Auteur : Édouard Simon
directeur du bureau de Bruxelles, Confrontations Europe
La nouvelle Commission est sur le point de prendre ses fonctions dans un contexte complexe et tendu sur bien des dossiers. Analyse d’Édouard Simon, directeur du bureau de Bruxelles, sur la feuille de route de sa nouvelle présidente Ursula von der Leyen et les défis à relever.
La nouvelle Commission d’Ursula von der Leyen(1) entrera en fonction le 1er novembre prochain et prendra le relais de la Commission Juncker, dont on peut saluer le travail accompli pendant ces quatre dernières années, des progrès majeurs ayant été accomplis dans de nombreux domaines, au premier rang desquels l’investissement de long-terme avec la création du Fonds Européen pour les Investissements Stratégiques (bientôt renommé InvestEU). Soulignons enfin qu’après les deux mandats de Jose Manuel Barroso marqués par un affaiblissement notable de la Commission, le mandat de Jean-Claude Juncker a initié la remontée en puissance de la Commission européenne comme acteur politique. La Commission Juncker est ainsi celle qui a permis de faire avancer le projet d’Union européenne de la défense et de la sécurité de manière décisive (lancement de la coopération structurée permanente, création d’un Fonds européen de défense), alors même qu’elle n’était pas attendue sur ces questions. C’est donc à l’aune de cet héritage, non sans limite certes, que les premiers pas de la nouvelle présidente de la Commission devront être jugés.
Et, il faut tout d’abord reconnaître un sens politique certain à Ursula von der Leyen dans la composition de sa Commission. Celle-ci apparaît, en effet, comme une subtile architecture d’équilibres politiques. Équilibre femmes-hommes, tout d’abord, auquel elle s’était engagée, avec – avant les auditions à tout le moins – quatorze hommes pour treize femmes, dont la Présidente. Équilibre entre forces politiques avec dix Commissaires de gauche (S&D), neuf de droite (PPE), six centristes (Renew Europe), un souverainiste (CRE) et un apparenté écologiste (Verts/ALE). Équilibre géographique enfin avec une distribution des huit postes de vice-présidents (chacun en charge d’une des priorités de la future Commission) respectant un équilibre quasi parfait entre Nord/Sud, Est/Ouest, grand pays/petits pays. Il faut notamment savoir gré à Ursula von der Leyen d’avoir offert de véritables postes à responsabilité aux Commissaires d’Europe centrale et orientale, ce qu’avait échoué à faire le Conseil européen lors de la distribution des « Top Jobs » (présidence de la Commission, du Conseil européen, du Parlement européen, de la BCE et Haut-Représentant pour la politique étrangère et de sécurité), tous attribués à des Européens de l’Ouest… Il semble d’ailleurs que la réduction de la fracture entre Est et Ouest de l’Europe soit une priorité pour la nouvelle Présidente de la Commission. Il faut ainsi saluer la décision de confier à la Tchèque Věra Jourová la supervision de la question du respect de l’État de Droit. En effet, en faisant porter la parole de la Commission par une centre-Européenne, Ursula von der Leyen sort du débat étouffant et stérile entre Est et Ouest sur la question des valeurs.
Dépasser les blocages politiques, un impératif pour la nouvelle Commission
Cette nouvelle Commission est politique donc, mais elle se veut également géopolitique, selon l’expression de sa future présidente elle-même. Et, il faut reconnaître, en effet, que la composition elle-même de la future Commission, envoie quelques messages forts au reste du monde, et en particulier à plusieurs de nos alliés. En confiant à la Danoise Margrethe Vestager à la fois la charge de superviser la stratégie numérique de l’Union et celle de diriger sa politique de concurrence, en annonçant la création d’une nouvelle Direction Générale pour la politique industrielle dans les secteurs de la défense et de l’espace, Ursula von der Leyen signifie aux États-Unis qu’elle n’entend rien lâcher de l’ambition d’atteindre une autonomie stratégique européenne. De même confier à l’Irlandais Phil Hogan le portefeuille du Commerce est un message clair envoyé à nos amis britanniques.
Au-delà de ce premier exercice réussi, des doutes subsistent sur la capacité de la nouvelle Commission à s’ancrer dans les réalités politiques de l’Union, au-delà de la question climatique. De cette capacité dépend la possibilité de dépasser les limites et impasses auxquelles la Commission Juncker s’est confrontée. Celle-ci a, en effet, dû faire face à des blocages politiques majeurs sur plusieurs textes pourtant essentiels pour l’Union : approfondissement de la zone euro, complétion de l’Union bancaire et de l’Union des marchés de capitaux, harmonisation de la taxation sur les entreprises, mais également réforme des accords de Dublin en matière migratoire, etc. Et, Philippe Herzog nous alerte sur la nouvelle crise financière qui se profile et nous rappelle à quel point celle-ci est liée à celle de notre mode de développement(2).
Il faudra bien que la Commission von der Leyen avance sur ces dossiers et sorte de l’impasse politique. Or, aujourd’hui, on voit mal ce qui permettra à cette nouvelle Commission de réussir là où la Commission Juncker a échoué. Les orientations politiques présentées par Ursula von der Leyen, aussi ambitieuses soient-elles, ne sortent pas vraiment du catalogue de promesses trop encore déconnectées les unes des autres. Rien n’est dit malheureusement sur le « comment ». En particulier, il manque une vision d’ensemble qui permettra à chacun de trouver sa place et ainsi de consentir les efforts nécessaires. Soyons juste, il en existe des ferments dans le discours d’Ursula Von der Leyen, qui pourrait lui permettre de dépasser une approche trop « techno », avec notamment ses références à la souveraineté européenne. Mais beaucoup reste à construire. Si elle y arrive, nul doute que sa capacité à jouer avec les équilibres et les identités politiques européennes pourrait lui permettre de sortir l’Europe de quelques impasses…
1) Les auditions des Commissaires désignés ne sont pas achevées à l’heure de boucler cet article. La composition définitive de la nouvelle Commission n’est donc pas connue.
2) Lire son libre propos en page 4 – revue 127