Par Yannick PEREZ, Professeur en Sciences économiques, Chaire Armand Peugeot, Centralesupélec
En raison de la transition énergétique et des transformation profondes, telles que la libéralisation, la décarbonation et la numérisation, les services publics d’électricité traditionnels subissent une demande de transformation sans précédent de leur mode de fonctionnement.
Le secteur de l’électricité est également impacté par la transformation numérique qui brouille la distinction entre la production et la consommation, et permet quatre opportunités interdépendantes : la réponse intelligente à la demande, l’intégration des énergies renouvelables variables, la facilitation du développe-ment de ressources énergétiques distribuées et les technologies de recharge intelligente d’électromobilité. Au cœur de l’électromobilité se trouve le véhicule électrique (VE) qui interagit avec le réseau électrique et les services publics. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), il existe plus de 10 millions de voitures électriques, 290 millions de 2 et 3 roues, 378 000 véhicules utilitaires légers, 600 000 bus, 31 000 camions et 230 millions de scooters électriques, vélos électriques, cyclomoteurs électriques en 2020. De plus, les prévisions pour les années à venir sont très positives quant à l’acquisition de VE par les utilisateurs finaux en raison de trois facteurs : la baisse des coûts des batteries, la production en série des cellules de batterie et l’augmentation de la densité énergétique des batteries qui en réduit le volume.
Si elle est alimentée par de l’électricité décarbonée et dotée d’une recharge intelligente (numérisée), la recharge des véhicules électriques (VE) peut aider à déplacer la recharge vers les périodes où la demande d’électricité est faible et l’offre abondante par exemple. Elle peut aussi offrir un grand nombre d’autres services (en puissance, en énergie) pour différents acteurs (réseaux, marchés électriques, aval compteur).
De plus, l’électromobilité apportera une solution partielle à la protection des biens publics collectifs comme la santé publique locale (via la réduction de la pollution de l’air urbain).
Néanmoins, une flotte non coordonnée de véhicules électriques pourrait également avoir un impact sur le profil de charge électrique en surchargeant les réseaux de distribution électrique localement.
Les enjeux de la décarbonation, de la décentralisation et de la digitalisation pour les réseaux électriques
La décarbonation des services publics d’électricité consiste à réduire ou à éliminer les émissions de carbone en éliminant progressivement les combustibles fossiles de la production d’électricité. Les sources d’énergie intermittentes posent de nouveaux défis aux services publics, tels que la fiabilité du système et la sécurité d’approvisionnement pour équilibrer instantanément l’offre et la demande d’électricité. La décarbonation induit égale-ment l’apparition de nouveaux acteurs et augmente le besoin de coordination et de gestion du réseau.
Des changements dans la structure du marché pourraient conduire à une situation dans laquelle on ferme des unités de production techniquement encore capable de pro-duire, mais dont on décide d’abréger la durée de vie : elles deviennent des actifs échoués. Les technologies renouvelables ont un coût marginal nul, elles réduisent les prix moyens de l’électricité sur une base annuelle. Ainsi, les énergies renouvelables peuvent amplifier les défauts de conception du marché, entraînant parfois des périodes de prix négatifs.
L’électromobilité est liée à la transformation des services publics d’électricité car elle induit un renforcement de la décentralisation et étant un objet connecté, il digitalise de fait une partie de la consommation électrique. L’électromobilité fait partie d’un écosystème large et imbriqué, qui implique à la fois les transports (voiture, batteries, constructeurs d’infrastructures de recharge) et les systèmes électriques (services publics, autorités de régulation, commerçants du marché, prestataires de services, etc.), ainsi que les urbanistes, chercheurs, etc
Ainsi, les véhicules électriques représenteront à la fois une charge supplémentaire et une ressource flexible distribuée pour les services de réseau. Ce n’est que grâce à une gestion optimale du processus de charge qu’il sera possible de résoudre les défis potentiels du système et de tirer parti des opportunités éventuelles. À mesure que les véhicules électriques deviennent une fraction importante de la flotte, ils mèneraient l’ensemble du système électrique à subir un changement de paradigme important. Plus le développement des énergies intermittentes s’accroit, plus le besoin de flexibilité se fait ressentir.
Quels défis spécifiques à l’électromobilité ?
Le premier défi technique le plus important en V1G (1) et V2G (2) est la dégradation de la batterie due à l’usure liée à une utilisation accrue. La dégradation de la batterie peut entraîner une perte de capacité au fil du temps, ce qui a un impact sur la capacité d’autonomie d’un VE.
Le deuxième défi technique clé est l’efficacité globale du V2G envoyant de l’énergie vers et depuis le réseau. Les agrégateurs sont confrontés à deux défis centraux, le premier concerne la mise en œuvre d’algorithmes capables de gérer la complexité croissante des systèmes V2G, et le second concerne le système de communication, qui permet de transmettre des messages vers et depuis les VE et les services publics d’électricité. Parmi les différents projets V2G existants, aucune norme de communication unique ne s’est im-posée, avec des projets dans le monde utilisant différents protocoles de communication.
Sur le plan économique, à mesure que la capacité V2G augmente, elle a le potentiel de participer à plusieurs marchés à la fois, en fournissant des services « empilés », mais souvent les règles actuelles de conception du marché empêchent ou réduisent les options pour des enchères simultanées sur plusieurs marchés.
Quelles solutions mettre en œuvre et / ou explorer ?
Minimiser la dégradation de la batterie, optimiser l’efficacité du chargeur et mettre en œuvre des algorithmes efficaces pour agréger les ressources posent des défis importants, mais les systèmes V1G et V2G doivent faire tout ce qui précède, tout en se développant dans un avenir proche.
Il est également nécessaire de réglementer les aspects de confidentialité et de sécurité des flux de données. En outre, des normes communes devraient être élaborées et adoptées pour garantir l’interopérabilité des réseaux de recharge. De plus, les systèmes de contrôle de la recharge des véhicules électriques doivent être conçus de manière que la défaillance ou la manipulation des données n’en-traîne pas de changement substantiel dans l’équilibre du système (cyber-résilience) et que les situations d’urgence soient correctement gérées (telles que la restauration après des pannes d’électricité).
À l’heure actuelle, l’intégration flexible des véhicules électriques n’est pas en bonne voie pour que les systèmes d’alimentation s’adaptent aux charges réparties des batteries des véhicules électriques de manière coordonnée et à grande échelle. Les agrégateurs et les modèles commerciaux nécessitent des cadres réglementaires, mis à jour pour récompenser les propriétaires de véhicules électriques pour la fourniture de services de flexibilité.
L’utilisation de véhicules électriques comme unités de réserve de GRT a été démontrée comme une solution faisable et rentable. Néanmoins, les règles du marché des GRT ont potentiellement un impact important sur les revenus attendus du VE. Étant donné que les règles en vigueur sont conçues pour les acteurs existants du secteur de l’énergie électrique, l’introduction des véhicules électriques sur le marché nécessite de modifier certaines des règles en vigueur pour faciliter le flux d’argent (de revenus) du gestionnaire de réseau (GRT ou ISO) aux agrégateurs, et des agrégateurs aux propriétaires de VE.
(1) CF le cas des ballons d’eau chaude à déclenchement unique à heure fixe en France.
(2) La gestion bidirectionnelle à la seconde pour offrir un grand nombre de services électriques.