Un dialogue social à l’échelle européenne

Marcel GRIGNARD

Président de Confrontations Europe

La mutation de nos économies s’accélère et oblige l’Europe, les États membres, les entreprises, les salariés et les citoyens à y faire face. Les relations industrielles en Europe, qui désignent l’ensemble des dispositifs de dialogue social, ont permis tant bien que mal de construire des compromis entre enjeux économiques et sociaux. Mais ces dispositifs sont-ils adaptés au contexte actuel et à même de jouer le rôle que l’on peut en attendre ? Telle est la question qui a été soulevée lors du débat organisé par Confrontations Europe en partenariat avec le Comité économique et social européen (CESE) à Bruxelles, le 25 novembre dernier.

dialogue-socialNos économies, nos sociétés doivent faire face à des mutations, de plus en plus rapides. Mais saurons-nous utiliser au mieux les possibilités de transformation et de création d’activités que ces mutations créent? Et serons-nous, dans le même temps, capables de maîtriser les risques et les conséquences négatives qu’elles induisent, d’inventer les régulations et les nouvelles mutualisations nécessaires et de réduire les inquiétudes croissantes qui poussent au repli ?

Modèle social européen

Impliquer les parties prenantes dans la résolution des problèmes auxquels elles sont confrontées est un facteur d’efficacité, de cohésion et d’élaboration d’un intérêt commun. C’est une mission essentielle des relations industrielles, de l’entreprise au niveau européen, en passant par les territoires et les secteurs d’activités. Or, la rapidité et l’ampleur des mutations ne risquent-elles pas de les marginaliser voire de précipiter leur déclin ? C’est là un pan de l’avenir du modèle social européen qui se joue.
Il serait vain de considérer qu’un simple ajustement d’une structuration du dialogue social, largement construit sur une organisation de l’économie qui est en train de disparaître, soit suffisant. Des entreprises, prenant en compte les évolutions en cours, transforment profondément leur organisation. Les innovations technologiques et organisationnelles, impulsées notamment par le développement du numérique, font émerger une nouvelle société obligeant à interroger structures et pratiques du dialogue social. Sans sous-estimer le travail accompli dans les entreprises, les comités de dialogue sectoriel, les relations tripartites avec la Commission européenne, les résultats ne sont pas partout au niveau souhaité. Loin s’en faut.

Des interrogations et des innovations.

Les besoins de politiques industrielles ambitieuses (incluant les nouvelles régulations), d’investissements publics et privés, de formation et de montée en compétences sont vitaux. Ces constats sont partagés aussi bien par les représentants des entreprises que par ceux des salariés. Or ces enjeux ne font quasiment pas partie de leurs agendas européens communs. Le plan d’investissement mis en œuvre par la Commission Juncker ne semble pas avoir fait l’objet d’un examen paritaire sectoriel d’opportunité. Les acteurs du dialogue social européen n’ont pas été conviés à la mise en œuvre des règles prudentielles de la finance, ou encore à la construction de l’Union bancaire. L’articulation entre l’économique est le social est à la peine.
A contrario, des initiatives portées par des territoires semblent prometteuses. La région Emilie-Romagne a associé un grand nombre de parties prenantes (dont les organisations d’employeurs et les organisations syndicales) à un travail sur les conditions du développement économique du territoire qui a débouché sur un accord engageant toutes les parties prenantes et visant à favoriser les investissements. La région Ile-de-France, elle aussi, a choisi d’impliquer un grand nombre d’acteurs de plusieurs secteurs industriels afin d’évaluer les évolutions à venir des différents métiers, d’imaginer les passerelles et les trajectoires de formation entre métiers en décroissance et métiers en croissance. Autre exemple séduisant, celui de ces territoires qui, dans le cadre d’appels d’offres, instaurent une bonification récompensant les efforts des entreprises qui réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre. La prise en compte des externalités (positives et négatives) devient alors un discriminant économique.

Une nouvelle dynamique

Répondre aux mutations profondes de l’économie en articulant au mieux le dialogue entre entreprises et territoires à l’échelle européenne ainsi qu’au niveau de l’entreprise suppose de donner une nouvelle dynamique en réponse à quelques questions clés.
L’articulation entre entreprises, secteurs, territoires et Europe. L’autonomie de la négociation d’entreprise s’accroît, ce qui rend de moins en moins efficaces les mécanismes de régulation de branche professionnelle. Cette décentralisation n’a pas été appréhendée politiquement d’un point de vue européen et dans le même temps les systèmes nationaux de dialogue ont peu convergé. La difficulté à articuler niveaux nationaux et niveau européen, qu’il s’agisse du sectoriel ou des politiques générales, tient en partie à l’accroissement des disparités au sein de l’Union européenne et à l’intérieur même de chaque État membre. Nous avons besoin au niveau européen d’un socle intangible de protection générale des travailleurs qui limite les concurrences sociales et favorise les convergences des systèmes nationaux en Europe. Pour les autres dossiers, il s’agit de trouver le niveau pivot de référence à partir duquel s’articulent les autres niveaux. Ainsi, le territoire pourrait permettre d’appréhender au mieux l’évolution des métiers, des compétences (disponibilités et besoins), et du développement (investissements, formation…).
Nouveau contour de l’entreprise. Montée en puissance de l’économie collaborative, entreprises en réseau, transformation du salariat et accroissement des travailleurs indépendants …. Autant d’expressions du nouveau contour de l’entreprise (terme qui désigne l’« ensemble des activités de production de biens et de services »). Il s’agit donc de prendre en compte les enjeux liés à ce « nouveau mode de développement » : transformation numérique, enjeux environnementaux et climatiques, sociaux… L’« entreprise durable » est celle qui s’inscrit dans le long terme et qui conjugue de mieux en mieux l’économique, le social et le sociétal. Ce qui la conduit de fait à redéfinir ce que doit être sa performance. Souhaitons que l’Europe, qui a toujours su accorder une véritable place au dialogue social, et ses acteurs économiques et sociaux réussissent à associer les différentes parties prenantes internes et externes et à définir des objectifs de performance dans une stratégie partagée.
Réinventer une articulation de l’économique et du social dans cette dynamique de nouveau développement. Les politiques communautaires (énergie, marché des capitaux, marché bancaire, marché numérique, investissements de long terme…) et la gouvernance économique de l’Union économique et monétaire devraient être au cœur des travaux du dialogue social européen.
Commission européenne, Confédération européenne des Syndicats, BusinessEurope ont une responsabilité commune pour tenter de répondre à ces multiples défis en adoptant une approche globale. Construire l’avenir, c’est innover et une partie des solutions viendra des initiatives nées dans les territoires et les entreprises. Repérer ces innovations, conférer des moyens à ces expérimentations, dupliquer ce qui est reproductible, faire converger les systèmes nationaux de dialogue… autant de pistes qui pourraient constituer un bel agenda pour la Commission dans une Europe qui ne doit pas se construire uniquement par le haut.

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