RÉFLEXIONS SUR LA RÉINDUSTRIALISATION DE L’EUROPE

Par Anastasia Panopoulou, Consultante dans l’Administration française

Le 26 février, Ursula von der Leyen a présenté le « Pacte pour une industrie propre en faveur
de la compétitivité et de la décarbonisation dans l’UE » .


Le Pacte, axé sur les industries à forte intensité énergétique et les technologies propres,
comprend quatre axes :

  • Réduire l’« innovation gap » entre l’UE et ses concurrents : mobiliser des ressources
    financières et revoir le régime d’aides d’état notamment pour la décarbonisation,
    développer l’économie circulaire afin de faciliter l’approvisionnement en matières
    critiques.
  • Simplification réglementaire, afin de gagner en flexibilité et répondre plus rapidement
    aux besoins de l’industrie innovante.
  • Baisse du coût de l’énergie simultanément avec la mise en place d’un système qui
    permettra plus de prédictibilité. Cela passe par la connectivité et des investissements
    dans le secteur et sera mis en œuvre avec le plan d’action pour une énergie abordable.
  • Adaptation à la concurrence internationale : l’Europe – et la France la première – est
    déjà leader en matière d’innovation dans le domaine de l’énergie et de l’environnement ;
    il faut cependant développer la production européenne compétitive.

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_25_550

Un environnement international en mutation

Pour comprendre la situation actuelle, le graphique nous informe sur l’évolution de la taille
des économies de certains pays et de l’UE depuis 1960

Source : La Banque Mondiale

Ce graphique est à lire et interpréter en regard du cadre géopolitique des changements
tectoniques qui ont lieu depuis l’attaque russe en Ukraine et qui se sont accélérés avec
l’arrivée de Donald Trump pour un second mandat à la Maison Blanche.

Alors que le monde entier finance l’économie américaine avec l’utilisation du dollar, les
Européens sont priés d’y injecter encore plus d’argent en achetant des produits militaires
américains et du gaz de schiste ; en contradiction avec leurs principes environnementaux et
peut-être même avec leurs intérêts stratégiques à plus long terme. Dans ce contexte, une
démarche qui vise à booster la compétitivité de l’UE dans son ensemble tout en
encourageant la concurrence, à approfondir le marché unique, et à encourager l’innovation
est plus que bienvenue.

Ainsi, la Commission multiplie les initiatives des rapports Letta et Draghi présentés en
2024.


Aux côtés de la nouvelle initiative, la proposition d’un Fonds Européen pour la Compétitivité
pour soutenir les secteurs stratégiques et les technologies critiques profitera
particulièrement à la France, qui possède déjà une base industrielle compétitive au niveau
mondial.


L’approche au niveau européen évite de créer deux écueils : le premier, accroître le clivage
entre pays riches et pays moins riches au sein de l’UE. Deuxièmement, et plus important, les
gouvernements auront tendance à aider les entreprises nationales, sans tenir compte de
leur compétitivité au niveau européen. Espérons que, en parallèle, l’application du principe
de subsidiarité permettra de distinguer le niveau adéquat pour la réforme du régime des
aides d’état. Et que les sirènes de la dérégulation tous azimuts se tairont avant d’avoir
causé des dégâts à notre modèle de protection sociale et environnementale.

Et la France dans tout ça ?

Nous devrions nuancer le tableau souvent présenté comme très négatif de la situation de
l’industrie en France. Selon une note récente de la Direction Générale des Entreprises ,
« les indicateurs traditionnels font ressortir que le mouvement de désindustrialisation s’est
interrompu au milieu des années 2010 et qu’une dynamique de réindustrialisation s’est
amorcée » et ceci malgré les obstacles du COVID et de la guerre en Ukraine. Depuis 2019,
la France se classe première au baromètre de l’attractivité EY en Europe, y compris pour les
investissements manufacturiers. À l’exception des Hauts de France et de la Corse, en 2023
toutes les régions présentent un solde positif de création d’entreprises.

Selon Statista , la part de l’industrie dans le PIB français se situe à 17%. Cet indice reste
cependant une mesure approximative. Par exemple, les gains de productivité dans
l’industrie font que la valeur ajoutée industrielle baisse par rapport à celle des services. Mais
le solde de créations d’emplois industriels reste positif. Et ces chiffres ne rendent pas
compte de la porosité accrue entre l’industrie et les services ; en d’autres termes, des
emplois catégorisés « services » peuvent en réalité être situés dans l’industrie.

https://institutdelors.eu/publications/bien-plus-quun-marche/
https://commission.europa.eu/topics/eu-competitiveness/draghi-report_en
https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_25_486
https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/Publications/2024/themas/2024-themas-dge-n20.pdf
L’indice de la production industrielle mesure l’évolution du volume de la production pour l’ensemble de l’industrie, excepté
la construction, sur la base de données corrigées des variations saisonnières et des effets de calendrier.

Le poids de l’industrie dans l’économie en Europe. Source : Statista, Banque Mondiale, 2022

Par ailleurs, à niveau égal de pourcentage de PIB attribué au secteur industriel, le type
d’industries diffère dans chaque pays. En France, nous avons de grands groupes industriels
compétitifs au niveau mondial, qui utilisent des technologies de pointe. Ceci demande des
investissements dans la production de la connaissance et de la recherche et
développement. Ce coût est subi par les entreprises, qui cherchent à attirer les meilleurs
talents dans une compétition mondialisée ; l’Etat doit aussi investir massivement dans
l’éducation qui prépare les scientifiques de demain . La désindustrialisation des décennies
précédentes a été suivie par une perte de savoir-faire au profit d’autres économies qui
accueillaient les usines . Enfin, les grandes industries, à la différence des PME, sont plus
sensibles aux sirènes de la maximisation du profit et de la production à moindre coût. Elles
ont donc tendance à délocaliser plus facilement qu’une PME pour laquelle le coût relatif
sera plus élevé. On peut dire que la France est victime de son succès !

Cependant, il faut bien noter une légère baisse de la production industrielle par rapport à la
moyenne de l’ODCE : si en 2015 la production se situait à 100, elle est aujourd’hui à 98,8.

La politique d’aménagement du territoire peur également jouer un rôle au niveau national, en sanctuarisant des espaces
pour l’implantation industrielle.
D’où la proposition d’une politique de rapatriement, non seulement de la production, mais aussi du savoir-faire nécessaire à l’implantation en Europe.

OECD, France, European Union

Le tableau n’est pas noir, mais plutôt mitigé. Nous avons intérêt, non seulement à saisir les
outils qui seront mis en place, mais surtout à contribuer activement à leur conception.

Pour conclure, un mot sur le « droit de rester » proposé par Enrico Letta dans son rapport
sur le marché unique. En effet, et ceci à la différence des Etats Unis et de la Chine, en
Europe la mobilité des personnes est beaucoup moins développée, en raison surtout de la
barrière de la langue et du coût humain que cela représente. La délocalisation de la
production n’est pas suivie par la main d’œuvre et l’on arrive à la création de territoires en
piège de non-développement, avec toutes les conséquences politiques et sociales que cela
induit. Ainsi, la politique de cohésion demeure un outil important pour le rapprochement de
nos régions vers une moyenne européenne en progression positive. Il faudra suivre
attentivement les propositions de la Commission à ce sujet.

Le pari reste compliqué ! Restons optimistes, l’UE a toujours relevé les défis ; d’autant plus
quand elle n’a pas d’autre option.

https://institutdelors.eu/en/publications/much-more-than-a-market/

20250513-Reflexions-sur-la-reindustrialisation-de-lEurope

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