Créer un « new deal » pour la zone euro

Carole ULMER

Directrice des études à Confrontations Europe

Rénover la gouvernance de la zone euro, le dossier a été timidement remis sur la table, en juin 2015, avec la publication du Rapport des cinq présidents. Mais ce sont les crises (Grèce, migrants…) que traverse l’Europe qui font apparaître avec plus de force la nécessité de renouveler le projet européen commun.

© European Union 2015 - EC, Photo : Ansotte Etienne / Audiovisual Service, Shimera
© European Union 2015 – EC, Photo : Ansotte Etienne / Audiovisual Service, Shimera

La crise a révélé les insuffisances de la construction de notre Union économique et monétaire : l’Union est imparfaite, non seulement sur le plan économique et budgétaire, mais aussi politique. Étonnant paradoxe : malgré la violence de la crise, dans bon nombre de pays, les opinions publiques ont démontré leur attachement à la monnaie commune. Le cas le plus emblématique étant sans aucun doute celui des Grecs.
Quelque chose dans la mécanique de la gouvernance de l’Union n’a pas fonctionné. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier. L’idée n’est pas neuve : des étapes ont été engagées pendant la crise. Des initiatives politiques de renforcement de la zone euro ont été aussi initiées par l’ancien président du Conseil Herman von Rompuy. Dans cette continuité, les cinq présidents(1) ont commis leur rapport destiné à renforcer la zone euro en juin. Un chantier en friche donc, mais qui, jusqu’alors, n’avançait pas faute d’une réelle volonté politique.
L’été a changé la donne. La gestion chaotique de la crise grecque et l’évocation par le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, d’une sortie temporaire de la Grèce de la zone euro a mis le feu aux poudres. En évoquant cette possibilité, ce dernier a laissé s’échapper le mauvais génie de la bouteille. Certains ont été jusqu’à évoquer un « coup ». Une chose est sûre : il a fragilisé l’idée que l’appartenance à la zone euro était irrévocable. Auparavant, nos leaders avaient pris grand soin de marteler qu’ils feraient tout ce qu’ils pourraient pour maintenir l’intégrité de la zone euro. Aujourd’hui, une brèche est ouverte. Depuis, les prises de parole se multi- plient en faveur d’un gouvernement de la zone euro.
Redonner sens à notre projet commun
« La monnaie européenne fait-elle encore sens pour l’avenir ? »(2). Le fait qu’un économiste de renom, européen convaincu, Jean Pisani Ferry pose cette question est en soi révélateur de la gravité de la situation.
Le coût d’une sortie de la zone euro n’est pas un argument suffisant pour éluder cette question. On ne reste pas marié parce que le divorce coûte trop cher. « Qu’attendions-nous de la monnaie unique ? », se demande-t-il. Trois bénéfices étaient espérés. On souhaitait que l’euro devienne l’une des principales devises : il est la deuxième monnaie internationale, derrière le dollar. C’est là une réussite. On pensait que l’Union monétaire allait favoriser l’intégration et la convergence économique et stimuler la croissance à long terme. En réalité, les divergences économiques et sociales se sont durement accrues au sein de l’Union européenne – certains pays ont brutalement payé le prix d’années de non-adaptation de leur économie à la monnaie commune sans qu’aucune politique économique commune ne soit à même de les aider. Le tout, dans un contexte européen de croissance faible. Enfin, on se disait que les règles et institutions sur lesquelles repose l’euro permettraient automatiquement d’améliorer les politiques économiques. La crise a démontré le contraire. Bruxelles a été fréquemment perçue comme pourvoyeuse de règles disciplinaires uniformes sans que les dimensions de rétablissement solidaire des économies en difficulté ne soient suffisamment élaborées. Et les complexes mécanismes de décision intergouvernementaux n’ont fait que renforcer le manque de sens des responsabilités partagées. Les légitimités démocratiques nationales ont été trop souvent renvoyées les unes contre les autres.
Cartons rouges donc : l’euro a déçu deux fois sur trois. Il faut maintenant se doter des instruments et institutions permettant à l’Union de porter correctement ces ambitions. Et répondre, dans le même temps, à la préoccupation de court terme de nos concitoyens : la consolidation de la reprise et la réduction du chômage. Nous traversons une crise politique et identitaire profonde. « Définir un cap et un projet »(3) comme le dit Philippe Herzog, associer l’euro à un récit positif est la mission qui incombe à nos dirigeants. La stabilité ne suffit pas si la croissance est oblitérée. Quels sont les biens publics qui requièrent une action commune ?
Évoquer la sortie – même temporaire – d’un pays de la zone euro a fragilisé cette idée de construction d’une Union fondée sur l’idée d’un intérêt général européen supérieur à la somme des intérêts nationaux. Affaiblir cette ambition c’est prendre le risque de transformer l’Union européenne en un projet purement utilitariste où chaque pays va froidement mesurer les pour et les contre de son appartenance à la zone. Dans un tel processus, seuls dominent les intérêts nationaux.
Responsabilité partagée et partage des risques
Pour éviter ce délitement, nous devons recréer le sentiment d’une responsabilité commune. La crise migratoire actuelle est un test de la volonté de nos dirigeants d’y parvenir dans les faits. Louvoye – merkeln « Renouveler le projet européen suppose de définir nos responsabilités communes et un plus grand partage des risques »(4). Pour cela il est impératif d’établir un diagnostic partagé et un consensus suffisant quant à la nature des problèmes à résoudre. Or il y a fort à parier que certains termes, tels que compétitivité ou partage des risques n’aient pas la même résonance partout. Deux mondes semblent coexister. L’Allemagne s’est focalisée sur une gestion par les règles et un rejet de l’union de transferts. La France appelle à une Europe de la solidarité mais est pointée du doigt pour son manque de réformes. Or, définir nos ambitions communes ne pourra se faire qu’en dépassant nos tabous respectifs et en répondant aux craintes de chacun.
Stabilité, opportunités et solidarité
Le Rapport des cinq présidents a le mérite de tracer des pistes de réformes autour desquelles le débat peut s’ouvrir et de définir un calendrier de court et moyen terme. À nos yeux, un véritable gouvernement de la zone euro doit être moteur de stabilité, et d’opportunités nouvelles pour nos entreprises et pour nos citoyens.
Stabiliser l’Union passe notamment par la finalisation de l’Union bancaire(5). Mais pour casser véritablement le lien entre dette bancaire et dette souveraine, encore faut-il donner à nos banques des opportunités d’investissements sûrs : l’idée de créer un actif mutualisé sûr pour la zone euro doit être considérée. Stabiliser l’Union européenne ne suffira pas à créer l’adhésion des citoyens. Une stratégie de croissance commune pour créer des opportunités nouvelles doit être repensée avec deux objectifs indissociables : « un nouveau plein-emploi des capacités humaines, tourné délibérément vers l’innovation et une Europe unie et puissante, en capacité d’affronter les mutations du monde contemporain »(6). Ce qui est en jeu est un new deal à l’échelon européen, la mise en place d’un nouveau welfare social. L’un des piliers est la construction d’une véritable communauté de l’éducation, du travail et de l’entreprise qui mette notamment l’accent sur un renouveau de la formation et l’accompagne- ment dans les transitions professionnelles. « Les mots-clés doivent être la productivité et le taux d’emploi, qui sont des jeux à somme positive »(7) rappelle à juste titre Benoît Cœuré. Les États membres doivent cesser de se faire concurrence pour bâtir des stratégies de compétitivité coopératives. Enfin, l’Union passe par la solidarité, une capacité budgétaire propre pour la zone euro. Les propositions sont diverses : un budget de stabilisation ? Un processus d’assurance chômage européen ? Un soutien aux investissements ? Les opinions diffèrent : Confrontations Europe continue de promouvoir un levier d’action conjoncturelle axé sur la relance de l’investissement humain et productif.
Rien de tel ne sera possible sans un processus de décision partagé démocratiquement légitime. L’Union doit se doter d’une instance à même de promouvoir une politique macroéconomique commune – un Trésor de la zone euro ou gouvernement de la zone euro – aux manettes d’une Union économique, budgétaire, monétaire et sociale renforcée. Nous voulons un ministre de l’Économie et des Finances qui soit membre à la fois de la Commission et du Conseil de l’eurozone, avec des moyens d’action effectifs. Et il est crucial d’organiser une meilleure appropriation nationale de l’ensemble des enjeux européens via la plus grande participation des élus nationaux aux débats européens. Plus important encore, nous devons construire un espace public européen de délibération et de participation de la société civile permanent pour casser cette idée de « pilotage par le centre ». C’est pourquoi nous soutenons l’idée de comités de compétitivité nationaux – incluant les partenaires du dialogue social. Les dirigeants des États membres doivent cesser de faire écran. Et aider les citoyens à s’exprimer et agir.

1. « Compléter l’Union économique et monétaire », Rapport des cinq présidents (J.-C. Juncker, D. Tusk,
J. Dijsselboem, M. Draghi et M. Schulz), 22 juin 2015.
2. Jean Pisani Ferry, « Réparer l’euro », La Tribune, 6 août 2015.
3. Philippe Herzog, « Appel pour un contrat de reconstruction de l’Europe », Confrontations Europe, La Revue n° 104, janvier-mars 2014.
4. « Tirer les bonnes leçons pour la zone euro ». Intervention de Benoît Cœuré à la Semaine des Ambassadeurs, 27 août 2015, Paris.
5. Marie-France Baud, « L’Union bancaire, facteur de stabilisation », Confrontations Europe, La Revue
n° 106, juillet-septembre 2014.
6. Ibid 3.
7. Ibid 4.

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