Par Dominique Ristori
Conseiller en stratégie, ancien Directeur général de l’Energie à la Commission européenne
Aux États-Unis, l’énergie occupe une place très importante pour l’ensemble de la classe politique et de la population américaine. Chacun est conscient de son influence tant sur la compétitivité des entreprises que sur le niveau de vie des populations.
Cette priorité apparaissait encore plus grande au travers du programme républicain, orienté très clairement d’abord vers une hausse indifférenciée de la production énergétique, c’est-à-dire autant sur la production d’énergies fossiles – en particulier pétrole et gaz – que sur le nucléaire et les énergies renouvelables.
La volonté du nouveau Président américain sera d’immédiatement renforcer la position de son pays en tant que premier producteur mondial de pétrole et de gaz.
Dans le même temps, la place accrue que prendra l’électricité – portée notamment par la demande des grands industriels électro-intensifs, le numérique, les centres de stockage de données et la mobilité électrique – redonne des couleurs à l’énergie nucléaire, tant aux réacteurs classiques qu’aux SMR, les futurs petits réacteurs de petite et moyenne puissance qui auront le mérite de pouvoir être produits en grande série et rapidement, de générer très peu de déchets radioactifs et d’élargir les applications commerciales.
De surcroît, les Américains sont de plus en plus attentifs à rattraper leur retard sur la Chine pour toutes les matières premières critiques, car elles sont indispensables à la nouvelle industrie.
Les implications pour l’Europe sont importantes. Tout d’abord, les États-Unis devraient très certainement se retirer une deuxième fois des Accords de Paris sur le climat, et l’Union européenne se retrouvera plus isolée sur ce front.
Toutefois, ce cap a déjà été pris une première fois et on peut en même temps penser que, sur le terrain opérationnel et celui des investissements, il n’y ait en fait pas de si grande rupture aux États-Unis.
En outre, il conviendra de suivre en particulier l’avenir de l’Inflation Reduction Act (IRA). Le choix devrait se décider entre sa suppression ou son simple amendement pour réduire certaines subventions, car il a été incontestablement, aussi, à l’origine de nombreux investissements productifs, par exemple au Texas, stimulant également le développement des technologies nouvelles.
Un partenariat transatlantique sur l’énergie pourrait être une option positive des deux côtés de l’Atlantique, évitant une guerre commerciale insensée et porteuse de sécurité, d’innovation et de compétitivité.
Il faut d’abord tirer les leçons d’un passé récent. Le plus grand succès du partenariat énergétique UE – US est certainement l’accord stratégique sur le gaz naturel liquéfié. Cette stratégie a été lancée par la Commission européenne après l’annexion de la Crimée par la Russie, préparée ensuite avec l’administration du Président Obama, puis finalisée avec le Président Trump et l’administration républicaine.
En Europe, cette stratégie – reprise d’ailleurs aussi par le Japon – a permis de soutenir la construction de très nombreux terminaux GNL de la Baltique à la Grèce, de la France au Portugal et à l’Espagne, à l’exception de l’Allemagne qui ne privilégiait jusqu’en 2022 que la relation avec la Russie autour du projet Nord Stream 2. En parallèle, aux États-Unis, le développement de la production de GNL de la Pennsylvanie au Texas et la construction des méthaniers ont été accélérés. Cette double action a contribué largement à sauver le système énergétique européen lorsque la guerre entre la Russie et l’Ukraine a privé l’Europe de quelques 100 milliards de mètres cubes de gaz russe. Les importations américaines, qui étaient minoritaires, ont pu monter en flèche extrêmement rapidement, car les infrastructures avaient été mises en place des deux côtés de l’Atlantique : elles représentent aujourd’hui 50 % de nos importations de GNL en Europe et jouent un rôle clé pour notre sécurité d’approvisionnement en énergie.
Aujourd’hui, l’énergie est de plus en plus stratégique, tant en termes de sécurité que de compétitivité et de climat. Le besoin d’énergie va croissant compte tenu de la démographie mondiale, mais aussi des évolutions industrielles et technologiques telles que les besoins croissants d’électricité pour le digital, les data centers et l’intelligence artificielle.
En même temps, les systèmes énergétiques, tant pour la production que pour les réseaux, tout comme la modernisation de nos industries, réclament de plus en plus de matières premières critiques, qui joueront un rôle primordial dans le futur et qui représentent pour les États-Unis comme pour l’Europe un défi de sécurité, de compétitivité et d’environnement.
De la même manière, les technologies émergentes seront déterminantes : batteries, stockage, nouveaux nucléaires – SMR – déchets nucléaires, fusion, principaux composants du solaire et de l’éolien, capture du CO₂, hydrogène, réduction du méthane, carburants avancés. Cela est aussi particulièrement le cas dans des domaines tels que le nucléaire, pour lequel les États-Unis sont en avance au regard des SMR, mais où la France et l’Europe dominent encore sur le retraitement et sur les déchets. Un autre point d’attention est la fusion, en pleine progression, mais qui réclame plus de coopération, à la fois transatlantique et public-privé, et qui pourrait justifier un tel partenariat bénéfique des deux côtés.
Il pourrait en aller de même pour la vaste question des matériaux critiques, pour lesquels la position dominante chinoise ne sera rééquilibrée rapidement que par un effort concerté de l’Europe, des États-Unis et de nos partenaires respectifs en Afrique, Amérique latine et Asie.
En résumé, on ne saurait se contenter de commentaires idéologiques après les résultats de l’élection présidentielle américaine. Cela vaut aussi pour l’énergie, qui occupe une place stratégique désormais aux États-Unis comme en Europe.
Au vu de l’expérience, il m’apparaît clairement que, pour gérer cette « domination énergétique » de façon bénéfique, il faut savoir identifier là où des intérêts communs existent, car tout partenariat stratégique doit être équilibré pour être durable.
Il y aura certainement, au sein de la nouvelle administration américaine, des partisans d’une telle approche, et la partie européenne ne saurait rester en seule position défensive, mais devra analyser et intégrer également les bénéfices potentiels d’un tel partenariat transatlantique sur l’énergie.
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