Par Radu G. Magdin, CEO – EU Affairs and Global Operations du think tank roumain Smartlink
Les récentes évolutions concernant Donald Trump, notamment son entretien téléphonique avec Vladimir Poutine et ses déclarations ultérieures, y compris ses publications sur Truth Social, ainsi que les propos des représentants de son administration en Europe (à Bruxelles, Berlin et Munich), ont ravivé les scénarios les plus pessimistes de rupture dans la relation transatlantique. Ces événements ont également déclenché des réactions radicales concernant la sécurité européenne et l’avenir de l’Ukraine.
Face à cette situation, la France et le président Macron ont tenté de réunir en urgence les représentants européens à Paris, le lundi 17 février. La discussion a démontré que la proposition de Macron de restaurer une autonomie souveraine de l’Europe ne bénéficie pas d’un soutien significatif, même si les pays du flanc Est, traditionnellement les plus réticents, n’étaient pas conviés. Quelques conclusions majeures ont émergé : les pays européens devront investir davantage dans leur défense, et ces investissements seront exclus du calcul du déficit budgétaire en raison de leur caractère urgent et nécessaire pour la sécurité. Plutôt que de développer une armée européenne indépendante sous l’égide de l’Union européenne, les Européens renforceront leur pilier au sein de l’OTAN. Il n’y aura pas de confrontation avec les États-Unis ni de dispute ouverte avec l’administration Trump. Enfin, une réponse ferme sera apportée aux ingérences électorales de l’extrême droite populiste eurosceptique, voire ouvertement anti-européenne, sans pour autant raviver un conflit diplomatique.
Deux jours après cette réunion du 17 février, Emmanuel Macron a organisé un second échange avec les alliés européens afin de préciser les orientations prises lors de la première rencontre. Cette semaine, le président Macron a également rencontré le président Trump lundi, tandis que Keir Starmer, le Premier ministre britannique, s’est entretenu avec lui jeudi. Cependant, ce qui a véritablement marqué les esprits est la rencontre entre le président Trump et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky. Cet échange soulève de sérieuses interrogations, non seulement sur la capacité de Trump à négocier une paix durable en Ukraine, mais aussi sur l’implication des États-Unis dans le soutien à Kiev et, plus largement, sur la solidité de la relation transatlantique.
Les États-Unis restent considérés comme des partenaires stratégiques. Toutefois, sur le plan économique et commercial, une évaluation est en cours et des mesures de rétorsion sont envisagées en réponse à toute surtaxe américaine imposée aux produits européens. En matière de sécurité, la coopération avec Washington sera maintenue, en particulier sur le dossier ukrainien. Cependant, plusieurs éléments suscitent une inquiétude profonde parmi les Européens : la réintégration de la Russie de Poutine sur la scène internationale et sa mise sur un pied d’égalité avec les États-Unis, la possibilité de négociations sur l’Ukraine sans la participation de l’Ukraine elle-même, ainsi que l’idée de discuter de la sécurité européenne sans l’Europe. Les traumatismes historiques de l’Europe de l’Est, notamment ceux liés au Pacte Ribbentrop-Molotov de 1939 et aux accords de Vienne et de Munich, refont surface face à la perspective de décisions prises sans consultation des Européens.
Un effort diplomatique considérable a été déployé pour éviter de qualifier la proposition américaine sur l’exploitation des métaux rares en Ukraine de purement mercantiliste, voire de manque de considération pour les alliés européens, qui ont pourtant investi davantage que Washington dans le soutien à l’Ukraine. Les réactions européennes et ukrainiennes traduisent une frustration croissante. Il revient désormais aux États-Unis d’ajuster leur stratégie pour éviter toute confrontation et adopter une approche plus inclusive sur les questions existentielles de sécurité pour l’Europe.
Le questionnaire envoyé par Washington aux pays européens, leur demandant d’évaluer leur contribution pour garantir la sécurité de l’Ukraine après un éventuel cessez-le-feu ainsi que leurs attentes vis-à-vis des États-Unis, a été mal perçu. Jugée expéditive et superficielle, cette démarche n’a pas été discutée au sein de l’OTAN ou dans un cadre multilatéral approprié. Elle ne permet pas de comprendre clairement la stratégie américaine, qui semble déjà rejetée par Poutine.
Les dynamiques actuelles laissent entrevoir plusieurs tendances préoccupantes : un refroidissement marqué des relations transatlantiques pouvant aller jusqu’à une forme de gel diplomatique, un sentiment d’abandon soudain des garanties de sécurité américaines utilisé comme un levier de pression sur l’Europe, ainsi qu’une perte de crédibilité de Donald Trump et de son administration, renforçant la perception négative des relations transatlantiques sous sa présidence. L’Europe maintient son soutien à l’Ukraine et envisage même d’agir seule si nécessaire. Elle se prépare à un scénario où elle devrait assumer sa défense sans l’appui des États-Unis.
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