Le retour de l’Europe des régions ?

Apostolos Tzitzikostas (1), Président du Comité européen des régions

Le rôle du comité européen des régions

Institué par le traité de Maastricht (1992) et mis en place le 9 mars 1994, le Comité européen des régions (CdR) est l’assemblée des représentants locaux et régionaux de l’Union européenne qui permet aux pouvoirs infranationaux (régions, comtés, provinces, départements, communes, villes, etc.) de faire entendre directement leur voix au sein du système institutionnel de l’UE. Le Comité européen des régions fêtera bientôt ses 30 ans, son évolution et sa place dans l’architecture politique de l’UE sont essentielles.

Le Comité européen des régions a été créé sous l’impulsion de Jacques Delors pour rapprocher l’Europe des citoyens. Dans le concert européen, il est le seul interlocuteur des institutions décisionnelles à Bruxelles qui représente les élus des territoires de l’Union européenne dans toute leur diversité. Par ailleurs, ses membres sont les interlocuteurs privilégiés des citoyens lorsqu’il s’agit de leur expliquer le sens des décisions prises à Bruxelles. Cette communication à deux voies est essentielle pour contribuer à une Europe plus démocratique. Le Comité européen des régions est devenu au fil des années un partenaire incontournable pour résoudre des défi s tels que le changement climatique, la digitalisation de la société, les flux migratoires ou les crises sanitaires. Les collectivités locales ont aussi un rôle à jouer dans la crise énergétique que nous traversons depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il est à souhaiter, à la lumière des recommandations exprimées dans le rapport final de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, que le Comité européen des régions, lorsqu’il fêtera ses 30 ans d’existence, se voie confi er un rôle plus important dans le processus décisionnel européen, notamment concernant les politiques européennes qui ont un impact sur nos territoires. Il s’agit de plus de 70 % des législations européennes.

La place des territoires dans l’UE

La création du Comité européen des régions par le traité de Maastricht de 1992 a consacré l’affirmation des autorités dites « régionales » dans la construction européenne. Or, les collectivités locales et régionales, représentées au niveau européen par le Comité européen des régions, n’ont pas le poids qu’elles méritent dans le processus décisionnel de l’UE. Lors du neuvième sommet des régions et des villes à Marseille, le Comité européen des régions a acté sa volonté « de voir renforcer son pouvoir décisionnel, notamment par une réévaluation progressive de son actuelle fonction consultative », de participer aux trilogues ou de conférer aux « parlements régionaux » un rôle formel dans le processus législatif européen.

Le Manifeste, adopté lors du Sommet européen des villes et des régions à Marseille appelle effectivement à un renforcement du pouvoir décisionnel du Comité européen des régions. Les enquêtes d’opinion montrent que les citoyens estiment que les autorités locales et régionales n’ont pas assez d’influence sur les décisions prises au niveau européen et que plus d’influence des autorités locales et régionales dans le processus décisionnel européen aurait un effet positif. Nous sommes une assemblée d’élus qui représente plus 1,2 millions d’élus locaux et régionaux, eux-mêmes tous élus au suffrage universel. Notre Union ne peut survivre que si nos citoyens s’y intéressent et y croient. Et cela n’est possible que si l’UE représente une construction de bas en haut, et non de haut en bas. Dans ce contexte, il faut saluer les recommandations de la Conférence sur l’avenir de l’Europe comme un message d’espoir pour une démocratie européenne de proximité ainsi que les propositions des citoyens visant à simplifier le processus décisionnel de l’UE sur la base de la subsidiarité et de la gouvernance à plusieurs niveaux et à rendre les institutions européennes plus compréhensibles. Nous suggérons également d’adapter le nom du Comité européen des régions en Assemblée européenne des régions et des municipalités qui refléterait mieux la réalité de notre rôle. Enfin, l’appel du Parlement européen pour l’établissement d’une Convention qui travaillerait sur une révision des traités, soutenu par le Président Macron lors de la cérémonie de clôture de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, représenterait une opportunité très concrète de donner au Comité européen des régions un rôle accru dans le processus législatif européen.

La politique de cohésion des territoires

L’Union européenne compte 27 États membres divisés en 242 régions. Ces régions présentent d’importants écarts de développement. Pour faire face au déséquilibre entre ces régions, l’UE conduit une politique de cohésion économique, sociale et territoriale (anciennement « politique régionale »). L’objectif est de réduire les écarts de développement socio-économique et de renforcer la solidarité entre les régions, c’est-à-dire que les plus riches dans une logique de péréquation, participent au financement des régions les plus pauvres. Quel est le bilan de la politique de cohésion ? Est-ce que celle-ci, comme certains détracteurs l’affirment, a profité seulement aux grandes métropoles et aux régions les plus riches des pays pauvres ?

Les disparités régionales, comme le montre d’ailleurs le dernier rapport de la Commission européenne sur la cohésion, restent marquées dans l’Union. Mais il est à noter que, grâce à la politique de cohésion, les régions moins développées d’Europe de l’Est sont en train de rattraper leur retard et que, selon les projections de la Commission, en 2023 le PIB par habitant augmentera de 2,6 % dans les régions moins développées de l’UE. La politique de cohésion a donc été décisive pendant les dernières décennies. Elle nous permet aussi de répondre à des crises historiques comme la pandémie et la guerre en Ukraine. Lorsque la Covid-19 a frappé l’Europe, la politique de cohésion a été immédiatement mobilisée pour montrer la solidarité de l’UE avec les régions et les États membres les plus touchés.

Actuellement, pour aider les régions et les villes en première ligne dans l’accueil et le soutien aux réfugiés ukrainiens, c’est à nouveau la politique de cohésion qui est mobilisée. La politique de cohésion a été fortement menacée lors des négociations sur le nouveau budget pluriannuel de l’UE 2021-27. Grâce notamment à l’Alliance pour la cohésion, que le Comité européen des régions a lancée en 2017 et qui compte plus de 12 000 signataires, nous avons pu éviter des coupures budgétaires majeures et garantir une politique de cohésion forte pour toutes les régions. La cohésion n’est pas seulement une politique de l’UE, mais une valeur fondamentale de notre Union, qui devrait devenir la boussole de toutes les autres politiques européennes, en particulier celles liées aux transitions écologique et numérique.

La Conférence sur l’avenir de l’Europe a été un exercice de participation citoyenne inédit dans l’histoire de l’Union européenne. Les citoyens impliqués dans cet exercice l’ont fait avec beaucoup de sérieux, et ils attendent de voir ce que les présidents des trois institutions européennes vont faire de leurs recommandations. À cet égard, et pour assurer une crédibilité au projet européen, il n’est pas permis de les décevoir. Pour le Comité européen des régions, cette conférence n’est qu’un point de départ vers un meilleur équilibre entre la démocratie représentative et la démocratie participative dans le processus démocratique européen, ainsi qu’une application plus approfondie du principe de la subsidiarité dans la conception et la mise en œuvre de la législation européenne. Le travail des trente délégués régionaux et locaux a permis d’inclure efficacement la dimension locale dans les conclusions de la Conférence. Les efforts de notre Comité ont permis de proposer, par exemple, un système de conseillers locaux de l’UE pour réduire la distance entre les institutions de l’UE et les citoyens européens, la mise en place de conseils locaux de la jeunesse et la création des maisons locales de la démocratie européenne. Une autre proposition proposée par le Comité européen des régions et retenue dans le rapport final de la Conférence porte sur l’inclusion des sujets de l’UE dans les débats publics par l’intermédiaire des partis politiques, non seulement une fois tous les cinq ans pendant les élections européennes, mais aussi avant les élections nationales, régionales et locales. Cela s’ajoute à la demande des citoyens, assez centrale pour nous, de réformer le Comité européen des régions en tant que principal canal de dialogue pour les régions, les villes et les municipalités, tout en lui conférant un rôle accru dans l’architecture institutionnelle sur des questions spécifiques ayant un impact territorial.

Si nous voulons assurer une Europe plus proche de nos citoyens, nous devons aussi porter une attention particulière à la jeunesse. La démocratie ne peut survivre dans l’Union européenne que si elle est bien enracinée sur le terrain et pratiquée tous les jours et si tous, en particulier les jeunes, peuvent participer, contribuer et promouvoir ses valeurs fondamentales. Pour cela, dans le cadre de l’Année européenne de la jeunesse 2022, nous avons lancé avec le Forum européen de la jeunesse, le processus de co-création d’une Charte européenne de la jeunesse et de la démocratie. La Charte s’efforcera de construire et de consolider un espace démocratique favorable aux jeunes afin de mieux faire entendre leur voix au niveau local, régional, national et européen.

Guerre en Ukraine

Les villes et les régions de l’UE ont fermement condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Dès le début de l’attaque de l’Ukraine par la Russie, le Comité européen des régions a mis en place des initiatives, nos villes et nos régions ont envoyé de l’aide humanitaire et accueilli les réfugiés ukrainiens. Afin de faciliter ce travail et de maintenir des liens avec les villes et régions ukrainiennes malgré la guerre, le Comité européen des régions a lancé plusieurs initiatives : une plateforme en ligne d’information, « l’Info Support Hub » a été mise en place. Grâce à cette plateforme, les autorités locales et régionales de l’UE peuvent s’informer de leurs besoins concernant l’accueil des réfugiés et se venir en aide mutuellement. Avec Vitaliy Klitschko, maire de Kiev et Président de l’Association des villes ukrainiennes, nous avons lancé l’organisation de camps d’été pour des milliers d’enfants ukrainiens dans les villes et villages européens, avec des soutiens psychologiques appropriés. À la demande du Président ukrainien, Volodymyr Zelensky, nous encourageons les jumelages entre les régions et villes ukrainiennes et les régions et villes de l’UE, afin que ces dernières apportent leur expertise et leur savoir-faire pour la reconstruction des territoires détruits. Pour cela, nous allons aussi lancer une Alliance des régions et des villes pour la Reconstruction de l’Ukraine. Les plans de l’UE peuvent produire des résultats concrets pour les citoyens seulement si les autorités aux niveaux européen, national, régional et local travaillent en pleine coordination. En outre, nous avons, dans toutes nos réunions plénières ou lors de réunions du groupe de travail sur l’Ukraine, donné la parole aux maires ukrainiens des villes touchées par la guerre et leur avons assuré de notre soutien indéfectible. Nous lançons enfin un appel à la Commission européenne pour créer une facilité qui rassemblerait toutes les sources de financements européens que constitue le paquet de soutien de l’UE de 17 Mds€ afin de permettre aux villes et régions de profiter de ces financements de manière rapide et efficace.

1 Cet article a été rédigé à partir de l’interview d’Apostolos TZITZIKOSTAS, Président du Comité européen des régions, par Thomas Dorget, le 24 mai 2022

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