L’intégration des politiques de santé en Europe pour contribuer à une autonomie stratégique de l’UE

Olivier Bogillot, Président de Sanofi France

À l’heure des élections présidentielles et législatives françaises, la vision européenne est apparue comme une ligne claire de différenciation entre les propositions politiques : les citoyens sont préoccupés au quotidien par leur santé et leur prévoyance, et la conférence sur l’avenir de l’Europe a classé la santé comme thématique prioritaire, à côté du changement climatique et de l’environnement, de l’économie, de la justice sociale ou de l’emploi. La pandémie a accru la nécessité de mettre en place une Union européenne de la santé1 , une coordination renforcée à l’échelle de l’UE, ainsi que des systèmes de santé plus résilients et une meilleure préparation aux futures crises potentielles.

Lorsqu’on s’interroge sur l’autonomie alimentaire et énergétique ou sur l’industrie, la question européenne s’impose comme moyen et niveau d’intervention pertinent dans une compétition internationale de plus en plus féroce. La crise de la Covid-19 a démontré à chacun que l’autonomie en produits de santé était tout aussi stratégique, et la santé est maintenant incontestablement entrée dans le champ des politiques industrielles. La France a porté un plan ambitieux avec « Innovation Santé 2030 », un plan de relance massif où la santé est prioritaire, et les initiatives des contrats stratégiques de filière délivrent concrètement des projets, notamment dans la bioproduction et l’intelligence artificielle. Cette dynamique s’inscrit dans celle de l’Union européenne. L’autonomie stratégique signifie donner à l’UE les moyens de maîtriser les technologies et les innovations clés.

Comment garantir que l’Europe de la santé soit forte pour faire bénéficier à ses citoyens de tout le potentiel des révolutions scientifiques en matière de médecine génomique et personnalisée, d’intelligence artificielle ou encore de biotechnologies ? Comment transformer ces mutations en valeur économique et sociétale ? En mars 2022, la conférence organisée par la PFUE « Pour une Europe de la santé indépendante, compétitive et innovante » posait clairement l’enjeu : l’UE doit définir et animer une vision commune et une stratégie partagée pour sécuriser ses approvisionnements et financer massivement l’innovation sur le long terme.

L’innovation est clairement une réponse à la souveraineté, et l’intégration des politiques de santé au niveau européen s’impose comme le levier qui permet à l’Europe de faire un saut de compétitivité sur toute la chaîne de valeur : recherche, développement, innovation, industrialisation, production.

Premier niveau de réponse, la création d’HERA (« Health Emergency Preparedness and Response Authority ») a été saluée par tous. HERA doit maintenant faire ses preuves pour recenser les menaces émergentes pour la santé, initier et soutenir le développement de l’innovation et établir au niveau européen une liste de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur à prioriser pour en faciliter la production au sein de l’Union et en constituer des stocks stratégiques. L’opérationnalité et l’agilité seront clés.

Second niveau de réponse, le PIIEC Santé : début mars 2022, 16 États membres ont annoncé la signature d’un manifeste pour un projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) pour le secteur de la santé, afin de soutenir l’innovation et améliorer la qualité et l’accès aux soins des patients européens. Il préfigure des domaines que ces États considèrent comme stratégiques et prioritaires, les signataires s’accordant officiellement sur trois périmètres de projets : le développement de technologies et de procédés de production innovants et plus verts pour la fabrication de médicaments ; l’innovation dans des thématiques stratégiques comme la lutte contre la résistance aux antibiotiques, le développement de traitements contre les maladies rares et, de manière complémentaire avec l’Autorité européenne de gestion des crises sanitaires (HERA), pour faire face aux futures pandémies ; et le développement des thérapies géniques et cellulaires.

C’est une avancée majeure pour orienter la programmation ou l’orientation de l’innovation, qui dirige les investissements dans les technologies et les traitements les plus innovants. D’une certaine façon, ce PIIEC permet de concrétiser la stratégie pharmaceutique européenne. Mais la complexité et la durée de mise en place de cet outil, et son caractère transitoire, posent la question d’une réponse plus systémique et structurelle.

Un troisième niveau de réponse est donc nécessaire pour générer l’innovation sur le long terme. Le secteur de la défense est à ce titre riche d’enseignement : l’Agence de l’innovation de défense française met en œuvre la politique ministérielle en matière d’innovation et de recherche scientifique et technique, et développe les partenariats et les coopérations internationales nécessaires avec les acteurs publics et privés. Elle fait le lien entre l’innovation et ses débouchés, et la ligne stratégique souhaitée en termes de souveraineté. Elle génère des investissements dans plusieurs technologies et secteurs pour répondre aux besoins de l’État, qui peut ainsi capter des innovations au service de ses opérations. D’une certaine façon, elle « dé-risque » les investissements technologiques. Aux États-Unis, la DARPA a le même objectif, citée dès 2017 par le Président Emmanuel Macron lors de son discours de la Sorbonne « Je souhaite que l’Europe prenne la tête de cette révolution par l’innovation radicale. Créons dans les deux ans qui viennent une Agence européenne pour l’innovation de rupture, à l’instar de ce qu’ont su faire les États-Unis avec la DARPA au moment de la conquête spatiale. (…) Cette agence mettrait l’Europe en situation d’innovateur et non de suiveur ».

L’équivalent d’une DARPA à l’européenne serait ainsi l’outil d’intégration des politiques de santé, d’innovation et d’industrialisation, qui pourrait être implémenté dans une logique de programmation ouverte et de cohérence, ou du moins de socle commun entre les États membres, pour sa résilience et son autonomie, et mettre fin aux défaillances et dépendances.

Les conditions sont donc réunies pour que l’innovation serve la croissance et l’autonomie européenne en matière de santé, au bénéfice des citoyens et des systèmes de santé. Investissements et emplois en dépendent, avec des effets d’entraînement économiques et sociétaux de premier plan, pour autant que la machine administrative ne vienne pas en bloquer l’efficacité ! Si l’UE veut être dans la course et réussir l’Union de la santé, c’est avec une exigence d’agilité, de rapidité et de souplesse qu’elle doit faire jouer ces nouveaux leviers.

1 Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Slovénie)

2 Inscrite dans la Loi de programmation militaire, France

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