Michel CRUCIANI
Conseiller Énergie-Climat à Confrontations Europe, chargé de mission au CGEMP – Université Paris-Dauphine
Le séminaire Électro-Mobilité organisé par Confrontations Europe à Bruxelles le 7 juin a mis en évidence à la fois la cohérence du cadre législatif proposé par la Commission Européenne, les obstacles qui restent à surmonter, et le volontarisme des acteurs pour réussir cette profonde mutation.
Pour la plupart des analystes, le développement massif des véhicules électriques ne fait aucun doute. Leurs performances techniques enregistrent des progrès continus et la « propreté » de ce moyen de transport en phase d’utilisation satisfait les élus soucieux de réduire la pollution atmosphérique. La Commission refuse de privilégier la voiture électrique au détriment des véhicules au biogaz ou à l’hydrogène, mais, depuis deux ans, elle assemble méthodiquement tous les éléments susceptibles de favoriser son déploiement.
Ainsi, les paquets « Mobilité propre » et « Énergie propre » stimulent l’implantation des bornes de recharge, aussi bien sur voie publique que dans les aires privées, et encouragent l’interopérabilité des équipements, afin que tout conducteur de tout modèle puisse recharger sa voiture et payer l’électricité partout en Europe aussi facilement qu’il utilise son téléphone portable. Grâce aux réseaux électriques « intelligents », ce conducteur participera au smart charging : il recevra les signaux l’incitant à recharger la batterie au moment le plus avantageux (par exemple, lors des pics de production éolienne ou photovoltaïque) et sa facture reflétera le coût réel de son impact sur le système électrique. Au-delà du cadre réglementaire, la Commission a pris des initiatives pour encourager les industriels à produire les batteries en Europe, afin d’éviter une dépendance à l’égard de pays tiers, et elle invite les États à se préoccuper des zones rurales, souvent mal pourvues en bornes de recharge.
Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) insiste pour protéger les conducteurs vulnérables, qui ne pourront pas choisir le moment de recharger leur véhicule. Plus largement, les consommateurs souhaitent un encadrement du smart charging : information transparente, participation purement volontaire, respect de la vie privée, instances d’appels… Il s’agit de rassurer les futurs acquéreurs mais ces derniers ont des exigences qui dépassent le seul encadrement du smart charging et souhaitent une offre plus diversifiée, des vendeurs mieux qualifiés… Le BEUC déplore d’ailleurs que les normes européennes restent insuffisamment contraignantes à l’égard des véhicules thermiques, de sorte que les constructeurs en proposent encore 400 modèles, contre 20 pour les véhicules électriques ; en outre les vendeurs sont mal formés pour en parler, les délais d’attentes excessifs… et les clients manquent d’informations vérifiées.
Engouement après le « Dieselgate »
Chez Renault, véritable pionnier mondial de la voiture électrique, on ne minimise pas les difficultés, mais on reconnaît avoir été surpris par un engouement subit, consécutif à un « Dieselgate » non planifié. Le constructeur a engagé des efforts considérables pour augmenter l’autonomie des véhicules, réduire le coût de la batterie, multiplier les points de recharge, rendre celle-ci facile et rapide. Surtout, Renault, comme ses concurrents, développe un écosystème lui permettant d’offrir des services associés : optimisation de la recharge, utilisation de la batterie comme source électrique d’appoint à domicile, nouvelles formules de mobilité (auto-partage), contribution à la stabilité des réseaux électriques, valorisation des batteries usagées… Cet écosystème s’édifie à l’aide de multiples partenariats.
Les grands électriciens européens s’inscrivent dans ces partenariats. À l’instar de l’Allemand E-ON ou du Suédois Vattenfall, le groupe EDF, par exemple, gère déjà par ses filiales plus de 3 000 points de recharge, construit un réseau de bornes rapides dédiées aux longs trajets transeuropéens sur autoroutes et propose une gamme étendue de services, allant du conseil à l’assistance technique. Cette implication dans l’électromobilité révèle la confiance des opérateurs électriques dans leur capacité à répondre à une demande nouvelle : leur outil de production devient de moins en moins carboné, un parc automobile comptant 50 % de voitures électriques en 2035 n’entraînerait qu’une consommation supplémentaire d’électricité d’environ 9 % et le raccordement des bornes de recharge nécessaires équivaudrait à 5 % seulement des nouveaux branchements prévus d’ici 2025 pour les clients ordinaires… Plus généralement, ce dynamisme témoigne d’un esprit d’entreprise qui rend optimiste sur l’aptitude des acteurs européens à transformer complètement le secteur des transports d’ici 2030. Pour le meilleur.