Auteurs : Lorène Weber et Jean-Robert Léonhard
groupe Finance de Confrontations Europe
A l’occasion de la fin de la mandature 2014-2019, Confrontations Europe a organisé en juin dernier un séminaire(1) afin d’évaluer le degré d’achèvement de l’Union des marchés de capitaux (UMC), un dossier qui était l’un des chevaux de bataille de la Commission Juncker pour la période 2014-2019. Retour sur les pistes d’action proposées.
Certes des progrès ont été accomplis sur les questions de surveillance budgétaire, d’assurance des dépôts, ou encore de flexibilité offerte par le Pacte de stabilité et de croissance, mais sinon l’UMC reste… inachevée. Des pièces importantes manquent encore au puzzle, dont celle du renforcement des autorités de supervision européenne.
Or, ces progrès sont encore plus nécessaires aujourd’hui qu’ils ne l’étaient lors de la mandature précédente en raison de l’évolution du monde : Brexit, guerre commerciale, remise en cause du multilatéralisme, ralentissement généralisé de la croissance, croissance des dettes obligataires et volatilité des marchés à l’échelle globale… Au total, l’achèvement d’une UMC résiliente est un impératif face aux risques d’une prochaine crise financière et d’une récession, dans une compétition mondiale exacerbée.
Pour développer l’UMC en Europe, l’ancien directeur général du FMI, Jacques de Larosière, dont le rapport sur la supervision du système financier européen(2) avait conduit à la mise en place du Système européen de stabilité financière, pointe la nécessité de renforcer les autorités de supervision européennes, en retransférant les compétences vers les instances européennes. Pour Jacques de Larosière, les États qui prônent l’UMC sont aussi ceux qui ne souhaitent pas renforcer les structures qui doivent y parvenir, telles que l’Autorité européenne des marchés financiers. Faisant un pas de plus dans le renforcement des capacités financières européennes, il préconise la création d’une banque d’investissement à une autre échelle que la Banque européenne d’investissement (BEI), offrant aux épargnants le placement sans risque auquel ils aspirent et investissant sur de vrais projets dans toute l’Europe.
Pervenche Berès, eurodéputée de 1994 à 2019 et rapporteure sur la révision des autorités de supervision au sein de la commission Économique et monétaire du Parlement européen, a également été très critique vis-à-vis des États membres, dénonçant notamment l’hypocrisie qui serait la leur alors qu’ils rechignent à octroyer plus de compétences aux autorités de supervision européennes, en raison de leur manque d’efficacité et de moyens, alors même qu’une gouvernance plus efficace au niveau européen devrait s’accompagner d’une hausse des prérogatives et des moyens de ces autorités de supervision. La nouvelle Commission devrait, selon elle, organiser le contrôle des mauvais élèves par les bons, grâce à des équipes de contrôle mixtes, sous l’autorité des ESA s’adjoignant certains superviseurs nationaux. En outre, elle suggère de développer le soutien à la capacité administrative des États membres qui en ont besoin.
Réticence des États membres
L’achèvement de l’UMC, qui doit être une priorité de la prochaine Commission, ne dépend pas que des seules propositions de la Commission, mais également de leur acceptation par le Parlement européen et le Conseil, ce dernier ayant été l’institution ayant posé le plus de difficultés à approfondir l’UMC, les États membres y étant réticents, comme l’a affirmé Tanya Panova, chef d’unité à la DG FISMA.
Pour sa part, Stéphane Cossé, directeur des Affaires publiques de Covéa, a proposé que tout en s’appuyant sur les fondamentaux, la construction de l’UMC soit pragmatique et que l’UE rééquilibre le balancier entre la prudence, naturellement privilégiée après la crise de 2008 et l’investissement pour bâtir l’Europe de demain.
Alors que de nombreux observateurs avertissent des risques d’une prochaine crise financière, et que les entreprises européennes manquent de compétitivité et de financement, il est plus que jamais temps de renforcer les mécanismes de financement, de partage des risques et de supervision au niveau de l’Union européenne et de la zone euro.
La dénonciation des réticences des États membres ne suffit pas. Il faut donner un rôle à la société civile à travers des échanges de bonnes pratiques entre acteurs professionnels, une exigence démocratique, en étant à l’écoute des prises de position des corps intermédiaires… Les institutions ont besoin de la société civile pour aller vers l’intérêt général et impulser une réelle vision stratégique impliquant une dimension paneuropéenne, à un moment où des questions de financement spécifiques se posent dans les secteurs du climat, de l’énergie, du numérique, ou encore de la défense. Pour hisser l’UE au niveau qui lui permettra de jouer son rôle dans la compétition mondiale à un moment où les tensions politiques, économiques et commerciales sont exacerbées entre les puissances internationales, une mobilisation de la société civile est nécessaire.
La nouvelle Commission commence ainsi son mandat avec la mission fondamentale d’achever une Union économique et monétaire permettant à la fois l’accès au financement des entreprises européennes, la compétitivité de l’Europe dans le monde, et la résilience face aux chocs et crises à venir.
1) Le séminaire intitulé « Union des marchés de capitaux et supervision : quel système financier européen voulons-nous ? » s’est tenu le 27 juin dernier.
2) The high-level group on financial supervision in the EU, chaired by Jacques de Larosière, Report, 25/02/2009.
Une version longue de cet article est publiée dans la revue Banque&Stratégie, n° 384, octobre 2019. |
L’achèvement de l’UMC doit être une priorité de la nouvelle Commission