UE-OTAN, UNE MEILLEURE COOPÉRATION POUR LA SÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE ?

Entretien avec Walter Bruyère-Ostells  Professeur d’Histoire contemporaine à l’Institut  d’Etude Politique d’Aix, Directeur de la recherche historique du Service Historique de la Défense

Dans un entretien pour Confrontations Europe, Walter Bruyère-Ostells, Professeur d’Histoire contemporaine à l’Institut d’Etude Politique d’Aix, et Directeur de la recherche historique du Service Historique de la Défense, examine les menaces sécuritaires aux frontières de l’Europe et l’organisation de cette sécurité entre l’OTAN et l’UE. 

Cette interview a été réalisée en marge de la deuxième édition du “Grand Colloque International sur la sécurité des frontières Sud de l’Europe”, coorganisé par Sciences Po Aix et l’OTAN, les 12 et 13 avril 2024. 

Les problématiques liées à la sécurité des frontières Sud de l’Europe revêtent des réalités multiples et complexes : des défis tels que les migrations, les trafics en tout genre (de drogue ou d’êtres humains pour ne citer qu’eux), la contrebande, le terrorisme et d’autres formes de criminalité internationale. En Europe, les principaux points « chauds » se situent dans la région méditerranéenne, en particulier dans les pays comme la France, l’Espagne, l’Italie, la Grèce et Malte, qui sont confrontés à un afflux important de migrants en provenance d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et sont les portes d’entrées des trafics en tout genre, du fait de leur géographie et leurs bords maritimes. Quelles sont selon vous les menaces les plus importantes en 2024 et comment endiguer des phénomènes que l’on a l’impression de voir se démultiplier depuis ces dernières années ? Walter Bruyère-Ostells : Les menaces sont en réalité protéiformes et imbriquées si bien qu’il est difficile de les isoler complètement les unes des autres. Par exemple, la question du jihadisme en Afrique et celles des grandes routes de trafics illicites (drogues, cigarettes, armes, et même le trafic d’êtres humains) s’entremêlent. La priorisation des menaces est également différente si on réfléchit à court terme (risque d’attentats terroristes) ou à moyen terme (trafics, opérations d’influences de puissances non démocratiques, …).

L’OTAN n’a pas de mandat spécifique pour gérer les frontières européennes. Cependant, certains pays membres de l’OTAN ont des intérêts communs en matière de sécurité dans la région méditerranéenne et coopèrent souvent avec des organisations telles que Frontex (l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) pour renforcer la sécurité des frontières de l’Union européenne. Comment optimiser et améliorer cette coopération ? Quels moyens mettre en place ? Avec quels objectifs à court et moyen termes ? 

W.B.O : Les frontières européennes sont, bien entendu, une compétence de l’Union européenne et des Etats-nations directement concernés. A ce titre Frontex est l’agence de l’UE qui est passée progressivement d’un rôle de coordination de moyens nationaux à celui de véritable acteur opérationnel puisqu’elle dispose désormais d’une « réserve de réaction rapide ». Elle peut ainsi déployer des garde-côtes et des garde-frontières, des équipements de contrôle et de surveillance, … pour assister les Etats membres confrontés à une situation d’urgence à leur frontière. Son rôle est justement de mieux organiser la coopération entre Etats européens, d’apporter un appui aux Etats en première ligne en raison de leur position géographique (l’Italie par exemple) par le déploiement de moyens proposés par des Etats moins sous tension. Les voies d’optimisation sont en évolution constante depuis sa création en 2004 : l’un des exemples depuis près de 15 ans maintenant est celui des opérations d’expulsion par « collecte » (mutualisation des « charters » ramenant des immigrés clandestins installés dans différents Etats européens vers leur pays d’origine). 

L’OTAN n’a pas de rôle direct. En revanche, certains dispositifs de la relation UE-OTAN permettent la mise à disposition de moyens militaires de membres de l’OTAN à l’UE. En fait, il faut rappeler qu’ils ont 23 membres en commun (seuls parmi les pays de l’UE, Chypre, Malte, l’Autriche et l’Irlande n’appartiennent pas à l’OTAN). 

L’OTAN joue un rôle dans la sécurité régionale en fournissant un cadre pour la coopération en matière de renseignement et de partage de capacités entre ses membres. Dans le contexte des défis liés à la sécurité aux frontières Sud de l’Europe, certains pays membres de l’OTAN participent à des opérations de surveillance maritime et de lutte contre la criminalité organisée dans le cadre d’initiatives conjointes avec l’Union européenne. Cela fonctionne-t-il vraiment ? Comment améliorer l’efficacité à l’aune des menaces qui planent sur les démocraties européennes ? 

W.B.O : Comme je l’évoquais, il ne faut pas perdre de vue la double appartenance ; la mise à disposition de moyens dans le cadre de ces actions « conjointes » sont bien le fait de pays membres de l’UE dans le cadre de la sécurisation des frontières extérieures de celle-ci.

Si l’on prend les opérations de lutte contre les organisations criminelles transnationales qui organisent l’immigration clandestine vers l’Europe, les opérations en mer Egée puis en Méditerranée centrale à partir de 2016 (Sea Guardian de l’OTAN/Sophia pour l’UE), il s’agit bien en fait de mettre à disposition de Frontex des moyens militaires : avions ou navires équipés de moyens de surveillance par exemple. En fait, cela s’inscrit dans l’évolution des déclarations conjointes UE-OTAN depuis 2016. En 2023, la 3e précise encore la recherche de complémentarité entre domaine proprement sécuritaire (avec les moyens militaires apportés par l’OTAN) et outils plus économiques ou politiques de l’UE (Fonds européen de défense pour le domaine industriel de défense, instrument de coopération Facilité européenne pour la Paix, …). 

Outre la recherche de complémentarité, les deux institutions partagent de plus en plus leurs analyses sur les menaces : évolution des conditions de sécurité dans les Balkans occidentaux ou au Proche-Orient, cybermenaces et lutte contre les activités d’influence ou de renseignement mais aussi plus largement les enjeux stratégiques liés à la Chine ou la Russie. Elles partagent aussi leurs informations sur des dossiers de long cours pour la paix et la sécurité internationale comme la question des armes chimiques, biologiques ou nucléaires. 

La multiplication des conflits _ Ukraine, Moyen-Orient, Afrique…_ dans une période où la moitié de la population mondiale est appelée aux urnes, n’est-elle pas une menace supplémentaire de déstabilisation des opérations et des procédures actuelles dans ces régions qui sont des points de transit primordiaux pour le commerce mondial ? 

W.B.O : Les conflits en question montrent surtout que l’ordre international, refondé en 1945 sur l’ONU et des valeurs comme la paix (fondatrice de la construction européenne), est aujourd’hui battu en brèche : l’invasion russe de l’Ukraine en est l’exemple le plus emblématique. En réalité, le droit international qui est l’instrument de mise en œuvre de ces valeurs est de plus en contesté selon l’idée qu’il serait un outil de la domination occidentale dans la gouvernance mondiale. La Russie (mais aussi la Chine) développe un discours en ce sens qui fragilise l’idéal démocratique qui est le nôtre. Je crois qu’il convient de se rappeler que l’OTAN est bien un cadre de coopération, un outil militaire d’abord au service d’alliés animés par ces idéaux démocratiques. Ils sont aujourd’hui effectivement en prise à des tentatives de déstabilisation des processus électoraux (ingérences russes dans l’élection présidentielle américaine de 2016 ; tentatives dans des élections en Europe, notamment française en 2017) ou des institutions démocratiques (corruption par des Etats étrangers de parlementaires européens). 

La menace sur les votes au cours de l’année 2024 est donc réelle, un peu partout dans le monde, notamment le long de la grande route commerciale qui part de l’Europe par la Méditerranée et va jusqu’à la mer de Chine (élections à Taïwan). Pour ce qui intéresse le plus directement, je retiendrai le côté positif : nous sommes avertis. La naïveté ne peut plus avoir cours et les institutions comme l’UE (ou l’OTAN pour la mobilisation militaire de renseignement sur les menaces cyber par exemple) savent qu’elles doivent être proactives pour protéger le bon déroulement démocratique d’élections de membres ou de partenaires (la Tunisie ou Israël toutes deux membres du dialogue méditerranéen de l’OTAN, même si celui est suspendu en raison de la guerre à Gaza). 

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