L’Union bancaire au chevet des citoyens

Marie-France BAUD

Directrice du bureau de Bruxelles, Confrontations Europe

Le mécanisme de résolution bancaire, deuxième pilier de la réforme financière phare de l’Europe, est entré dans sa mise en œuvre. Le défi est formidable pour la stabilité financière et la sécurité des déposants.

La crise financière qui a éclaté en 2007- 2008 a montré les conséquences que peut avoir la faillite d’une banque. Elle a conduit la Commission européenne à renforcer la supervision des établissements financiers de la zone euro. Inimaginable voici quelques années, l’idée d’un contrôle central et impartial du système bancaire européen et des garanties qui lui sont adossées a pris corps assez vite avec l’Union bancaire, créée en 2013 pour purger le système de ses excès et restaurer la stabilité financière et la confiance sans lesquelles l’Europe ne peut s’extraire de la crise dans laquelle elle est engluée. Ce nouvel âge de la super- vision partagée, qui enlève tout soupçon de passe-droit, est une avancée spectaculaire car il implique pour les États de consentir à un abandon de souveraineté. Ce qui fera peut-être de l’Union bancaire, une fois finalisée, le projet le plus important qui ait été conduit depuis la création de l’euro.
L’Union bancaire s’appuie sur trois piliers : tout d’abord, un mécanisme de supervision unique, opérationnel depuis novembre 2014, sous l’égide de la Banque centrale européenne, qui fait que toutes les banques sont soumises aux mêmes normes prudentielles. En deuxième lieu, un mécanisme de résolution unique (MRU), pour répondre à une défaillance bancaire. Enfin, un fonds unique de garantie des dépôts (EDIS), le complément indispensable pour faire face à une crise financière, encore à construire après son coup d’envoi législatif en 2015. C’est une ère de changement et d’adaptation qui s’est ainsi ouverte pour les superviseurs nationaux et les acteurs de la finance. Elle a des conséquences paradoxales comme l’a montré la tourmente boursière qu’ont récemment traversées les banques européennes, qui sonne comme un avertissement sur l’urgence de finaliser l’Union bancaire dans un contexte où l’architecture financière internationale est loin d’être satisfaisante.
2016 est donc l’année de mise en œuvre de la résolution bancaire, le deuxième pilier de l’Union bancaire, pour résoudre de façon égale et non biaisée par des considérations poli- tiques la question des banques défaillantes en Europe. La résolution n’atteint pas le niveau de centralisation du processus de supervision : fruit d’un compromis politique difficile, elle repose, contrairement à son nom, sur une juxtaposition complexe de dispositifs nationaux et européens, mais c’est un pas en avant. Elle s’appuie sur le règlement Mécanisme de résolution unique (MRU) qui s’articule lui- même autour d’un code de conduite, la directive BRDD (Banking Recovery and Resolution Directive), qui devait entrer en vigueur de façon harmonisée dans les 28 États membres au 1er janvier 2016. Tous ne l’ont pas transposé.
Enjeux et priorités
Que rend possible cette directive ? Elle permet d’encadrer les régimes nationaux de redressement et de résolution bancaire et de définir la hiérarchie selon laquelle les actionnaires puis les créanciers des banques sont amenés à participer au renflouement des banques. Il s’agit d’organiser pour les banques de la zone euro le passage du régime de bail-out (les États sauvent les banques de la faillite), à celui du bail-in (les pertes des banques sont portées dans l’ordre par les actionnaires, les porteurs d’obligations junior puis senior et éventuellement par les détenteurs de dépôts non assurés supérieurs à 100 000 euros). L’État (l’argent public) n’intervient qu’en quatrième et dernier ressort si le recours aux actionnaires, aux obligataires, aux déposants ne suffit pas. L’objectif est double : réduire le recours à l’argent des contribuables pour sauver de la faillite un établissement financier, inciter les banques à prendre moins de risques en faisant  disparaître la garantie de sauvetage par l’État. Or, la mise en œuvre des instruments de ce bail in pose problème : s’il existe bien une hiérarchie des créanciers, elle n’est pas homogène en Europe et posera la question de l’équité de traitement entre banque.
Le règlement MRU repose sur deux entités spécifiques, un conseil de résolution unique, qui avec les autorités nationales compétentes, prépare les décisions relatives au démantèlement, ou au sauvetage d’un établissement bancaire en difficulté, et un fonds de résolution unique, sorte d’« assurance », qui sera doté progressivement d’ici au 1er janvier 2024 d’environ 55 milliards d’euros abondés par toutes les banques des pays de l’Union bancaire. Un partage de compétences est prévu entre le Conseil des ministres de l’Union, la Commission européenne, le conseil de résolution unique, une agence de l’Union et les autorités de résolution nationales.
Trois phases séquencées sont prévues : préparation, à l’appui de scénarios de crise prédéterminés (living wills) établis par les banques, actualisés chaque année, qui seront utilisés dans l’élaboration de plans de redressement, en collaboration avec les autorités nationales ; intervention précoce en amont dans une situation critique (changement de management, par exemple) et, enfin, résolution, en coopération entre juridictions pour les banques transfrontalières.
La résolution peut prendre plusieurs formes : cession d’actifs à d’autres acteurs privés, transfert d’activités à une structure temporaire ; transfert partiel d’actifs et/ou de passifs afin d’isoler les actifs à problèmes, mise à contribution des créanciers par renflouement interne (bail in). Elle se déroule en trois temps : déclenchement, c’est le point clef et dans les faits, c’est la BCE, en tant que superviseur unique, qui déclenche l’intervention du conseil de résolution ; stabilisation de la banque avec les plans de redressement établis afin de ne pas perturber les marchés et d’assurer des répercussions minimales sur l’économie réelle ; restructuration pour permettre le redressement de l’établissement, son démantèlement ordonné avec un changement de structure ou sa disparition.
On le constate, le processus est complexe : les autorités dans l’Union et dans les pays tiers où les banques européennes exercent leur activité doivent avoir la volonté de mettre rapidement en résolution une banque qui a atteint le point de non-viabilité – mais, sur quels critères le définit-on ? – et être capables d’utiliser les instruments appropriés pour stabiliser la situation interne et restructurer. Les détails techniques des living wills en amont sont très importants pour faciliter la résolution car, pour avoir une chance de réussite, le plan de résolution doit être mis en place le temps d’un week-end, entre la clôture des marchés le vendredi et leur ouverture le lundi matin. Les conséquences  opérationnelles  sont considérables pour les banques qui doivent élaborer des plans de résolution détaillés et pour les autorités nationales qui doivent créer des autorités de résolution. Une réponse pourrait consister en l’adoption d’une législation européenne sur la faillite des banques, ou au moins des 122 soumises à la supervision directe de la BCE, dont l’application serait confiée à une juridiction  européenne(1).
Point de non-retour
La directive BRRD modifie profondément la perception du risque bancaire pour les investisseurs : d’un côté, les banques sont nettement mieux capitalisées, ce qui pourrait laisser croire que la probabilité de situations critiques est plus faible ; de l’autre, le risque augmente pour certaines couches de la structure de leur capital. Les investisseurs et actionnaires doivent savoir, non seulement ce qu’ils risquent de perdre, mais aussi ce qu’ils peuvent récupérer et par quel mécanisme. On l’a vérifié avec la tourmente qu’ont traversée les banques européennes en ce début d’année, fragilisées par l’incertitude sur leur solidité. Le doute est alimenté par l’environnement macro-économique, la détérioration de la qualité de leurs actifs et le point de rupture auquel conduit la politique monétaire. Et pour ne rien arranger, les banques font face à des défis opérationnels majeurs, devant superposer deux canaux de distribution (physique et digital) dans une période de récession. Leur business model évolue dans un contexte où le passage au bail-in rend plus risqué les titres émis par les banques dans des périodes d’incertitude. Et les met en difficulté sur leurs ressources.
Le défi de la résolution est formidable, les biais domestiques sont à craindre, la coordination entre de multiples juridictions sera épineuse, tout comme la question du partage de l’information dans le processus de résolution : même s’il est ordonné, le risque existe que les déposants se précipitent pour retirer leur argent et déclenchent le risque de liquidité. Mais ne sabotons pas les efforts entrepris.

1) L’euro en question(s) de Philippe Maystadt, aux éditions Avant-Propos, collection Essais, 2015.

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