ue et infrastructures : le pont, un outil de communication

Auteur : Christian Tridon

président du STRRES (Syndicat national des entrepreneurs spécialistes
de travaux de réparation et de renforcement des structures), vice-président du groupe de travail dédié
aux infrastructures au sein de la Fédération de l’industrie européenne de la construction (FIEC)

Des ouvrages d’art devenus vétustes. La catastrophe survenue en Italie en août 2018 – l’effondrement du pont Morandi – a tragiquement rappelé la nécessité d’entretenir ses infrastructures et le cas italien n’est malheureusement pas isolé. En France, au mois d’octobre dernier, un « plan Marshall » destiné à l’entretien des ponts a été demandé par le Sénat. Comme le rappelle Christian Tridon, c’est la une nécessité européenne.

Le 14 août 2018 le pont Morandi, à Gênes, s’effondrait, causant la mort de 43 personnes. Les projecteurs des médias se sont dirigés sur la qualité des ponts. La France n’y a pas échappé. Ce drame a malheureusement souligné la vétusté des ouvrages d’art en Europe liée au vieillissement des structures. Cette catastrophe a aussi mis en exergue la nécessité d’assurer un entretien du patrimoine existant, à l’aide d’un suivi adéquat et la mobilisation de financements à la hauteur de l’ampleur des besoins.

Comme dans beaucoup d’autres pays européens, 60 % des ouvrages en France ont été construits depuis les années 1950, c’est-à-dire après la dernière guerre mondiale. Et contrairement aux ponts plus anciens, principalement en maçonnerie de pierre, Ils l’ont été, eux, à l’aide de deux seuls matériaux, le béton armé et l’acier. Ces matériaux, nous le savons aujourd’hui, ont des comportements très ­différents de ceux de la maçonnerie traditionnelle, ils répondent à des lois électro-chimiques qui conduisent souvent assez rapidement, à la corrosion des aciers de constitution et d’armature.

De plus, ces ouvrages, dont une très grande majorité ont été bâtis sur une fondation constituée de pieux en bois battus dans le lit du cours d’eau, sont confrontés, depuis quelques décennies, à l’abaissement progressif du niveau d’étiage des rivières et des fleuves du fait du changement climatique. Ces pieux, les anciens avaient fait en sorte de les maintenir entièrement et constamment immergés. Leur partie supérieure se retrouve aujourd’hui souvent à l’air libre. Ce qui en provoque la destruction par pourrissement accéléré du matériau, et fait encourir le risque d’un début de basculement de l’ouvrage lui-même. Ce phénomène ne va faire que se poursuivre et bien évidemment s’amplifier. Ce patrimoine d’ouvrages est très important. À l’échelle européenne, nous estimons de façon très approximative le nombre de ponts routiers à environ 800 000 ouvrages. La valeur « neuve » de ces ouvrages est considérable, mais bien au-delà de leur coût de remplacement, auquel on oublie souvent de rajouter celui de la démolition de l’ancien ouvrage, ils représentent une valeur sociétale et économique tout aussi considérable.

Or le pont est le maillon faible et essentiel de la continuité de la voie qu’il supporte. Il permet à la route, la voie ferrée ou la voie fluviale de franchir tous les obstacles naturels ou artificiels. Il rapproche, pour le pire ou le meilleur. Rappelons la célèbre phrase d’Isaac Newton « l’Homme construit trop de murs et pas assez de Ponts ». Elle est malheureusement aujourd’hui, d’une actualité redoutable.

 Une prise de conscience nécessaire : entretenir le patrimoine existant

Les ouvrages de demain s’adapteront aux contraintes nouvelles. Mais l’impératif est d’abord de veiller aux ouvrages existants. Leur nombre est considérable et leur état est, pour beaucoup d’entre eux, soumis également à ces nouvelles contraintes. Des charges toujours plus importantes, des phénomènes climatiques, nous l’avons vu, qui agissent sur la qualité de leur fondation. Mais le pire de tous, c’est le défaut d’entretien. Nous laissons vieillir et se dégrader les structures, sous le seul prétexte que tout allait bien jusqu’ici, et que de toute façon les crédits, rares, sont ailleurs.

Nous laissons ainsi aux générations futures le soin de les réparer ou de les remplacer. La vitesse de dégradation s’accélère et nous rattrape. De nombreux ouvrages, en Europe et dans le monde arrivent en bout de course, et ce ne sont pas toujours les plus anciens, nous le savons. Les effondrements ont débuté et le processus n’est pas près de s’arrêter si nous ne mettons pas les moyens nécessaires à la conservation de ces ouvrages.

Si le catalogue des dégradations a progressé, celui des procédés d’entretien et de réparation s’est considérablement étoffé. Le Syndicat National des Entrepreneurs Spécialistes de Travaux de Réparation et Renforcement de Structures (STRRES) a notamment élaboré toute une série de Guides techniques (20 au total) décrivant les technologies de réparation et de confortement de structure(1). Il est donc impératif de persuader les gestionnaires de provisionner les crédits nécessaires afin de mettre en place tout le processus permettant ces actions. C’est là, tout le combat traditionnel entre le préventif et le curatif.

À la suite de la catastrophe de Gênes, une commission sénatoriale a été constituée en France dès le mois d’octobre 2019. Outre un « plan Marshall » demandé par les sénateurs afin d’augmenter très fortement (budget actuel multiplié par trois) les crédits consacrés à l’entretien des ponts, il en est ressorti deux autres propositions importantes : la création d’une ligne budgétaire afin d’inscrire, à l’actif du bilan de la comptabilité publique, la notion d’évaluation patrimoniale et notamment celle du coût des ouvrages d’art. Enfin, et pas des moindres, l’obligation de créer un « Carnet de Maintenance » attaché à chaque pont. Ce document comportera une fiche technique (sorte de fiche d’identité de l’ouvrage), une fiche d’entretien, qui décrira les modalités de surveillance et d’entretien courant spécifiques à l’ouvrage ­référencé, et enfin, une fiche d’actions, dans laquelle, le gestionnaire devra inscrire toutes les actions correctives menées sur cet ouvrage.

L’intérêt d’un tel document est évident. Il permet d’identifier de façon exhaustive, l’ensemble des ponts, de créer ainsi un premier (et rapide) diagnostic afin de pouvoir évaluer de façon assez précise la masse des travaux nécessaires pour remettre à niveau le parc d’ouvrages, il donne le modèle de surveillance et d’entretien adapté à l’ouvrage, et enfin, il permet la mise en place d’une traçabilité des actions engagées par le gestionnaire. Cela est particulièrement dans un pays comme la France, bénéficiant d’un réseau routier très important : 1 million de km de routes et 200 000 ponts environ, soit une moyenne d’un pont tous les 5 km(2).

 L’intérêt d’agir au niveau européen

Le problème du vieillissement des ouvrages d’art est commun à tous les pays d’Europe. Il est donc primordial que l’Union européenne offre un cadre permettant d’assurer un entretien adéquat de ces infrastructures indispensables à l’accessibilité et la compétitivité. À cet égard, le STRRES a pris l’initiative de créer, au sein de la Fédération de l’industrie européenne de la construction (FIEC)(3) un groupe de travail dédié à la maintenance des ponts. On y retrouve aujourd’hui, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne, l’Italie et la France. C’est un début. C’est pour l’instant un lieu d’échange et de partage pour tout un ensemble de sujets, tels que les techniques de surveillance, la connaissance des pathologies, la technologie des travaux, la formation des personnels. C’est dans cet esprit que le premier colloque européen sur le thème de la sécurité des ponts se tiendra les 17 et 18 juin 2020, dans l’enceinte du Conseil de l’Europe à Strasbourg(4).

Les cathédrales ont été les grandes constructions qui ont marqué la sortie du Moyen-Âge. Les voies de communication terrestres telles que les routes, les voies ferrées et les canaux fluviaux, ont été celles qui ont marqué le nouveau régime. Elles ont permis les échanges économiques et culturels. Ces constructions sont finalement très récentes, commencées il y a à tout juste 150 ans, elles se sont modernisées au cours du xxe siècle avec les autoroutes et les lignes à grande vitesse. Bien d’autres liaisons sont encore à construire, mais l’essentiel de notre énergie doit à présent se consacrer à la conservation du patrimoine existant.

Il y a 20 ans, l’Europe mettait en place une monnaie unique, l’Euro. Quel meilleur symbole de la communication entre les Hommes, que la monnaie ? Et qu’avons-nous inscrit sur la face de ces billets ? Un pont.

1) Ils sont disponibles sur le site du Syndicat national des entrepreneurs spécialistes de travaux de réparation et de renforcement des structures (STTRES) : http://www.strres.org.
2) Un pont est retenu pour une ouverture minimale de 2 mètres.
3) La FIEC rassemble 31 fédérations du secteur de la construction dans 27 pays européens.
4) L’inscription sera ouverte sur le site de l’association Le Pont : https://www.le-pont.com.

 

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