Par Armand Gosu, analyste et spécialiste roumain de l’histoire diplomatique de l’Empire russe et de l’Union soviétique
Longtemps reléguée aux confins des anomalies de l’histoire (depuis que cette région située entre les frontières de la République de Moldavie a déclarée sa sécession, en 1992, à la suite du conflit post-soviétique généré par la déclaration de l’indépendance de la Moldavie, un an auparavant), la Transnistrie refait surface dans l’actualité chaude. D’un côté à cause de sa proximité avec le conflit russo-ukrainien, le lopin de terre d’à peine 4 000 kilomètres carrés, ayant Tiraspol comme capitale, se trouvant entre l’Ukraine et la Moldavie, mais aussi parce que depuis le 1er janvier 2025, la région et ses 370 000 habitants sont privés de l’approvisionnement de gaz russe. Sous influence russe et avec présence russe, Tiraspol recevait du gaz depuis Moscou, gratuit. Les habitants sont privés du coup aussi de chauffage, les écoles sont fermées, la plupart des agents économiques aussi. La République de Moldavie, a activé le Mécanisme de Protection Civile de l’Union européenne, dans un essai de prévenir une vraie catastrophe humanitaire…. De son côté, avec la Roumanie voisine, la Moldavie essaie de subvenir aux besoins immédiats de la Transnistrie.
Nous avons pu recueillir l’analyse du spécialiste roumain de l’espace soviétique et post-soviétique, Armand Gosu, avec le soutien de nos collègues de la Maison de l’Europe de Paris.
La rédaction : L’UE s’est mobilisée d’une manière record en débloquant d’urgence, ce lundi 27 janvier, 30 millions d’euros d’aide pour la population de Transnistrie, faisant ainsi son premier geste en réponse à une demande d’aide humanitaire venant d’un pays qui n’est pas encore membre de l’UE, la Moldavie. Le problème est résolu et le plan de Vladimir Poutine est-il mort ?
Armand Gosu : Loin de ça, avec 30 millions d’euros, ils pourront acheter du gaz pour la région sécessionniste pour 10 jours, et puis le problème reviendra. Cette somme ne fait que repousser un peu le dénouement tragique.
Soit, premier schéma, la Russie reconsidère sa décision envers Tiraspol et achète du gaz par un intermédiaire. Soit le deuxième schéma (qui a fonctionné pendant trois décennies) s’écroule : du gaz gratuit pour la Transnistrie, et Chisinau doit prendre la décision de réintégration du côté gauche de la rivière Dniestr.
Or ce n’est pas le bon moment pour ce geste. Afin qu’il soit couronné de succès, ce plan de réunification du pays devrait remplir quelques conditions minimes, comme le retrait des troupes russes, un appui politique, financier, économique, consistant, de la part des partenaires occidentaux de la Moldavie. Avant tout, il faut un plan. Comme aussi des grandes ressources pour le mettre en place. Après avoir été frappé par la Covid-19 et faisant face avec difficulté au contexte régional à cause de la guerre en Ukraine, on ne peut pas condamner Chisinau pour le manque d’un plan de réintégration. Pour l’instant, les principaux acteurs impliqués, Chisinau et Tiraspol, semblent vouloir sauver le schéma qui a fonctionné jusqu’à présent, depuis la déclaration d’indépendance de la Moldavie et la séparation de la Transnistrie. Ou ce qu’on peut en sauver.
LR : L’Ouest est presque forcé désormais à s’intéresser à ce territoire, dont on ne sait seulement que c’est une des régions non reconnues par aucun état, qu’il se situe entre la Moldavie et l’Ukraine et que Poutine y garde des troupes russes et un dépôt de munitions (environ 1800 militaires pour une population totale de 370 000 habitants). Si quelqu’un vous demande de quoi il s’agit, quelle est votre réponse habituelle ?
A.G. : En principe, dans les milieux académiques, la Transnistrie est située au même niveau que l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud, Nagorny Karabakh et, plus récemment, la Crimée. Situation qui empêche non pas seulement une analyse nuancée de chaque cas en particulier, mais aussi toute chance de bien comprendre la situation, de proposer des solutions viables. La Transnistrie a sa spécificité, influencée en grande partie par sa position géographique. Si l’Abkhazie et l’Ossétie sont dans le proche voisinage de la Russie, ce qui a permis l’intervention directe de Moscou, la Transnistrie n’a pas de frontière avec la Russie, et la guerre russe en Ukraine, commencée pratiquement avec l’annexion de la Crimée, a rendu encore plus difficile, presque impossible, la communication entre la Russie et l’enclave séparatiste. De tous les « conflits gelés » (autre mot utilisé dans la presse et dans le monde académique, qui cache l’incompétence et le manque d’expertise), celui de la Transnistrie aurait été le plus facile à résoudre, si dans le maintien du status quo n’y avaient pas intérêt à la fois Tiraspol mais également Chisinau. Le régime politique de Transnistrie est différent d’autres enclaves séparatistes, évoluant vers une oligarchie qui jouit d’une réelle autonomie dans la relation avec Moscou. Ainsi, le groupe Shérif contrôle depuis plus de deux décennies, non pas seulement l’économie, mais aussi la politique en Transnistrie, et ses intérêts d’affaires ont même orienté, peu à peu et encore pas complètement, le regard de Tiraspol vers l’Ouest (jusqu’à déclarer que l’équipe de football Sherif Tiraspol fait partie du championnat moldave de football, afin de pouvoir jouer contre d’autres équipes européennes, dont Nice !).
C’est ainsi qu’on explique pourquoi, après le début de l’invasion militaire de la Russie, malgré les pressions de Moscou, l’élite de Transnistrie a évité systématiquement une implication dans le conflit, comme de permettre des diversions anti-ukrainiennes sur son territoire.
LR : La guerre est loin d’être finie et surtout les voisins de Tiraspol, les Moldaves et les Ukrainiens, affirment que la Transnistrie sera le prochain front de guerre. Croyez-vous dans cette possibilité ?
A.G. : On ne peut pas l’exclure, rien ne peut pas être exclu, mais la probabilité d’un tel scénario est réduite en ce moment. La capacité militaire de la Russie est dans une affreuse souffrance. Sans le contrôle sur l’ile des Serpents, sans la présence d’une flotte militaire russe beaucoup plus puissante que celle qu’elle a aujourd’hui dans la mer Noire, c’est presque impossible.
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