HARMONISATION FISCALE – Un accord historique pour réformer la fiscalité internationale

Par Pascal Saint-Amans, Directeur du Centre de politique  et d’administration fiscales de l’OCDE

Un accord historique, adopté en octobre 2021 par 137 pays et juridictions du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 sur le BEPS (pour érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices), vient parachever la lutte contre l’optimisation fiscale agressive des entreprises multinationales. Reposant sur une solution à deux piliers, l’un modifiant l’allocation des droits d’imposer entre États, et l’autre, instaurant un taux d’impôt minimum  sur les bénéfices des sociétés, cet accord est le fruit de plusieurs années de négociations et d’évolutions vers une meilleure régulation de la fiscalité internationale. Avec un soutien politique fort émanant notamment  du G20, la mise en œuvre de cet accord est désormais la priorité.

L’évolution des travaux : du projet BEPS à l’accord historique d’octobre 2021

Le Projet BEPS est à l’origine des travaux qui ont mené à l’accord d’octobre 2021. Ce  projet  est    en  2012  de  la  volonté  des  pays du G20 et de l’OCDE de mettre fin à l’optimisation fiscale agressive des entreprises multinationales.  Le  deuxième  projet  majeur  fut celui de la mise en place d’un ensemble de règles visant à lutter contre l’érosion de la base imposable des entreprises et le transfert de bénéfices. Un plan d’action concernant le BEPS a été adopté en juillet 2013 (1) prévoyant 15 me-sures  pour  lutter  contre  ce  phénomène  et  s’assurer que les profits soient imposés à l’en-droit où la valeur est créée. Deux ans plus tard, en 2015, des rapports étaient publiés sur chacune de ces 15 actions qui touchaient aux principaux éléments de la fiscalité internationale.  Un  exposé  des  actions  BEPS  accompagnait ces rapports, dont le rapport sur l’Action 1 relative aux défis fiscaux posés par l’économie numérique (2) détaille les principales problématiques fiscales ayant trait en particulier à la question du lien, aux données et à la qualification des bénéfices aux fins de la fiscalité directe.

Le Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS, créé en 2016, s’est consacré à la mise en œuvre du  projet  ainsi  qu’à  la  poursuite  des  travaux  relatifs aux défis fiscaux découlant de la numérisation de l’économie (Action 1 du Projet BEPS), notamment  à  la  suite  d’un  nouvel  élan  donné  par  la  présidence  allemande  du  G20  en  2017,  réclamant un rapport intérimaire sur cette question pour 2018.

Les  travaux  menés  ont  conduit  en  2019  à  l’adoption  d’un  Programme  de  travail  visant  à  élaborer une solution fondée sur un consensus pour relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation  de  l’économie (3),  introduisant  les  premiers contours d’une solution à deux piliers.

Après deux ans de travaux, le Cadre inclusif a publié en juillet 2021 sa Déclaration sur une solution à deux piliers avec pour objectif d’aboutir à une Déclaration révisée et un Plan de mise en œuvre détaillé finalisés pour octobre 2021. 

Le 8 octobre 2021, la version finale de la Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie (4) a été adoptée  par  137  pays  et  juridictions (5) (sur les 141 membres que compte le Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS), représentant plus de 90 % du PIB mondial. Cette déclaration, qui actualise et finalise l’accord politique conclu en juillet par les membres du Cadre inclusif, permettra de garantir  l’application  d’un  taux  d’imposition  minimum de 15 % aux entreprises multinationales à compter de 2023. Elle permettra égale-ment de réattribuer à des pays du monde entier plus de 125 milliards de dollars des États-Unis, issus de bénéfices d’environ 100 entreprises multinationales  parmi  les  plus  grandes  et  les  plus rentables au monde.

Cette solution a été présentée et adoptée lors de la réunion des ministres des Finances du G20 à Washington le 13 octobre et du Sommet des dirigeants du G20 qui s’est tenu à Rome les 30 et 31 octobre 2021.

Deux piliers pour réformer la fiscalité internationale

La solution adoptée repose sur deux piliers ayant chacun une finalité et un champ d’appli-cation différents.

Pilier 1 – La réallocation des droits d’imposer

Le  premier  pilier  a  pour  vocation  d’adapter  le système fiscal international aux nouveaux modèles économiques en modifiant les règles relatives au lien et à la répartition des bénéfices des plus grandes entreprises. Les entreprises couvertes sont les entreprises multinationales (EMN) dont le chiffre d’affaires mondial dé-passe 20 milliards d’euros et dont la rentabilité est supérieure à 10 % (le ratio bénéfice avant impôt divisé par le chiffre d’affaires). Ce seuil de chiffre d’affaires sera abaissé à 10 milliards d’euros,  sous  réserve  d’une  mise  en  œuvre  réussie,  7  ans  après  l’entrée  en  vigueur  de  l’accord.

Les éléments fondamentaux du pilier Un se rattachent à trois composantes.

Premièrement, 25 % des bénéfices résiduels des entreprises multinationales les plus importantes et les plus rentables seront réaffectés aux juridictions du marché, c’est-à-dire aux juridictions où se trouvent les utilisateurs et les consommateurs de l’entreprise multinationale, dès lors que l’EMN concernée réalise au moins 1 million d’euros de recettes dans cette juridiction.

Deuxièmement, le premier pilier prévoit une  approche  simplifiée  et  rationalisée  de  l’application du principe de pleine concurrence aux activités de commercialisation et de distribution de base dans le pays.

Enfin, le premier pilier comprend un élément visant à assurer la prévention et le règle-ment des différends, de manière obligatoire et contraignante, afin de répondre à tout risque de double imposition.

Certaines  exclusions  sont  prévues  pour  plusieurs secteurs (industries minières, trans-port maritime, services financiers réglementés, fonds de pension), soit parce que leurs bénéfices sont déjà liés à l’endroit où ils sont réalisés, soit parce que des régimes d’imposition différents sont applicables aux activités en raison de leur nature particulière.

Pour sa bonne application et afin de pré-venir  les  différends  commerciaux  préjudiciables, le premier pilier prévoit la suppression et le gel des taxes sur les services numériques (DST) et d’autres mesures similaires mises en place dans les juridictions concernées.

Pilier 2 – L’impôt minimum mondial

Le deuxième pilier est basé sur un impôt mini-mum mondial et permet de faire en sorte que les grandes entreprises multinationales paient un niveau d’impôt minimum sur leurs bénéfices, indépendamment  de  la  localisation  de  leur  siège ou de la juridiction où elles exercent leurs activités. 

Le Pilier Deux se compose de deux règles nationales et d’une règle conventionnelle. Les  deux  règles  nationales  sont  interdépendantes et ensemble constituent les règles globales de lutte contre l’érosion de la base d’imposition (les règles GloBE). Les règles GloBE s’appliquent aux groupes d’entreprises multinationales (EMN) et à leurs entités constitutives appartenant au groupe consolidé, dé-terminées  en  fonction  des  normes  de  comptabilité financière applicables. Elles ciblent uniquement les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires brut annuel égal ou supérieur à 750 millions d’euros.

La  première  règle  GloBE  est  une  règle  d’inclusion du revenu (RDIR), qui consiste à assujettir une entité mère à un impôt supplémentaire portant sur le revenu faiblement im-posé d’une entité qu’elle détient directement ou  indirectement.  Le  fonctionnement  de  la  RDIR repose sur les principes des règles traditionnelles applicables aux sociétés étrangères contrôlées (SEC).

La  seconde  règle  GloBE  est  une  règle  relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII), qui refuse la déductibilité ou requiert un ajustement équivalent lorsque le revenu faible-ment imposé d’une entité constitutive n’est pas assujetti à l’impôt au titre d’une RDIR. La RPII s’applique  uniquement  lorsqu’une  entité  constitutive n’est pas assujettie à une RDIR.

Les règles GloBE permettront de prélever un impôt supplémentaire sur la base d’un critère  fondé  sur  un  taux  d’imposition  effectif,  calculé juridiction par juridiction. Le taux d’im-position minimum utilisé aux fins de ces règles est de 15 %.

Enfin, ces règles prévoient égale-ment des exclusions temporaires fondées sur des critères de substance, c’est-à-dire d’activité économique réelle.Enfin, une règle conventionnelle, appelée règle d’assujettissement à l’impôt (RAI), accorde  aux  juridictions  de  la  source  un  droit  d’imposition limité sur certains paiements entre parties  liées,  imposés  à  un  taux  inférieur  au  taux minimum.

Un plan ambitieux pour la mise en œuvre

Un plan de mise en œuvre détaillé figure également en annexe de la Déclaration adoptée en octobre 2021. En ce qui concerne le premier pilier,  il  implique  de  la  part  des  juridictions concernées la suppression de toutes les taxes sur les services numériques sur toutes les entreprises. Pour faciliter une mise en œuvre rapide et cohérente, une convention multilatérale sera élaborée à partir de janvier 2022 afin de mettre en place un cadre ouvert à tous les pays intéressés. Le texte de cette convention devrait être finalisé début 2022, pour une signature à la mi-2022 et une entrée en vigueur en 2023. L’OCDE travaille à mettre au point des règles types pour transposer le nouveau droit d’imposer, issu du Pilier Un, dans les législations nationales d’ici début 2022.

En juin 2021, la Commission européenne a  annoncé  qu’elle  reporterait  la  proposition  d’une  redevance  numérique,  qui  servirait  de  ressource propre de l’UE d’ici 2023, jusqu’à la finalisation de l’accord sur le Cadre inclusif. Une redevance numérique au niveau de l’UE devrait être compatible avec l’engagement de ne pas introduire de nouvelles taxes numériques ou de  mesures  similaires,  coexister  avec  la  mise  en œuvre de l’accord d’octobre sur le partage d’une fraction de la base imposable des plus grandes entreprises multinationales ; et être compatible avec les règles de l’OMC et les autres obligations internationales de l’UE.

En ce qui concerne le second pilier, l’OC-DE et le Cadre inclusif sur le BEPS ont achevé l’élaboration des règles types destinées à donner effet aux règles GloBE (afin de définir la  portée  et  décrire  le  mécanisme  de  ces  règles). Ces règles modèles ont été adoptées et publiées en décembre 2021 (6).  En  effet,  la  Commission européenne publiera son projet de directive le 22 décembre, sur la base des règles types de l’OCDE. D’ici la mi-2022, un instrument multilatéral sera élaboré afin de faciliter la mise en œuvre rapide et cohérente de la RAI dans les conventions bilatérales concernées. Au plus tard à la fin 2022, un cadre de mise en œuvre sera établi afin de faciliter le déploiement coordonné des règles GloBE.

L’objectif  est  que  la  solution  reposant  sur deux piliers, réforme majeure de la fiscalité internationale, soit mise en œuvre à partir de 2023.

(1) Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (oecd.org)

(2) Relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique, Action 1 – Rapport final 2015 | fr | OCDE (oecd.org)

(3) Programme de travail visant à élaborer une solution fondée sur un consensus pour relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie – OCDE (oecd.org)

(4) Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie – 8 octobre 2021 (oecd.org)

(5) La communauté internationale conclut un accord fiscal sans précédent adapté à l’ère du numérique – OCDE (oecd.org)

(6) L’OCDE publie le modèle de règles du Pilier Deux pour la mise en œuvre au niveau national de l’impôt minimum mondial de 15 % (oecd.org)

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