Yannick BLANC
Président de la Fonda
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Le parcours criminel des terroristes de janvier, l’ampleur du phénomène de radicalisation observé dans certains quartiers d’habitat social mettent en exergue la profondeur et la persistance de ce que Manuel Valls, reprenant une expression utilisée par J.-P. Chevènement il y a plus de 15 ans, a appelé l’apartheid social. Le phénomène n’est pas nouveau, il a été analysé par J.-M. Delarue il y a vingt-cinq ans et par Jacques Donzelot il y a dix ans, au moment des émeutes de 2005. Il serait grotesque de dire que rien n’a été fait entre temps et un peu rapide de proclamer une fois pour toutes « l’échec de la politique de la ville », mais la gravité des événements nous force à poser à nouveau la question de la fragmentation de la société française.
Pour comprendre à la fois le séparatisme socio-ethnique et la radicalisation, il faut resituer les quartiers et les politiques publiques qui y ont été menées dans le contexte des autres mutations socio-économiques en cours. Le cas du marché de l’emploi est le plus significatif : tandis que la politique de la ville s’efforçait de retisser le lien social, la financiarisation de l’économie imposait des critères de performance économique conduisant à la destruction massive ou à la précarisation des emplois les moins qualifiés. Pour plusieurs générations de migrants depuis plus d’un siècle, la communauté de travail avait été, de très loin, le plus puissant moteur de l’intégration. Observons ce qui se passe aujourd’hui dans les entreprises, la prévalence de la souffrance au travail dans les unes, la perplexité devant le comportement de la génération Y dans les autres et imaginons l’effet que peuvent avoir ces phénomènes de déstructuration du monde du travail sur les jeunes « issus des quartiers » ! Avant de prononcer la « faillite de l’Education nationale », jetons un regard lucide sur le monde promis à ceux de ses élèves qui n’auront pas rejoint l’élite. Comme le dit justement Jacques Donzelot, il est vain de vouloir faire entrer de la mixité sociale dans les quartiers tant que leurs habitants ne pourront imaginer avoir leur place dans le reste de la société.
C’est dans ce contexte de fragmentation qu’il faut analyser le paradoxe du communautarisme. Toutes les générations de migrants ont construit leur intégration à la société française au moyen de structures communautaires fortes dont la dimension religieuse était rarement absente : des Italiens du début du XXème siècle aux Chinois d’aujourd’hui, en passant par les Arméniens, les Polonais, les Portugais. Aucune de ces communautés n’a été perçue comme une menace pour l’unité de la République. A contrario, les musulmans du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne ne disposent pas de telles institutions communautaires et l’incapacité du Conseil français du culte musulman à structurer une communauté religieuse démonte la difficulté objective du problème. Il n’existe pas d’autorité religieuse dans l’islam européen. La plupart des imams exerçant en France sont soit des « autoentrepreneurs moraux » en situation plus que précaire, soit des fonctionnaires étrangers formés à un islam particulièrement rétrograde. Ce qu’on appelle aujourd’hui le communautarisme ne correspond pas à l’existence d’une communauté mais à une surenchère symbolique déployée dans l’espace public. La laïcité à la française, qui est à la fois indépendance mais aussi indifférence du politique à l’égard du religieux, est ainsi prise à revers dans la mesure où l’anomie religieuse vécue par les musulmans est devenue un problème politique. C’est donc moins de prohibition que d’empathie qu’a besoin la laïcité pour permettre à chaque Français de se voir reconnu un parcours dans la société.
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Quelques analyses de décryptage
Olivier Roy, dans Le Monde du 9 janvier, met en garde contre la volonté de considérer la population musulmane de France comme une communauté : « On impute à la population musulmane une communautarisation qu’on lui reproche ensuite de ne pas exhiber». Or d’après ce spécialiste de l’islam, « nos » musulmans sont bien plus intégrés à la société française qu’on ne le pense, et ils ne cherchent à mettre en place ni institutions représentatives ni réseaux associatifs à l’échelle nationale. Le vote musulman n’existe pas. Les jeunes radicalisés, qui rejoignent l’Etat islamique sont en totale rupture avec l’islam de leurs parents et les cultures des sociétés musulmanes. Il s’agit d’individus isolés « qui se resocialisent dans le cadre d’une petite bande qui se vit comme l’avant-garde d’une communauté musulmane, laquelle n’a pour eux aucune réalité sociale concrète, mais relève de l’imaginaire : aucun n’était inséré dans une sociabilité de masse, qu’elle soit religieuse, politique ou associative » (extrait du n° 47 de la publication Le 1).
De son côté, le chercheur et enseignant Rachid Benzine explique dans La Croix qu’avec l’abandon de l’islamologie par l’université française, il n’existe plus de lieu où les musulmans peuvent étudier leur religion de façon intelligente et distanciée. Or seule la théologie permet de prendre la distance critique nécessaire pour se détacher des représentations.
Katarina CIRODDE, Chargée d’études, Confrontations Europe