Reconnaître le nucléaire européen comme un service d’intérêt économique général (SIEG)

Par Viviane du Castel et Julie Monfort

Alors que la transition énergétique est impactée par les pénuries et la hausse des prix, alors que la lutte contre le dérèglement climatique est percutée par la guerre de la Russie en Ukraine, alors que l’AIEA essaie d’enquêter sur la situation de la centrale de Zaporijia, il est temps de considérer le rôle central du nucléaire non seulement en termes de souveraineté et d’indépendance mais aussi en sa qualité d’énergie très bas carbone, au côté de l’impératif de réduction de la consommation et de développement des énergies renouvelables. Il est temps de le reconnaitre comme un service d’intérêt économique général.

L’électricité constitue un bien essentiel.

Au sein de l’Union européenne, l’électricité d’origine nucléaire représente près de 25% de la production globale. 123 réacteurs nucléaires sont répartis entre 13 pays : la France5-(56) l’Espagne (7), la Belgique (7) l’Allemagne (3) la Suède (6), la République tchèque (6), la Finlande (4) la Hongrie (4), la Slovaquie (4), la Bulgarie (7), la Roumanie, la Slovénie, les Pays-Bas sans compter en Europe hors, UE le Royaume-Uni (15) et la Suisse (4).

4 réacteurs nucléaires sont en cours de construction  : deux à eau pressurisée en Slovaquie, un EPR en Finlande et un en France (à Flamanville).  Dans son discours de Belfort du 10 février 2022, le Président de la République, Emmanuel Macron annonce la construction de six réacteurs de nouvelle génération EPR2, pour une première mise en service à l’horizon 2035 et l’étude pour huit supplémentaires pour la fin de la décennie 2040.

De nombreux projets de SMR (Small modular Reactor) se développent en Europe et dans le monde. En France, les SMR figurent dans le plan de relance France 2030 et EDF est engagé dans le projet NUWARD. L’Estonie milite pour la simplification des procédures d’autorisation et des standards internationaux. En Suède, Uniper et LeadCold ont créé une joint-venture. Au Royaume-Uni, Rolls-Royce développe un SMR et vise un premier raccordement en 2030…

Face au dérèglement climatique, le secteur électrique doit pouvoir compter sur des moyens de production pilotables et très bas carbone pour assurer la sûreté du système. En complément des énergies renouvelables, le nucléaire répond à ces enjeux.

Déjà implanté dans des zones sensibles aux fortes chaleurs (Texas, Emirats Arabes Unis, …) il a aussi fait preuve de son adaptabilité et de ses capacités de résilience.

Faiblement émetteur de gaz à effet de serre (4g par kWh), la filière nucléaire contribue aussi à la lutte contre le dérèglement climatique.

Face à l’évolution de la demande liée à la substitution des énergies fossiles par l’électricité en particulier dans le secteur des transports, le nucléaire apporte une solution en termes de puissance, de flexibilité et de sûreté.

 Face aux tensions géopolitiques, l’Union européenne affirme son unité en axant sa sécurité et sa souveraineté énergétiques vers davantage d’autonomie voire d’indépendance. La « Boussole stratégique » et la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) sont des leviers de cette stratégie en construction face aux menaces et aux chocs extérieurs.

Le nucléaire a toute sa place dans le bouquet de solutions pour répondre aux impératifs de maîtrise de nos vulnérabilités énergétiques. Au-delà de la production d’électricité renouvelable, des besoins d’efficacité énergétique, de sobriété et de flexibilité sur la demande, la production électronucléaire répond aux besoins de base pilotable.

Si certains pays avaient fait le choix de l’abandon de cette filière, les arrêts de centrales prévus avant la guerre russe en Ukraine ont été suspendus en Allemagne et en Belgique pour limiter le recours au charbon face à la pénurie gazière.

Vers un service d’intérêt économique général (SIEG)…

Ainsi la production nucléaire correspond clairement au SIEG défini par l’Union européenne qui encadre les activités marchandes visant à satisfaire l’intérêt général. Les SIEG comprennent les services fournis par les grandes entreprises de réseaux, comme les transports, les services postaux, l’énergie et la communication. D’autant plus que le 3 juillet dernier, le Parlement européen a validé le classement du nucléaire parmi les énergies « vertes » dans le cadre du projet de taxonomie de la commission européenne.

… sur l’ensemble de la plaque européenne

Concrètement, le SIEG devrait intégrer l’ensemble de la plaque européenne y compris le réseau ukrainien synchronisé avec le réseau continental européen le 16 mars 2022et la centrale de Zaporijjia qui a permis à l’Ukraine de commencer à exporter de l’électricité vers l’Union Européenne de manière significative dès le 1er juillet 2022. Les centrales ukrainiennes sont d’ores et déjà physiquement parties intégrantes à la plaque européenne. Au moment où les experts de l’AIEA (Agence Internationale pour l’Energie Atomique) se rendent à Zaporijia pour une mission d’enquête ; les intégrer à un SIEG européen, c’est aussi contribuer à faire de l’énergie nucléaire un vecteur de solidarité et d’indépendance.

Concrètement la reconnaissance du caractère de service d’intérêt général du nucléaire en Europe permettrait aux Etats que le souhaitent de définir, d’organiser et de financer les projets qu’ils souhaitent qualifier de SIEG, d’apporter le soutien financier nécessaire et proportionnée.

Concrètement, elle permettrait en France à EDF de continuer à produire 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, une énergie décarbonée de qualité dans des conditions de sécurité optimales pour répondre aux enjeux nationaux et globaux.

L’autonomie stratégique énergétique est un axe de solution face aux défis émergents et aux guerres hybrides où le nucléaire sera un vecteur du développement de l’énergie d’avenir (digitale et quantique) pour le rayonnement de l’Union européenne.  Il est donc urgent de reconnaître le nucléaire comme un service d’intérêt économique général (SIEG) pour lui permettre de prendre toute sa place dans sa lutte contre le dérèglement climatique pour l’indépendance et la souveraineté énergétique européenne.

 

Co-auteurs de : « La sécurité des approvisionnements énergétiques : enjeux et défis de l’Union Européenne », L’Harmattan, 2019 ; « Energie 4.0 », Connaissances et savoir, 2017 ; « Choix énergétiques : quels enjeux ? »,L’Harmattan 2015 ; « Le renouveau du nucléaire après Fukushima » L’Harmattan, 2012.

En mars 2020, l’AIEA dénombre 53 réacteurs nucléaires électrogènes en construction : Argentine, Bangladesh, Biélorussie, Brésil, Chine, Corée du Sud, Emirats Arabes Unis, Etats Unis, Inde, Iran, Japon, Pakistan, Russie, Taiwan, Turquie.

Suite à la décision des 27 Ministres de l’énergie de l’Union Européenne le 28 février 2022 à Bruxelles

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