Maud Stéphan, Déléguée générale des Réalités du Dialogue social et Administratrice de Confrontations Europe
En 2022, « Confrontations Europe » célèbre ses trente ans. Dans la foulée du traité de Maastricht du 7 février 1992 instaurant l’Union européenne, les fondateurs du think tank européen avaient choisi « d’œuvrer pour une Europe humaniste et démocratique ». Le traité structurait le projet d’Europe unie esquissé dans l’Acte unique européen, signé par neuf États le 17 février 1986, en le fondant sur trois piliers : les communautés européennes, la politique étrangère et de sécurité commune ainsi que la justice et les affaires intérieures. Dans ce triptyque, se posent, encore aujourd’hui, les questions de la place donnée à la dimension sociale et, plus précisément, du rôle du dialogue social à l’échelon européen ?
Une Europe sociale complexe à mettre en œuvre et des avancées encore sous-estimées
Il faut rappeler que les États membres conservent leur souveraineté en matière sociale et, mécaniquement, les transferts de compétences au niveau européen restent limités. Pour autant, un arsenal d’acteurs et de dispositifs s’est très tôt mis en place et se mobilise pour créer les conditions d’amélioration de vie des citoyens européens.
L’Acte unique européen de 1986 a ainsi ancré le dialogue social européen en attribuant (article 118B) à la Commission la tâche de le développer. Les articles 138 et 139 de ce traité prévoient la consultation des partenaires sociaux au niveau communautaire, tant sur l’emploi, que sur les affaires sociales. Ils allouent de fait au dialogue social européen une mission spécifique dans le processus de la construction européenne via la définition des normes sociales. Ces textes signés par les partenaires sociaux, lorsqu’ils prennent la forme de directives doivent être obligatoirement transposés dans l’ensemble des pays de l’UE. Lorsqu’il s’agit d’accords autonomes, ils doivent être négociés dans l’ensemble des pays. Sur le volet social, trois directives datent des années 90 : congé parental (1996), travail à temps partiel (1997), contrats à durée déterminée (1999). Les accords autonomes ont concerné le télétravail (2002), le stress lié au travail (2004), le harcèlement et la violence au travail (2007), les marchés du travail inclusifs (2010). Enfin des accords-cadres non coercitifs, ont pour but d’inciter et d’aider les employeurs et travailleurs des États membres à négocier dans trois domaines : la formation tout au long de sa vie (2002), l’égalité F/H (2005), la réussite de la transformation numérique de l’économie européenne (2020).
Au regard de ces signatures, la dynamique des partenaires sociaux européens, au niveau intersectoriel, est souvent décriée. Tout dépend de la façon dont on considère « ce verre, à moitié vide ou à moitié plein ». Il est vrai que sur le plan quantitatif, dix textes en 30 ans représentent un score discutable. Mais, en termes de contenus, les partenaires sociaux ont très souvent joué un rôle d’aiguillon et ont su s’emparer de sujets sources d’avancées sociales pour les citoyens, tels que le congé parental, la santé au travail ou encore l’égalité F/H mais aussi le télétravail dont l’accord date de 20 ans. Ce qui peut être déploré est davantage le manque d’appropriation de ces textes par les politiques et les acteurs sociaux au niveau national que l’inertie des partenaires sociaux européens. Et cet élan se manifeste encore plus au niveau des branches où des comités de dialogue social sectoriels travaillent, sur la durée, pour accompagner la transformation des secteurs, des entreprises et des emplois1.
Un dessein, l’amélioration de la qualité de vie des citoyens européens
Depuis cinq ans, une impulsion certaine est donnée pour replacer « l’Europe sociale à nouveau sur les rails »2. Pour illustration, le Sommet de Porto de 2021 a affiché l’ambition de concrétiser les vingt principes du socle européen des droits sociaux adoptés en 2017 à Göteborg, en matière notamment d’éducation, de formation, d’égalité F/H, d’égalité des chances et de garantie d’un salaire juste. Les premières déclinaisons se révèlent dans des projets de directive adoptés par la Commission européenne :
- le 28 octobre 2020, sur des salaires minimums adéquats. Ce texte a pour objectif d’inciter les États membres à favoriser les négociations collectives et mobiliser les partenaires sociaux dans la définition nationale des salaires minimums,
- le 9 décembre 2021, sur l’amélioration des conditions de travail des travailleurs de plateforme. Cette proposition prévoit notamment une présomption de salariat pour ces derniers (lorsque la plateforme exercera un certain niveau de contrôle sur les personnes effectuant un travail par son intermédiaire) ou encore l’obligation d’information sur les algorithmes, sur la façon dont les décisions sont prises et dont elles affectent les conditions de travail,
- le 23 février 2022, sur le devoir de vigilance des entreprises. L’ambition est de favoriser un comportement durable et responsable des entreprises afin de prévenir toutes atteintes graves envers les droits humains et l’environnement générées par leur activité, celles de leurs filiales ou d’opérateurs de leur chaîne de valeur.
Bref, la priorisation du domaine social est sensible, tout comme la volonté de résultats effectifs avec l’outil législatif de directive. Dans le contexte actuel de fragmentations géographiques et sociales, les institutionnels et acteurs sociaux européens ne peuvent faire l’économie d’un dialogue sur ces chantiers clés du social. La conférence sur l’avenir de l’Europe confirme ces exigences dans ses propositions présentées le 9 mai 2022, en soulignant les diverses contributions pour « bâtir une Europe plus inclusive et socialement juste, conformément au socle européen des droits sociaux, telles que des mesures de protection sociale, l’élimination de l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, des mesures de réduction de la pauvreté, l’égalité de genre, le respect des droits des personnes handicapées, les droits et la représentation des personnes LGBTQI ».