie dans le cadre de l’accord. Résultat : des milliers de migrants restent bloqués sur les îles de la mer Égée, et rares sont les responsables politiques qui s’intéressent à leur sort.
Des responsabilités externalisées
De même, les processus de relocalisation et de réinstallation prévus par la Grèce et la Turquie sont mis en place au ralenti. En Grèce, moins de 600 demandeurs d’asile ont été relocalisés ailleurs dans l’Union européenne entre la mi-mai et la mi-juin, et 511 Syriens au total ont été réinstallés de la Turquie vers l’Union européenne selon le principe du « un pour un » (ce qui surpasse néanmoins le nombre de retours de ressortissants syriens). Concernant l’autre contrepartie – le déblocage d’un montant de 6 milliards d’euros en faveur des réfugiés par l’UE et les États membres au profit de la Turquie –, seuls 105 millions d’euros ont été alloués à des projets à la mi-juin. La Commission européenne attend toujours que certains États membres honorent leurs promesses d’appui financier.
Mais le plus problématique est sans doute le message inhérent à l’accord. En premier lieu, il s’agissait de faire entendre haut et fort aux citoyens européens que l’UE et les gouvernements européens avaient réussi à « gérer » la crise. Cet objectif a été atteint, à court terme du moins, mais si l’on se concentre sur la menace perçue comme la plus immédiate – les flux de migrants qui transitent par la Turquie –, l’UE a peut-être sous-estimé d’autres problèmes qui l’affectent depuis longtemps, notamment la gestion de la voie maritime dangereuse entre la Libye et l’Italie. L’accord UE-Turquie, pour de nombreuses raisons, n’est probablement pas transposable ailleurs. Le fait que les populations ont moins confiance qu’il y a un an en la capacité de leurs gouvernements de gérer les flux de migrations montre que le spectre d’une crise ingérable hante toujours les consciences. Deuxièmement, le prix élevé de l’accord UE-Turquie amène les pays hors UE à penser que leur coopération sur la question des migrations est une prestation dont la valeur augmente rapidement.
Mais surtout, l’accord semble signifier aux pays accueillant un nombre important de réfugiés (la plupart sont des pays en voie de développement) que leurs responsabilités envers les populations vulnérables et déplacées peuvent être externalisées. Les dirigeants politiques semblent croire que la crise internationale des réfugiés est passée au second plan. Pourtant, la menace est encore réelle pour de nombreux pays, en particulier dans le voisinage de la Syrie. Les récentes déclarations du gouvernement kenyan concernant la fermeture du camp de Dadaab sont un signal fort dont les dirigeants de l’UE, réticents à accepter leurs responsabilités en matière de protection internationale, devraient tenir compte : le reste du monde les observe et a peut-être trop bien appris les leçons de l’accord UE-Turquie.
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