Par Sylvie Guillaume, Députée européenne, S&D, France. Membre de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures
Une question de l’asile et des migrations fait la Une de l’actualité depuis plusieurs années. Son traitement politique et médiatique est centré sur l’hystérisation et le repli sur soi, tant sur le plan national qu’européen.En tant qu’eurodéputée, rapporteure ou shadow rapporteure sur plusieurs textes du Régime d’asile européen commun (RAEC), je témoigne que les nombreuses tentatives de réforme de ce système se sont malheureuse-ment soldées par une série d’échecs. Tel est le cas des propositions de la Commission européenne pour réformer le système d’asile en 2016, qui n’avait pas fait l’objet d’une évaluation sérieuse.
Le Pacte sur l’asile et la migration (PAM) présenté en septembre 2020 s’est ensuite concentré avant tout sur l’externalisation des politiques de migration, le recours quasi systématique à la détention et les politiques de retour. Il ne précisait pourtant pas que c’était au détriment des droits humains les plus élémentaires.
Plus récemment encore, le débat sur l’asile a franchi plusieurs degrés de restriction et présente désormais un risque réel de normaliser plusieurs concepts qui faisaient pourtant l’objet d’opposition et d’indignation il y a quelques années.
L’Union européenne et surtout les États-membres se trouvent dans une impasse décisionnelle.
Pour bien comprendre les enjeux autour de la réforme du RAEC, il est nécessaire de revenir sur l’état des lieux des différents dossiers composant ces propositions, d’aborder les orientations prises par la Commission et les États membres sur le sujet et, enfin, de réfléchir à l’avenir de ce Pacte.
État des lieux
Le Pacte sur l’asile et la migration de septembre 2020 est composé de plusieurs textes législatifs qui avancent à des rythmes différents au Conseil et au Parlement. Certains sont tout à fait nouveaux tandis que d’autres sont des modifications de règlements déjà existants.
Trois règlements majeurs constituent ce Pacte : « screening » des migrants aux frontières extérieures ; gestion de l’asile et des migrations ; situations de crise en matière de migration et d’asile. Les négociations politiques au Parlement européen sur ces trois textes vont débuter au premier trimestre 2022. Elles seront difficiles en raison de divergences profondes sur les questions de responsabilité, de solidarité ou de gestion des frontières. En effet, l’approche de la Commission est déjà extrêmement restrictive et l’aile droite du Parlement européen entend bien renforcer, ou a minima conserver, ces aspects durant les négociations. Les discussions au Conseil sont, quant à elles, déjà bloquées.
Les débats au Parlement européen ont débuté sur le règlement sur la procédure d’asile mais vont se heurter aux mêmes écueils, notamment en ce qui concerne le recours quasi systématique aux procédures accélérées et à la détention.
En revanche, les travaux sur le règlement Eurodac (comparaison des données biométriques des migrants) ont considérablement avancé au Parlement et au Conseil. Un accord se profile (normalement) pour le premier se-mestre 2022 afin de lancer les trilogues.
En dehors du nouveau PAM, plusieurs autres textes présentés au mandat précédent ont abouti en 2021, comme, par exemple, l’Agence européenne pour l’asile et la directive Carte bleue. A l’inverse d’autres sont bloqués, notamment la directive Retour où les compromis sont difficiles à trouver sur des éléments tels que l’interdiction d’entrée, la possibilité de recours, ou encore la détention, tant les divergences d’approches politiques sont profondes.
Ainsi, le peu de volonté politique notamment sur la question des mesures de solidarité, doublé de l’évitement des responsabilités dans certains États membres, oblige les pays de première entrée à continuer de devoir gérer la majorité des migrants, tandis que l’externalisation des responsabilités séduit de plus en plus les chefs d’État et de gouvernement.
Les tendances à l’externalisation de la politique d’asile et le renforcement des frontières
Les propositions législatives en matière d’asile et migration montrent la tendance très nette à l’externalisation de la politique d’asile aux frontières. L’instauration d’une procédure d’asile à la frontière, auparavant exceptionnelle mais qui a vocation à devenir la norme, en témoigne d’une façon évidente. Celle-ci, en plus d’être menée de façon accélérée, va aboutir à la détention systématique des demandeurs d’asile et à la généralisation du principe de non-entrée des demandeurs sur le territoire européen, qui est à la fois bancal et artificiel, puisque matériellement ils sont bien entrés sur le territoire. En réalité, ce principe se révèle des plus commodes pour les États membres qui peuvent renvoyer ces personnes par une procédure de « refus d’entrée » et non d’expulsion, dont les modalités et les droits afférents sont bien différents.
Récemment, un degré supplémentaire a été franchi dans cette politique d’externalisation avec des pratiques violentes à l’égard des per-sonnes et en violation flagrante du droit inter-national et européen. Tout ceci est parfaitement documenté, comme en témoignent les refoulements filmés à la frontière de la part des autorités croates, grecques et roumaines.
Or, alors que ces pratiques clairement il-légales étaient décriées il y a encore quelques années, le risque est réel qu’elles soient normalisées, puisque 12 États membres (l’Au-triche, la Bulgarie, Chypre, la République tchèque, le Danemark, la Grèce, la Hongrie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Slovaquie) ont demandé à la Commission européenne de financer la construction de barrières anti-migrants et de légaliser la pratique des refoulements (« pushbacks »).
Ainsi, en raison de divergences d’approches irréconciliables, les États membres font le choix de faire de l’Union européenne un espace verrouillé où les migrants sont considérés comme une menace à endiguer en marge des frontières et des sociétés.
Dans ce contexte, l’avenir et l’utilité du Pacte posent question.
Pacte européen sur l’asile et la migration : quelles pistes pour l’avenir ?
Les propositions de la Commission européenne tendent à affaiblir les dispositions actuelles du RAEC et à concentrer l’attention des autorités sur la réduction des arrivées, au lieu de renforcer l’accès à un système européen de protection à la hauteur des besoins croissants à l’échelle internationale.
Que va-t-il advenir de ce Pacte encalminé dans les mois à venir ? Faut-il envisager de voter à majorité qualifiée et non à l’unanimité ? Faut-il abandonner l’approche « en paquet1 » des textes qui le composent ? Ou plus simplement ne faut-il pas abandonner le Pacte lui-même ?
Le vote à majorité qualifiée est envisageable (pour rappel, il faut l’accord de 15 pays sur 27, soit 55 % des États membres et représentant 65 % de la population totale de l’UE2). Une minorité de blocage doit comprendre au moins quatre membres du Conseil représentant plus de 35% de la population de l’UE que les quatre pays Visegrad, même aidés par l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, la Lituanie et la Lettonie ne pourraient pas atteindre. En 2020, ils représentaient seulement 16,7 % de la population européenne. Toutefois, sauf en de rares exceptions (2015 et la relocalisation des demandeurs d’asile depuis la Grèce et l’Italie), en matière d’asile et de migration le Conseil a toujours cherché le consensus. Ainsi, si cette procédure n’est pas courante, elle est possible, sans être probable.
Concernant l’abandon de l’approche en « paquet », qui pourrait être recherchée par le Conseil, c’est une ligne rouge au sein de mon groupe politique mais plus largement du Parle-ment. D’une part, voter les textes en paquet permet de garder la cohérence entre eux, de nombreuses dispositions se retrouvant dans plusieurs textes et étant liées les unes aux autres. D’autre part, l’approche en paquet garantit qu’aucun texte ne soit abandonné lorsque les États membres pourraient être tentés de s’accorder seulement sur les textes qui les intéressent et de ne pas avancer sur les autres dossiers.
Enfin, la question se posera d’abandonner le Pacte lui-même, ce qui permettrait de se concentrer sur l’application des textes actuels. C’est peut-être ce qui arrivera et cela discrète-ment. Toutefois, il n’en demeure pas moins que le système actuel ne peut rester en l’état et a besoin d’être réformé. Il ne faudrait pas non plus que des accords ad hoc émergent avec le re-cours à des solutions non-législatives, (sur le modèle de la Déclaration avec la Turquie) et donc sans aucun garde-fou.
Sauf à ce qu’une volonté politique puissante s’exprime pour entraîner des États membres volontaires et mobilisés dans une coopération renforcée, le repli vers l’option d’avancer à petits pas sur le nouveau pacte apparait privilégié par les différents négociateurs.
Mais quelle que soit l’issue, je veux terminer en appuyant trois dernières convictions :
- La question de l’accès au territoire est centrale ; il faut écarter la fiction juridique à la base de la proposition sur le filtrage et sur les procédures d’asile, selon laquelle les demandeurs d’asile sont maintenus à la frontière et considérés artificiellement comme n’étant pas entrés sur le territoire européen.
- Il faut refuser l’extension inquiétante de la privation de liberté dont le recours est prévu comme quasiment systématique. Non seule-ment, on ne peut être détenu alors qu’aucun crime n’a été commis, mais cette disposition va peser encore plus sur les États de première entrée.
- L’illégalité des refoulements (« pushback ») à la frontière est un principe auquel nous ne devons pas déroger.
J’ajoute enfin, que l’édifice ne peut tenir debout que si des voies légales et sécurisées vers l’UE sont ouvertes, en intensifiant, par exemple, les programmes de réinstallation et la mise en œuvre des visas humanitaires.