Sébastien Palle
Directeur général de Confrontations Europe
Quitte ou double. La crise ne nous quitte pas, elle pourrait même redoubler malgré le plan de relance européen.
Ce plan sera-t-il suffisant en quantité, bien orienté en qualité, suivi, assorti de conditionnalités suffisantes et, surtout, arrivera-t-il à temps ? Ne risque-t-il pas d’être vidé de sa substance par les lobbies ou par les contreparties budgétaires de chaque Etat ? Ah ! nous disait-on, quand les Britanniques ne seront plus là, on pourra enfin renforcer l’Europe. C’était oublier que bien des pays de taille plus modeste, celle d’une région d’un grand pays, avaient aussi un pouvoir de blocage. Et on s’aperçoit, à l’occasion de cette nouvelle crise, que la question de la gouvernance n’a pas été résolue par le départ de nos amis anglais, écossais et irlandais du nord !
Une vraie politique industrielle européenne est-elle enfin possible ? Peut-on mieux protéger l’Europe des appétits des Etats compétiteurs et de leurs champions ? Va-t-on devenir une colonie pour l’énergie, la finance, le numérique ? Avoir un cadre de protection européen permettant de défendre nos champions dans une concurrence internationale saine parait essentiel. Ne faut-il pas ainsi revoir la notion de « marché pertinent » ? On nous parle de concurrence, mais que veut-elle dire face aux GAFAM ? De nombreux secteurs sont liés plus ou moins directement à la défense, le numérique par exemple, mais comment promouvoir une politique industrielle européenne, lorsqu’on dépend militairement d’un concurrent ?
Nous avons encore de grandes banques européennes à la stature mondiale. Mais est-ce une garantie d’efficacité pour financer notre économie si les infrastructures de marché sont hors d’Europe et que les flux ne peuvent être supervisés avec nos normes ? Ces infrastructures sont le nerf de la guerre. Elles traitent ainsi près de 100 000 milliards d’euros (notionnel) de swaps de taux d’intérêt. Alors que nous sommes dans une économie mondiale de dette, que la Chine tient les Etats-Unis par ses énormes réserves de change en dollar et que tous ces flux de dérivés sur les dettes d’Etat vont à la vitesse de la lumière, comment imaginer que la non-maîtrise des infrastructures sera sans conséquences sur notre capacité à agir, en cas de déstabilisation ?
Et l’énergie ? Si chaque pays raisonne en solo, comment optimiser nos ressources et nos consommations d’énergie ? Ne faut-il pas des raisonnements régionaux et européens ? Plus de renouvelable dit-on, bien sûr, mais pourquoi ne pas voir que le nucléaire décarboné peut aussi avoir sa place dans une approche globale, diversifiée, permettant de limiter le risque d’approvisionnement. Pourquoi vouloir se mettre dans les mains des Russes, des Américains et des Chinois, alors qu’ils mettent déjà une option sur toutes les ressources d’énergie dans le monde, peut-être à notre détriment ?
Quitte ou double, parce que sans une planification stratégique coordonnée à chaque niveau, européen, national, régional, local, sectoriel, transversal, il n’y pas d’avenir maîtrisé. Et sans accompagnement social des décisions européennes, il n’y a pas d’adhésion, ni de volonté de vivre ensemble. Il ne reste alors que le doute des peuples, le repli démographique, sans immigrés, la dérive autocratique, l’éclatement. Il faut maintenant redoubler d’efforts pour consolider, développer nos capacités européennes, défendre nos valeurs démocratiques sans se cacher derrière le masque de l’incertitude.