Stéphane PALLEZ
PDG de la Française des Jeux
Dans le contexte d’une numérisation accrue de l’économie, la lutte contre la concurrence déloyale s’impose. Il convient de s’assurer que les opérateurs payent leurs taxes dans les pays dans lesquels s’exerce leur activité. Le secteur des jeux n’échappe pas à cette règle.
Les défis posés par la numérisation de l’économie et de la société sont multiples et chacun peut constater au quotidien leur variété sans cesse renouvelée, sous le double effet de l’innovation galopante et de l’extension du champ du numérique. Ils n’épargnent rien ou presque, bouleversent schémas de création de valeur, marchés économiques et comportements sociaux, et remettent en question la régulation et ses modes d’intervention toujours en retard, souvent dépassés.
Cette numérisation tous azimuts ne ménage pas davantage la fiscalité. Si celle-ci a toujours peiné à appréhender les activités dématérialisées et les prestations à distance, pour l’opinion publique elle échoue totalement à contrer les pratiques des « passagers clandestins du monde contemporain »(1), qui vont de l’optimisation à l’évasion fiscale.
Face à ces enjeux, les solutions proposées par la Commission Juncker sont inspirées par le concept de « level playing field », visant à réparer les ruptures et les inégalités créées par la nouvelle économie. Il s’agit de restaurer une concurrence loyale dans le Marché Unique du Numérique et, dans le domaine fiscal, de faire contribuer normalement les géants du net à la solidarité sur les territoires où ils créent cette valeur, alors que leurs profits sont souvent rapatriés dans des paradis fiscaux.
Une part importante de l’activité de ces acteurs repose par ailleurs sur des pans entiers de l’économie réelle, comme, par exemple, l’acheminement, l’entreposage et la distribution de biens, activités exercées dans tous les États membres de l’UE mais qui échappent souvent en tout ou en grande partie aux taxes qui y sont applicables.
Atteindre les cibles
Il est évidemment important de ne pas se tromper de cible, ou plutôt d’atteindre toutes les cibles visées. La proposition de taxe sur le chiffre d’affaires de certains services en ligne est, de ce point de vue, à la fois imparfaite et incomplète, donc inévitablement provisoire.
Sa mise en œuvre éventuelle ne devrait en tout état de cause pas repousser, comme trop souvent, la recherche active d’une solution pérenne fondée sur une répartition des profits taxables entre différents pays au moyen d’une clé objective, simple et surtout non manipulable. D’importantes réflexions sont menées en ce sens par l’OCDE (BEPS), par la Commission européenne (directive ACCIS et notion d’« établissement stable numérique »(2)).
Il est par ailleurs crucial que tous les opérateurs actifs sur le marché européen soient redevables de cette taxe provisoire si elle venait à être mise en place, et s’en acquittent effectivement, quel que soit leur pays d’établissement. Il serait paradoxal et contre-productif que cette imposition pèse sur les seuls – et hélas peu nombreux – champions européens de la nouvelle économie, avec pour conséquence de renforcer les déséquilibres existants et la concurrence déloyale des acteurs internationaux.
L’objectif de mise en place d’un nouvel ordre fiscal mondial, dont participent ces différentes initiatives, ne devrait pas faire oublier la nécessité pour l’UE de réviser sa position pour le moins clémente à l’égard de certains paradis fiscaux nichés en son sein. Cette attitude contribue au développement effréné du forum shopping, et conduit à une situation extrême dans le secteur régulé au niveau national des jeux d’argent en ligne, pour citer un exemple peut-être moins connu.
De fait, le plus petit État membre et marché de l’UE a accordé le plus grand nombre de licences de jeux d’argent en ligne, soit plus de 450. À titre de comparaison, la France et l’Italie n’en délivrent que 30 à 50… , Or nombre d’opérateurs établis à Malte, dont les effectifs pourraient croître, avec le transfert, dans la perspective du Brexit, d’opérateurs, aujourd’hui basés à Gibraltar, et qui proposent l’essentiel de leurs services aux résidents d’autres États membres, ne sollicitent pas les autorisations exigées pour ce faire par les législations nationales. Ils échappent ainsi au contrôle des autorités locales, et représentent une concurrence déloyale. En effet, ils se dispensent de payer les taxes indirectes sur les jeux et n’assument pas le coût de la mise en conformité de leur offre avec les règles de protection des consommateurs applicables dans les pays de destination de leurs services.
1) Discours sur l’Europe du président de la République Emmanuel Macron prononcé en septembre dernier à la Sorbonne.
2) Cf. article d’Alain Lamassoure dans cette même Revue, p. 18.
Les solutions proposées par la Commission Juncker sont inspirées par le concept de « level playing field », visant à réparer les ruptures et les inégalités créées par la nouvelle économie