Accis : la nouvelle commission réussira-t-elle l’impossible ?

Paul TANG

Eurodéputé néerlandais S&D, corapporteur de la directive ACCIS (Assiette commune consolidée d’impôts sur les sociétés)

S’il y a bien un sujet qui n’a jamais quitté l’agenda de la Commission Juncker, c’est l’évasion fiscale. Le scandale LuxLeaks a évidemment embarrassé le Président nouvellement élu, lui qui avait été Premier ministre du Luxembourg, le rendant plus royaliste que le roi en la matière. Ce scandale et ceux qui l’ont suivi – Paradise Papers et Panama Papers – n’ont fait qu’attiser le désir de transformer le système d’imposition des sociétés en Europe.

Sous l’impulsion des commissaires Moscovici et Vestager, un véritable changement de paradigme a eu lieu, rompant avec la compétition fiscale effrénée entre États membres qui prévalait jusque-là, encouragée par le manque de gouvernance à l’échelle communautaire dans ce domaine. Vestager a créé un précédent en lançant une offensive contre les cadeaux fiscaux jugés trop généreux accordés à des multinationales par des États membres comme l’Irlande, les Pays-Bas ou le Luxembourg. Quant à Moscovici, il est à l’origine d’une directive contre l’évasion fiscale (ATAD), dont le but est de mettre en œuvre, voire même de dépasser, les accords internationaux conclus dans le cadre de l’OCDE.
Pourtant, les États membres votent encore à l’unanimité sur les sujets fiscaux, qui relèvent des « compétences nationales ». Cette situation crée de fait un système obsolète : les entreprises ont tout loisir de choisir où elles paient leur taxe, sans que les pays puissent décider démocratiquement qui collecte l’impôt. La nouvelle Commission devra donc reprendre la tâche là où la Commission Juncker l’a laissée. Elle devra lutter pour une véritable réforme et une harmonisation des systèmes fiscaux européens. Cela passera nécessairement par la mise en place d’un principe d’imposition fondé sur la destination, taxant les profits là où ils sont réalisés, là où les clients se trouvent, en lieu et place du système actuel fondé sur les prix de transfert. C’est là l’un des principes soutenant la proposition d’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt sur les Sociétés (ACCIS) de la Commission européenne. Prélever l’impôt là où les profits sont réalisés permettrait de résoudre la question de la fiscalité dans une économie numérisée.

Blocage du Conseil de l’UE
C’est à cette aune qu’il faut juger les efforts de l’OCDE pour tenter de combler le fossé entre l’Europe et les États-Unis sur le sujet. Peut-être que la troisième fois sera la bonne pour l’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt sur les Sociétés. Peut-être qu’une nouvelle proposition fondée sur la notion de taux d’imposition effectif minimum sur les profits, une idée défendue par Olaf Scholz, le ministre allemand des Finances, séduira enfin les esprits.
Savoir où les entreprises réalisent leur chiffre d’affaires et leurs profits et quels impôts elles paient dans les différents États membres serait déjà un progrès. Ce manque d’information rend impossible un réel débat sur ce qu’elles devraient payer au titre de l’impôt sur les sociétés. Le Parlement européen réclame que les données soient communiquées pays par pays, mais le Conseil bloque ce dossier depuis trois ans.
Dans le même ordre d’idée, alors que le Parlement voit d’un bon œil une taxation des géants du Web via un impôt sur les services numériques, les États membres, eux, n’arrivent pas à se mettre d’accord. Résultat : une approche fragmentée État par État des revenus de Google, Apple, Facebook et Amazon. L’Union européenne dans ce qu’elle a de pire…
Pour toutes ces raisons, il est très important que la dernière proposition en date – et peut-être la dernière tout court – de l’actuelle Commission fasse son chemin. L’unanimité ne doit plus être la règle en matière de coopération fiscale. Sans quoi, les paradis fiscaux européens (l’Irlande, le Luxembourg, Malte, Chypre et les Pays-Bas) bloqueront tous progrès significatifs en matière de taxation des entreprises en Europe. Sans quoi, l’Europe restera empêtrée dans le statu quo. Ce sont les citoyens ordinaires et les petites entreprises qui paient le prix de l’évasion fiscale des multinationales. La fin du règne de l’unanimité pourrait permettre à la nouvelle Commission de réaliser l’impossible : réformer et moderniser le système d’imposition des sociétés.

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