Vers une souveraineté énergétique européenne

Le rôle central du moteur franco-allemand

À la suite de la session de l’Assemblée parlementaire franco-allemande du 16 juin dernier et de l’adoption de la résolution de son groupe de travail sur la souveraineté énergétique en Europe, le député Frédéric Petit accorde un entretien exclusif à Confrontations Europe.

Confrontations Europe : Les crises géopolitiques récentes peuvent-elles accélérer la coopération européenne énergétique ?

Frédéric Petit : Sur les questions énergétiques, comme sur bien d’autres sujets ayant un impact géopolitique important, les Européens doivent coopérer, c’est une certitude. De ce point de vue, la guerre en Ukraine a servi d’électrochoc et la situation au Moyen-Orient vient nous le rappeler brutalement. En Europe, la prise de conscience est réelle aujourd’hui, il faut désormais la concrétiser en actes. C’est tout l’objet de la proposition de résolution débattue en réunion de l’Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA) ce lundi. 

Nous prônons la mise en place d’une stratégie commune en matière d’hydrogène d’une part et de la géothermie d’autre part, mais aussi le développement harmonieux et consolidé de nos réseaux et infrastructures électriques et gaziers. C’est pour cette raison que nous avons auditionné les ministres de l’Énergie. Nous attendons de nos gouvernements respectifs non seulement qu’ils agissent mais surtout qu’ils agissent de concert. Il est tout à fait absurde d’élaborer une stratégie sur l’énergie chacun de son côté pour se rendre compte a posteriori qu’elles ne sont pas compatibles, parce que nous n’avons pas la même vision de l’hydrogène produit à partir d’électricité nucléaire. En franco-allemand en particulier, nous attendons de nos exécutifs qu’ils collaborent le plus en amont possible. Pour atteindre la souveraineté énergétique souhaitée par l’Allemagne et la France, et l’ensemble des États de l’Union européenne, nous devons donner la priorité à la planification et à la réalisation commune le plus en amont possible des infrastructures, et admettre que l’harmonisation des mix, l’harmonisation des usages, l’harmonisation des capacités, nécessite davantage de temps.

C. E. : En quoi le moteur franco-allemand peut-il faire progresser la quête d’une souveraineté énergétique européenne ?

F. P. : Il est essentiel. C’est de là que peut venir l’impulsion vers une définition de ce que doit être la souveraineté énergétique européenne et la manière de l’atteindre collectivement. À ce titre, les réflexions et les efforts fournis au sein du groupe de travail que j’ai co-présidé avec mon collègue du Bundestag, Andreas Jung, sont exemplaires de cette démarche commune qui pourrait s’étendre à d’autres États membres. Les médias se sont souvent fait l’écho de divergences entre la France et l’Allemagne à Bruxelles, sur le sujet de l’énergie. Nous ne négligeons pas nos différences et nous n’avons pas à nous donner de leçons sur nos mix énergétiques, issus de l’histoire économique, des ressources et des infrastructures de nos pays respectifs. Mais nous avons de nombreux points de convergence aussi : par exemple, le développement de nos infrastructures afin d’accroitre leur efficacité globale. C’est sur ces intérêts communs que le moteur franco-allemand peut embarquer ses voisins européens pour assurer la souveraineté énergétique de l’Union européenne. Nous avons même imaginé que France, Allemagne et Pologne pouvaient établir une “plateforme énergétique du Triangle de Weimar”.

C. E. : Le black-out électrique observé en Espagne et au Portugal le 28 avril dernier a particulièrement marqué les esprits européens quant à la nécessité de prendre la mesure des réseaux dans le processus de transition énergétique. Dans quelle mesure la coopération franco-allemande peut-elle servir de levier pour pousser vers une plus forte intégration des réseaux et investir massivement dans ceux-ci et les interconnexions ?

F. P. : L’ampleur du black-out qui a touché l’Espagne et le Portugal le 28 avril dernier a eu le mérite de rappeler, s’il en était besoin, que le système électrique repose sur un fonctionnement technique très rigoureux. Le réseau électrique est conçu pour maintenir à tout moment un équilibre précis entre l’énergie produite et l’énergie consommée. Lorsque cet équilibre est rompu, cela peut très vite engendrer une coupure totale de l’électricité et paralyser l’activité d’une région ou d’un pays. Le groupement des gestionnaires de réseaux européens, ENTSO-E a lancé une enquête pour déterminer les causes réelles de l’incident que vous évoquez. Nous en saurons plus dans quelques temps. Une chose est sûre néanmoins, c’est qu’il nous faut aller vers une gestion commune des réseaux en Europe. Je plaide pour cette avancée depuis de nombreuses années et j’ai le sentiment que les esprits progressent dans l’acceptation de cette idée et de son impérative nécessité, justement à la suite d’accidents de ce genre.

C. E. : Lors de leur audition à l’Assemblée parlementaire franco-allemande, comment votre proposition a-t-elle été reçue par les ministres allemand et français de l’énergie ? Ont-ils eu un discours similaire ou des dissonances persistaient-elles ?

F. P. : L’audition des ministres à l’occasion des sessions plénières de l’APFA est un pouvoir fort de notre assemblée, prévu dans ses textes constitutifs. Il s’agit d’un temps de contrôle des exécutifs nécessaire pour nous assurer de la cohérence de nos politiques respectives. En matière d’énergie, cela reste évidemment clé. Durant plus de deux ans, le groupe de travail sur la souveraineté énergétique que j’ai coordonné avec mon collègue Andréas Jung, a mené des auditions et réfléchit aux moyens d’atteindre cet objectif. Nos travaux ont abouti à une délibération ambitieuse, plaidant en faveur d’une coopération rééquilibrée, renforcée et systématique, adoptée par l’Assemblée parlementaire franco-allemande. Il s’agit désormais de la mettre en œuvre et d’avancer.

Lors de l’audition des ministres, j’ai rappelé l’obligation faite aux deux gouvernements, dans l’article 2 du Traité d’Aix-la-Chapelle de « coordonner la transposition [des directives] dans leur droit national », m’étonnant qu’elle ne soit toujours pas mise en œuvre et que les gestionnaires de réseaux n’en aient pas connaissance. 

J’ai interrogé les deux ministres sur les moyens et outils qu’ils comptent mettre en place pour progresser dans la gouvernance énergétique commune, au service de nos concitoyens. Ils m’ont assuré avoir commencé à organiser leurs administrations respectives pour que cette gouvernance énergétique soit plus efficace. Je crois qu’il reste encore du chemin à parcourir mais je ne désespère pas qu’un jour proche, l’ambition de souveraineté énergétique européenne soit réalisée. Le contexte géopolitique du moment nous y oblige. L’avenir de nos enfants nous oblige.

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