Zone euro : la reprise économique peut-elle être menacée ?

Patrick ARTUS

Chef économiste et membre du Comité Exécutif de Natixis

Durable ou fragile ? La reprise économique dans la zone euro est perceptible depuis le deuxième semestre 2016. Mais cette reprise est-elle pérenne ou pourrait-elle être interrompue par divers chocs ?

A la différence de ce qu’on observait dans le passé, la hausse de l’inflation d’origine salariale et, en conséquence, des taux d’intérêt ne peuvent plus dans la zone euro – et c’est aussi le cas dans les autres pays de l’OCDE – déclencher une récession.

Cependant, trois fragilités majeures continuent d’affecter la croissance de la zone euro : sa dépendance forte vis-à-vis du commerce mondial ; la faiblesse de la croissance potentielle de la zone euro associée au niveau élevé du taux de chômage structurel ; les forts taux d’endettement qui impliquent qu’un choc inflationniste exogène aurait des effets désastreux, qu’un ralentissement de l’économie serait amplifié.

Reprise de la croissance dans la zone euro

Depuis la mi-2016, la croissance de la zone euro s’accélère, les perspectives de production deviennent fortes (graphique 1) et le chômage recule assez rapidement (graphique 2).

Cette reprise économique de la zone euro est due à diverses causes : l’accélération du commerce mondial et en conséquence des exportations de la zone euro, point sur lequel nous allons revenir (graphique 3) ; la progression de la construction de logements associée aux taux d’intérêt bas ; la forte profitabilité des entreprises qui favorise la hausse de leur investissement, une capacité accrue à créer des emplois dans la zone euro, en particulier dans les services (graphique 4).

La croissance de la zone euro est même assez forte : autour de 2 % par an probablement en 2017 et 2018 mais l’est-elle durablement ?

Pas de risque de récession

Une des causes habituelles des ralentissements cycliques (des récessions) dans la zone euro dans le passé était l’apparition, en fin de période d’expansion, d’une croissance rapide des coûts salariaux, conduisant à une hausse de l’inflation sous-jacente, à une politique monétaire restrictive et à une hausse des taux d’intérêt conduisant au retournement à la baisse de l’activité. Ceci s’est observé en 1980-1981, 1989-1992, 1999-2001, 2006-2008.

Ce type de ralentissement économique devient très improbable aujourd’hui. D’une part, la baisse du chômage conduit à une augmentation beaucoup plus faible que par le passé de la croissance des salaires nominaux : les effets de courbe de Phillips se sont atténués (graphique 5 : une baisse de 1 point du taux de chômage conduit aujourd’hui à une croissance annuelle du salaire nominal par tête plus forte de seulement un quart de point).

D’autre part, l’intensité de la concurrence nationale et internationale sur les marchés des biens et services réduit la capacité des entreprises à augmenter leurs prix de vente en réponse à une hausse de leurs coûts de production (le “pricing power” des entreprises est réduit), ce qu’on a déjà constaté en 2008-2009 et 2011-2012.

Ce qui implique que l’inflation sous-jacente, dans les économies contemporaines (et également dans les autres pays de l’OCDE) reste faible même quand le taux de chômage diminue (graphique 6), d’où une faible réaction de la politique monétaire et des taux d’intérêt à la baisse du chômage.

Le couple inflation d’origine salariale – taux d’intérêt ne peut donc plus arrêter la croissance de la zone euro.

Trois fragilités inquiétantes

Malgré ces bonnes perspectives, certaines fragilités demeurent. La première fragilité est la dépendance forte de la croissance de la zone euro par rapport à celle du commerce mondial, donc par rapport au cycle mondial.

Regardons ce qui s’est passé dans la période récente.

De début 2016 à début 2017, l’accélération du commerce mondial conduit à une accélération de 3 points du rythme annuel de croissance des exportations de la zone euro (graphique 3 plus haut).

Compte tenu du poids des exportations de la zone euro dans le PIB de la zone euro, et du contenu élevé des exportations en importations (48 %), l’accélération du commerce mondial conduit à une croissance du PIB plus rapide de 0,4 point par an début de 2017 par rapport à début 2016. Ceci doit se comparer à l’accélération observée du PIB de la zone euro : 0,4 point par an aussi.

Un ralentissement de l’économie mondiale ferait donc disparaître la totalité de l’amélioration de la croissance de la zone euro.

La seconde fragilité de la zone euro est la faiblesse de la croissance potentielle associée au niveau élevé du taux de chômage structurel.

Avec l’affaiblissement des gains de productivité (dont la tendance n’est plus aujourd’hui que de 0,5 % par an), la croissance potentielle de la zone euro est devenue faible aussi, probablement 1 % par an (graphiques 7 et 8).

Rappelons que la croissance potentielle est le taux de croissance de long terme que peut réaliser un pays lorsque son taux de chômage est stabilisé au niveau du taux de chômage structurel, celui que la pression de la demande ne permet pas de réduire et qui dépend des caractéristiques structurelles de l’économie (éducation, progrès technique, fiscalité, spécialisation productive).

Or, il est probable que le taux de chômage structurel de la zone euro est élevé.

Quand on regarde l’historique des taux de chômage dans la zone euro (graphique 9), et quand on prend en compte la probable hausse du chômage structurel due depuis la crise aux pertes de capacité de production et au niveau élevé du chômage de longue durée on voit que le taux de chômage structurel de la zone euro est aujourd’hui probablement voisin de 8,5 %.

Ceci veut dire que, au rythme présent de réduction du taux de chômage dans la zone euro, à la fin de 2008 le taux de chômage sera revenu au niveau du taux de chômage structurel, et la croissance de la zone euro au niveau faible (1 % par an) de la croissance potentielle.

La troisième fragilité de la zone euro vient du niveau élevé de l’endettement. L’endettement total de la zone euro (public et privé) atteint aujourd’hui 250 % du PIB (graphique 10).

Ceci implique qu’un choc inflationniste exogène (nous avons vu qu’il ne pourrait pas venir des salaires mais par exemple de la hausse du prix du pétrole) qui ferait remonter le taux d’intérêt aurait un effet négatif brutal sur la solvabilité des emprunteurs publics et privés, et entraînerait un fort recul de la demande ; qu’un ralentissement de l’économie rendrait plus facilement excessifs le poids et le service de la dette, et serait donc amplifié.

Gare à l’excès d’optimisme

La reprise de la croissance de la zone euro, depuis la mi-2016, rend beaucoup d’observateurs très optimistes. Certes, on ne voit pas que l’inflation salariale et la hausse induite des taux d’intérêt puissent aujourd’hui arrêter la croissance.

Mais il faut avoir à l’esprit les multiples fragilités de l’économie de la zone euro : dépendance forte de la croissance de la zone euro vis-à-vis de la progression du commerce mondial, donc du cycle mondial ; faiblesse de la croissance potentielle et niveau élevé du taux de chômage structurel ; taux d’endettement total (public et privé) très élevé.

De nombreuses évolutions (ralentissement économique mondial, retour du chômage de la zone euro au niveau du chômage structurel, ce qui pourrait avoir lieu dès la fin de 2018, hausse du prix du pétrole), pourraient donc conduire à un ralentissement important de la croissance de la zone euro.

* GA signifie glissement annuel

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