Le « Digital Markets Act » ouvre une nouvelle ère pour le marché numérique européen

 Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur

Il y a quelques semaines, la Commission européenne, le Parlement et le Conseil ont conclu un accord sur le « Digital Markets Act » (DMA). Ce texte, l’un des plus importants et complexes conçus par l’actuelle Commission va structurer notre marché numérique, que j’appelle également notre « espace informationnel », pour les vingt prochaines années.

Le DMA introduit une révolution en intervenant en amont des atteintes à la concurrence. Jusqu’à présent la commission avait recours à des procédures ex post, au cas par cas, demandant de longs temps d’instruction, et qui lorsqu’elles aboutissent à des amendes, sont presque toujours contestées. Désormais, nous imposons ex ante des obligations claires aux acteurs critiques, les « contrôleurs d’accès » (« gatekeepers »), pour assurer le bon fonctionnement du monde informationnel.

Les contrôleurs d’accès sont définis par des critères simples mais innovants : non seulement sur la base de leur nombre d’utilisateurs et de leur chiffre d’affaires, mais aussi de leur capitalisation boursière. Car la force de nombre de ces grands acteurs ne réside pas seulement dans leurs revenus mais dans les anticipations du marché quant à leur potentiel. Ces critères et ces règles s’appliquant en toutes circonstances apporteront de la sécurité juridique aux entreprises.

Le DMA va avoir des effets bénéfiques rapides pour les utilisateurs. Lors de l’achat d’un nouveau smartphone, il sera possible de choisir le moteur de recherche par défaut et de supprimer les applications préinstallées. Il sera aussi possible de passer par d’autres magasins d’applications que celui du fabricant. Avec la portabilité des données, il deviendra beaucoup plus facile de passer d’un système d’exploitation à un autre.

Le DMA va aussi permettre à davantage de services innovants de se développer en interdisant aux contrôleurs d’accès des comportements anticoncurrentiels. Ainsi, un moteur de recherche ne pourra plus favoriser ses propres services, et une plateforme d’e-commerce ne pourra plus exploiter les données sur les produits les plus populaires pour concevoir sa propre offre de biens.

En atteignant un accord seulement un an après que la Commission a présenté son texte, les institutions européennes ont montré leur capacité à avancer à grande vitesse lorsque les ambitions sont fortes et alignées. Nous avons pourtant pris le temps du dialogue, avec trois mois de consultation et trois mois pour éplucher les 3000 contributions que nous avons reçues. J’ai mené des centaines de réunions avec les entreprises européennes, américaines, chinoises, les ONG, les représentants d’intérêts… mais nous avons réussi à intégrer les positions tout en préservant l’intégralité de la substance du texte.

Le lobbying des GAFAM a été intense, mais n’a pas altéré notre ambition. J’ai bien sûr échangé avec les PDG des grands groupes de la Tech, et je leur ai expliqué que nous avions bien compris leur point de vue et qu’il n’était pas la peine d’essayer de nous contrecarrer par le biais des lobbyistes. Certains ont pu être tentés d’influencer des États membres et des parlementaires. Ils ont combattu plusieurs points du texte, mais nous sommes restés déterminés, et nous n’avons pas laissé leurs intérêts interférer avec ceux de nos citoyens.

Le DMA n’est pas pour autant un texte antiaméricain, qui viserait en fait à promouvoir des « champions européens ». J’ai toujours été transparent, ce texte n’est pas dirigé contre les entreprises américaines mais vise à protéger les citoyens européens. Parmi les contrôleurs d’accès pourront aussi se trouver des groupes européens et chinois. Et le DMA inspire d’ailleurs outre Atlantique. J’ai notamment rencontré Lina Khan, la directrice de la Federal Trade Commission qui m’a fait part de son intérêt à ce niveau.

Avant de conclure, précisons que le DMA fonctionne en tandem avec l’autre texte majeur sur lequel nous avons atteint un accord fin avril, le « Digital Services Act » (DSA). Leur logique est identique : les principes que nous protégeons dans le monde réel doivent aussi l’être dans le monde informationnel.  Avec ces deux textes nous mettons donc fin à ce que l’on appelle le « Far West » qui domine notre espace informationnel. Nous créons un nouveau cadre qui peut devenir une référence pour les démocraties du monde entier. Et nous offrons à l’Europe le marché unique du numérique qui ouvre à tous nos entrepreneurs de formidables perspectives.

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