TRANSPARENCE DE LA VIE PUBLIQUE – Comment penser une politique de transparence de la vie publique à l’échelle Européenne ?

Par Didier Migaud, Président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – LA REVUE #136.

L’épisode du « Qatargate», qui a récemment mis en cause plusieurs membres du Parlement européen, révèle le caractère transnational des phénomènes corruptifs, mais aussi les liens entre risques d’ingérence étrangère, influence sur les politiques publiques et besoin de transparence. Dans une majorité d’États membres, des structures de contrôle de l’intégrité publique sont en place, à l’instar de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en France. Ces autorités entretiennent des liens avec les institutions européennes. Comment aller plus loin pour améliorer la culture de l’intégrité publique dans l’Union européenne?

Une politique de transparence de la vie publique nécéssaire pour lutter contre la corruption et l’affaiblissement de la démocratie

La transparence est aujourd’hui une exigence démocratique forte, au niveau national comme au niveau européen. Elle constitue un véritable moyen de rétablissement de la confiance des citoyens dans leurs institutions. En rendant les pratiques plus transparentes, les responsables publics sont aussi incités à rester exemplaires. Le pas vers une transparence accrue n’est pas aussi grand que certains semblent l’imaginer: les pratiques des responsables publics, et c’est heureux, respectent dans l’immense majorité des cas la légalité et vont même au-delà, par la mise en œuvre de dispositifs déontologiques et de précautions éthiques volontaires. Mais des marges de progrès demeurent.

La transparence doit être bien comprise, dans son périmètre et dans les objectifs qui lui sont assignés. En France, la Haute Autorité a été créée en 2013 pour garantir la probité des responsables publics et, ce faisant, prévenir la corruption. Elle contrôle et publie les déclarations de patrimoine, les déclarations d’intérêts et les avis portant sur les mobilités des responsables publics, dans un objectif de prévenir des conflits d’intérêts et de permettre à chaque citoyen de se rendre compte par lui-même de la probité de ses dirigeants. La publication des fiches d’activités des représentants d’intérêts informe sur les démarches entreprises pour influer sur une décision publique et garantit également que cette même décision publique, éclairée par les forces vives de la nation entreprises, associations, syndicats, ONG… est toujours prise dans l’intérêt général et non au profit d’un intérêt particulier. La proportionna­ lité des dispositifs et des décisions prises reste le fil rouge qui guide la Haute Autorité.

Il ne s’agit pas de faire des responsables publics européens des «rois nus», pour reprendre l’image aussi parlante qu’ironique du conte d’Andersen. Les éléments conduisant aux décisions gouvernementales, les discus­sions, les désaccords, les négociations, les compromis, n’entrent pas dans le champ d’une transparence ou d’un droit d’accès total. Tous les États sanctionnent pénalement la livraison de certaines informations stratégiques (indus­trielles, notamment) à des puissances étran­gères et les atteintes au secret de la défense. Plus largement, la protection de la vie privée est attachée à la liberté individuelle et constitue une valeur essentielle dans nos démocraties modernes.

L’équilibre entre transparence, contrôle et efficacité des décideurs publics constitue la condition d’une politique efficace de l’éthique des décideurs publics.

La politique de transparence de la vie publique Européenne à renforcer; Fondée sur la concertation avec les états membres

À titre d’exemple, la Haute Autorité a organisé en 2022 un colloque sur le thème de l’éthique publique, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, avec la participation de la vice­-présidente de la Commission européenne Věra Jourová et de la Médiatrice européenne. Elle a par la suite lancé, et préside aujourd’hui, le Réseau européen d’éthique publique, qui associe douze autorités nationales et pourrait être utilement consulté dans le cadre du paquet européen sur l’anti-cor­ruption, afin d’inclure des mesures préventives au niveau des États membres.

Dans le même sens, la Haute Autorité exerce la présidence du Réseau des registres européens du lobbying, forum important d’échanges réguliers de bonnes pratiques entre régulateurs nationaux et européens, si essentiel dans une réflexion sur la transparence de la vie publique. La régulation de l’activité de repré­sentation d’intérêts nécessite en effet de s’adap­ter aux évolutions des pratiques d’influence: sur la question de l’ingérence étrangère, la Haute Autorité s’inspire par exemple des travaux de l’Organisation de coopération et de dévelop­pement économiques et des dispositifs existants à l’étranger.

Il faut bien sûr aller plus loin que les seules initiatives prises par certaines institutions des États membres, le contexte actuel le montre. Si les institutions de l’Union ont déjà mis en œuvre des mécanismes utiles en termes d’éthique et de transparence, un organe indépendant de régulation de l’éthique publique, au plus haut niveau des institutions européennes, sécuri­serait les relations entre la société civile et les dirigeants européens, renforcerait la confiance des citoyens et constituerait un socle de prin­cipes communs qui pourraient être diffusés au sein des États de l’Union.

Concrètement, deux éléments sont essen­tiels à la réussite d’un projet comme celui­-ci.

Tout d’abord, un tel organe éthique euro­péen devrait remplir trois conditions pour assurer pleinement la cohérence du dispositif d’intégrité: des compétences adaptées aux spécificités des institutions de l’Union, des moyens adéquats et des garanties suffisantes d’indépendance pour asseoir sa crédibilité.

Ensuite, il est essentiel de réunir des prin­cipes communs de transparence, de prévention de la corruption et de garantie de la probité des responsables européens dans une directive ou une recommandation.

Une atteinte à l’intégrité dans un État membre affecte évidemment d’abord la confiance des citoyens de cet État. Mais cette atteinte affaiblit aussi collectivement l’action publique au niveau de l’Union. Il en va de même en cas de mauvaise administration au sein des institutions de l’Union.

S’il faut réagir rapidement face à des comportements et des crises qui érodent la confiance des citoyens au niveau national comme européen, il importe que l’amélioration du dispositif d’intégrité soit isolément pensée sur le long terme.

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