Claude FISCHER
Présidente d’honneur de Confrontations Europe
Stratégie 2050 : les nouveaux investissements sont considérables, ils ont besoin de choix politiques et d’un cadre de régulation stables et clairs… Ils doivent articuler l’impératif climatique mondial et l’impératif industriel européen.
Tenir le cap climatique correspond à nos valeurs et à nos intérêts de grande importatrice d’énergies fossiles, mais en l’absence d’accord international, l’UE doit pouvoir importer son énergie au moindre coût et ménager ses propres ressources pour en faire des ressources stratégiques à long terme.
Créer un véritable marché-réseau-système européen unifié et intelligent nécessitera beaucoup d’innovations et la diffusion des technologies de l’information et la communication dans l’électrification des usages, des transports et du secteur du chauffage-climatisation.
La stratégie 2030 doit rompre avec celle adoptée pour 2020 avec le « triple 20». L’Union continuera à jouer son rôle d’avant-garde dans la lutte climatique mais elle doit le faire beaucoup mieux en accord avec les besoins impérieux du développement de son industrie dans la compétition mondiale, et de la réduction de ses déséquilibres internes.
Un seul objectif-cible doit être contraignant, celui de la réduction des émissions. Il doit être de 40% en 2030 par rapport à 1990 pour être en ligne avec la lutte climatique mondiale, mais sous deux conditions : un accord international conclu avant 2020 réunissant une masse critique de pays représentant au moins 50% des émissions mondiales ; une meilleure articulation avec la politique économique et industrielle de l’Union.
Faute de quoi, l’objectif devra être réduit à un niveau inférieur à chiffrer en fonction du niveau des technologies disponibles et de notre capacité de défense commerciale dans une concurrence mondiale asymétrique et il faudra définir une politique extérieure qui, à la fois, protège notre industrie et incite les pays tiers à s’engager.
Il faut abandonner tout objectif-cible contraignant pour les renouvelables et plutôt viser une diversité du mix énergétique dé-carboné combinant nucléaire, capture stockage du carbone (CSC) et renouvelables.
Le développement du gaz, y compris le gaz non conventionnel, aidera à atteindre l’objectif climatique de 2030 de façon compétitive, en attendant le CSC pour le charbon propre (et pour le gaz), qui ne pourra se déployer au mieux qu’après 2030. Un mix diversifié au lieu d’un monopole des renouvelables est la meilleure façon de promouvoir la compétitivité des industries intensives en énergie et il offrira aux industries d’équipement énergétiques de plus grandes perspectives de développement interne et sur le marché mondial. C’est aussi la seule façon de permettre le rééquilibrage interne et d’aboutir à un accord politique à 27. La diversité d’un mix dé-carboné permet le choix national que le monopole des renouvelables interdit.
Atteindre l’objectif climatique dans la diversité d’un mix conçu de façon compétitive et solidaire passe par deux voies :
- Réformer le cadre européen des marchés du carbone et des énergies.
Concernant les gros émetteurs, le système européen d’échange de quotas d’émission doit être réformé en instaurant un prix plancher pour les quotas d’émission carbone. Pour les petits émetteurs, il faut aller vers une taxe carbone avec un premier objectif d’aboutir pour les carburants et l’automobile en 2030. On va franchir un pas majeur dans l’édification d’un marché-réseau-système unifié européen pour l’électricité et le gaz d’ici 2020 avec les codes de réseaux de 2014 et le Paquet Infrastructures. Ce travail doit être complété pour que le réseau électrique respecte la neutralité technologique, que les règles de marché intérieur permettent un traitement sans discrimination de toutes les sources dé-carbonées, les traitant selon leur maturité technologique et commerciale, et non selon qu’elles sont renouvelables ou pas.
La réforme doit aller jusqu’à celle du marché de gros, conservant un marché spot pour les énergies où le combustible compte, mais ajoutant un marché de contrats à long terme quand il ne compte plus, pour l’éolien, le solaire mais aussi pour le nucléaire et le CSC.
- Négocier un Pacte européen de solidarité énergétique entre les 27 Etats membres.
Il visera à concilier « le droit des peuples à exploiter ses propres ressources » et le bien commun d’une énergie dé-carbonée au meilleur prix possible.
Un objectif indicatif – mais non contraignant – peut être fixé pour les renouvelables (30%), mais dans ce cas, un objectif doit l’être aussi pour le nucléaire (20-25%) et le CSC (5-10%).
En même temps les « affinités » entre Etats membres doivent déboucher sur des coopérations renforcées ou à géométrie variable, par type de technologie. La « dimension sociale » s’invitera dans la négociation car la convergence des prix consécutive au nouveau pas dans l’intégration énergétique européenne conduira à des chocs de prix dans certains pays.
Des Fonds pour l’industrie dé-carbonée européenne doivent inciter à conclure ces négociations en permettant le financement à taux réduit sur 30-40 ans des réseaux et des projets de production dé-carbonée où la majeure partie des coûts est celle de l’investissement. Ces Fonds doivent aider à ré-équilibrer entre les Etats membres le développement industriel dépendant de l’énergie. Ils permettront aussi de financer l’aide aux consommateurs en précarité énergétique.
Un Sommet annuel participatif de la transition énergétique européenne, rendez-vous annuel du Conseil entouré du Parlement européen, de tous les Fora par énergie, et associé au Dialogue du CESE, doit être instauré. Il permettra de faire le suivi du mix diversifié européen et l’inventaire des problèmes à résoudre, aidant la Commission à conduire son programme de travail.
Cette nouvelle stratégie climatique dans la diversité du mix correspond aux intérêts de la France et lui offre un rôle pivot pour obtenir l’accord européen. La France doit impérativement arrêter son déclin industriel, ce qui implique qu’elle défende ses atouts et crée de nouvelles industries compétitives dans le monde. Son atout numéro 1 dans l’énergie est son électricité et son industrie nucléaire. Grâce à lui, elle est un des pays les moins carbonés du monde, avec des prix compétitifs pour les industries intensives en énergie et une industrie nucléaire exportatrice dans le monde. Ce serait folie de sacrifier cet atout unique. Mais nous avons l’expérience des risques liés à une mono-industrie, de la houille du Nord à la sidérurgie lorraine, et nous devons diversifier en développant de nouveaux atouts. Le CEA a déjà depuis longtemps entamé ce mouvement pour la recherche dans les énergies renouvelables, mais nous sommes encore loin d’une diversification industrielle.
Il faut tirer le bénéfice maximum de notre parc nucléaire et augmenter nos autres capacités de production de façon diversifiée. Une réduction du nucléaire à date et chiffres « couperet » du type 50% en 2025, n’a aucun intérêt, elle ne fait pas progresser la réduction des émissions, obère notre compétitivité et nous prive de tout atout dans les négociations européennes à venir.
Pour le gaz non conventionnel, la France aurait tort de décréter a priori son abandon. Elle risque de se retrouver seule dans cette posture en Europe, laissant filer une chance de développement industriel alors qu’elle a une industrie d’exploration-production pétro-gazière qui constitue un atout.
Une diversification accompagnée d’une offre de coopération nucléaire aux partenaires et d’une demande de coopération dans les renouvelables non encore matures est une chance historique pour la France de jouer un rôle de rassembleur.
Elle porterait un « compromis historique » entre l’Europe nucléaire et l’Europe a-nucléaire, alors que la division empoisonne le débat européen et bloque tout accord.