Brexit : aider sans rien lâcher

Hervé JOUANJEAN

Vice-président de Confrontations Europe, Of Counsel Cabinet Fidal

L’accord de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sera-t-il adopté cet automne par les 27 États Membres ? Difficile de le savoir en cette fin septembre alors que le Sommet de Salzbourg vient encore de prouver combien la situation reste tendue entre Theresa May et les chefs d’État et de gouvernement des 27.

L’été aura aussi été chaud du côté de Londres. Le Brexit a encore une fois défrayé la chronique politique de l’été : l’adoption du plan britannique dit « de Chequers » a été suivie des démissions simultanées de David Davis, le négociateur du Brexit, et du tonitruant ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson qui a accusé le Premier Ministre britannique, Theresa May, de vouloir sangler le pays dans une « veste suicide ». Le sommet de Salzbourg, qui a réuni de façon informelle les chefs d’État et de gouvernement, les 19 et 20 septembre derniers, s’est également soldé par une déconvenue pour Theresa May après le rejet par l’Union européenne du « plan des Chequers ».

Nous ne saurons pas avant plusieurs semaines – au Conseil européen du 18 octobre ou plus vraisemblablement en novembre – si l’accord de sortie dont on connaît les contours sur de très nombreux points pourra être mis en œuvre comme espéré le 29 mars prochain, date fatidique à laquelle le Royaume-Uni sortira de l’Union européenne. Et, à cette date, nous n’aurons qu’une connaissance très vague du contenu du futur accord bilatéral entre l’UE et le Royaume-Uni puisque les deux parties devraient adopter une simple déclaration politique.

Ce début d’automne(1) est donc un bon moment pour analyser la situation avec un peu de distance et tenter de mieux comprendre ce qui se trame dans la tête des négociateurs.

Peur panique au sein du parti conservateur

Du côté britannique, il est frappant de constater que le dogmatisme des pro-Brexiteers reste entier. Quels que puissent être les faits qui devraient conduire tout individu normalement constitué à considérer que le Brexit est une mauvaise chose pour le Royaume-Uni, au moins sur le plan économique, ce que le gouverneur de la Banque d’Angleterre n’a pas encore manqué de rappeler récemment, ils continuent à marteler leur vérité. Et les citoyens, de plus en plus désorientés, n’attendent naturellement plus qu’une seule chose : sortir de ce débat, peut-être même quelles qu’en soient les conséquences pour eux.

Quoi qu’en pense et dise Boris Johnson, c’est une victoire considérable pour les Brexiteers qui sont parvenus jusqu’à présent à étouffer toute tentative de mise en cause des résultats du scrutin de juin 2016 à travers notamment l’organisation d’un second référendum. C’est sans nul doute lié à la peur panique de beaucoup au sein du parti conservateur qui craignent de le voir exploser au profit de partis situés encore plus à droite tandis que les autres conservateurs se verraient repoussés vers les eaux intermédiaires d’un parti centriste dont le mode électoral britannique a étouffé toute émergence durable.

La conséquence à tirer de cette situation est que le vote des plus ardents Brexiteers en faveur d’un accord du type de celui recherché par Theresa May est loin d’être acquis. Le Congrès de Birmingham au début du mois d’octobre aidera peut-être à y voir plus clair mais, au stade actuel, on peut penser que la discipline de parti ne s’appliquera pas nécessairement lors du vote aux Communes et il ne faut pas écarter l’émergence d’une coalition des Brexiteers et des anti-Brexiteers qui, pour des raisons diamétralement opposées, pourraient refuser l’adoption du texte d’accord proposé par le gouvernement et précipiter leur pays vers une crise avec l’Union européenne et, pourquoi pas, pour les anti-Brexiteers, un nouveau référendum. Difficile dans ces conditions de créer la confiance avec l’Union européenne.

La seconde chose qui frappe l’observateur concerne la manière dont le gouvernement britannique continue à aborder la négociation avec l’Union européenne. À lire ses propositions depuis le début du processus, on éprouve un grand malaise. On a le sentiment qu’effectivement, ceux qui sont au pouvoir n’ont jamais rien compris ou jamais voulu assumer les objectifs fondamentaux de l’intégration européenne qui sont si bien repris dans le considérant du Traité sur l’Union européenne : « résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe », dont David Cameron souhaitait la disparition. Les principaux responsables de la conduite des négociations ont des difficultés à considérer que l’Union européenne comme une entité ayant une identité et une autonomie de décision, bref une réelle souveraineté, qui doivent être respectées. C’est tout simplement en dehors de leur culture.

La proposition de « Chequers » présentée par Theresa May est une illustration parfaite de cette situation. Pour paraphraser nos amis britanniques, ils nous font un joli sourire (« lip service ») et se servent comme bon leur semble dans le supermarché de l’UE, en clamant qu’ils ne sont pas dans l’union douanière et dans le marché intérieur mais en s’attribuant, au titre des dispositions d’un accord qui serait totalement déséquilibré, un maximum d’avantages de ces derniers sans évidemment avoir à contribuer au budget (« end vast annual payments to the EU budget »(2)), accepter les disciplines juridiques qui vont de pair avec le marché intérieur (« restore the supremacy of UK courts, ending the jurisdiction of the Court of Justice in the UK »(3)) et en rejetant les quatre libertés (end free movement4 ). Tous ces points et bien d’autres figurent dans la liste des « benefits » pour le Royaume-Uni dont le document de « Chequers » fait la promotion… Et à cela s’ajoute le fait que le gouvernement britannique conditionne à nouveau l’accord financier de sortie à l’acceptation de son plan par l’UE 27.

Cela peut prêter à sourire et chacun pensera que l’Union européenne n’est pas dupe. Oui, mais… il faut beaucoup de force de caractère aux négociateurs du côté européen pour contrer des idées qui peuvent sembler attractives prima facie pour les ­opérateurs économiques. Personne n’est opposé à la facilitation du commerce, personne ne veut que ce soit plus compliqué quand les choses peuvent être plus simples. Et pourtant, il n’est pas acceptable que les intérêts des peuples européens soient sacrifiés au profit d’intérêts défendus par un pays qui a décidé de quitter le club. Il est possible, il est même probable, que le Premier ministre britannique soit absolument convaincu que le Brexit est une erreur majeure, que la population britannique va en souffrir et qu’il convient de sauvegarder le maximum d’activité économique et d’emplois dans des secteurs clefs comme l’automobile.

Sauvegarder la paix en Irlande

On comprend aussi que le gouvernement britannique souhaite maintenir des conditions optimales pour l’approvisionnement de son marché en matière de produits alimentaires. Pour autant, il y a des objectifs, des valeurs qui vont au-delà de ces aspects matériels et qui peuvent justifier le sacrifice d’intérêts à court terme au profit du maintien d’éléments fondamentaux de la construction européenne comme l’intégrité du marché intérieur ou la solidarité à travers le budget européen. Il y va de l’intérêt des citoyens européens. Nul doute que le Parlement européen dont les membres seront réélus au mois de mai prochain et les Parlements nationaux y prêteront une attention particulière quand ils seront appelés à voter l’accord de sortie et prendront connaissance de la déclaration politique sur les relations futures.

Dans ces conditions, il faut aider mais il ne faut pas lâcher. Dans un premier temps, il faut sauvegarder la paix en Irlande. Compte tenu du travail déjà accompli, c’est fondamentalement une question de bonne volonté, loin des querelles partisanes attisées par le Democratic Unionist Party d’Irlande du Nord, partenaire obligé de Theresa May. Chacun sait que lorsque le marché intérieur a été constitué, on a supprimé le contrôle aux frontières mais on n’a pas supprimé les possibilités de contrôle. On a beaucoup simplifié, on a aussi beaucoup transféré les contrôles sur le lieu de production ou dans des centres appropriés. L’Irlande du Nord est un petit territoire et personne à Bruxelles ne remet en cause son appartenance au Royaume-Uni. Des solutions techniques ont été évoquées par Michel Barnier. Elles relèvent du bon sens et devraient être acceptées.

Pour les futures relations entre l’UE et le Royaume-Uni, chacun doit prendre ses responsabilités. Il ne peut y avoir de faux-fuyants. La réalité est que le Royaume-Uni sera un pays tiers, que les relations seront plus difficiles et que les formalités seront plus nombreuses et coûteuses. C’est un fait que les entreprises de l’Union européenne doivent accepter pour sauvegarder l’essentiel pour elles, c’est-à-dire le marché unique. Il faudra être progressif. Au stade actuel, il est irréaliste de songer à des dispositions fondamentalement différentes de celles de l’accord UE/Canada. Il faut partir de cette base et cesser de rêver pour demain à des « frictionless access to each other’s markets for goods(5) ». On peut y rêver pour après-demain quand la confiance aura été restaurée, que les dispositions seront mutuellement bénéfiques dans le respect du marché intérieur et que les technologies permettront de l’envisager sérieusement. La déclaration politique ne pourra que refléter cela sur le plan économique. Elle pourra évidemment aussi être ambitieuse dans les autres domaines de coopération de nature classiquement plus intergouvernementale, dans la ligne de ce qui a été fait jusqu’à présent.

Pour les relations avec le marché intérieur, le véhicule Royaume-Uni s’est arrêté au signal « Stop » qu’il a lui-même planté. Il faudra repasser la première et accélérer progressivement…

1) L’article a été rédigé à la fin du mois de septembre.

2) Texte Chequers II.6.j

3) Texte Chequers II.6.g

4) Texte Chequers II.6.h

5) Texte Chequers II.6.a

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