Piotr BURAS
Directeur du Bureau de l’European Council on Foreign Relations à Varsovie (ECFR)
Le vif sursaut souverainiste que subit la Pologne place le pays dans une situation délicate.
Tout d’abord, la Pologne a réagi négativement aux propositions visant à assouplir l’UE : le ministre des Affaires étrangères Witold Waszczykowski estime que l’intégration flexible est « un processus voué à l’échec, favorisant divisions et clivages ». Selon lui, de telles propositions pourraient déboucher sur des solutions « hégémoniques », laissant de côté les pays qui ne seraient pas pleinement intégrés(1). Autre point, le débat sur une « Europe flexible ». La classe politique polonaise l’a abordé de façon bien moins critique. Varsovie a même soutenu que l’UE ne pouvait fonctionner sur le principe du « one size fits all »(2), et qu’au contraire, l’Union devait autoriser les États membres à s’intégrer dans la mesure qui leur convient tout en les laissant bénéficier des avantages complets de l’intégration.
Le pays défendait des mécanismes de « retrait » flexibles qui faisaient penser à une « Europe à la carte », où chacun des États membres pourrait choisir les formes de coopération répondant le mieux à ses intérêts. Mais cette solution n’a jamais été viable. En matière de politique européenne, la Pologne est confrontée à un vrai dilemme : elle souhaite bénéficier du marché unique et du fonds de cohésion, mais elle n’est pas prête à participer aux projets d’intégration qui constituent les bases mêmes de la solidarité et de la coopération. En ce qui concerne la monnaie unique, la politique migratoire, la politique de défense ou la politique sociale (domaines dans lesquels des formes de coopération renforcée entre groupes d’États membres pourraient être instaurées), le gouvernement et le peuple polonais se montrent très sceptiques, si ce n’est ouvertement contre. Si l’avenir de l’UE repose sur de telles coalitions de bonne volonté, la position de la Pologne est de moins en moins en phase avec cette orientation. Le Brexit vient en outre accentuer ce dilemme, car sans le Royaume-Uni, la capacité des pays extérieurs à la zone euro à influencer la politique communautaire d’intégration sera encore plus limitée. La position polonaise selon laquelle « l’UE doit accepter qu’elle n’est pas une Union à monnaie unique » sera difficile à défendre de manière crédible auprès des principaux États membres de la zone euro(3).
Il faudra au gouvernement de Varsovie beaucoup de courage politique pour redéfinir les intérêts nationaux du pays en concordance avec le développement de l’UE. C’est pourtant l’une des seules choses que la Pologne se doit de faire afin de s’éloigner de la position d’opposition frontale qu’elle adopte actuellement.
On ne sait toutefois pas bien si le parti conservateur au pouvoir (PiS) aura la volonté politique de changer de cap. En effet, il est difficile de dire si l’idée d’une Pologne ambitieuse et responsable, prête à faire des compromis et à prendre des décisions difficiles au sein de l’UE, recevrait l’adhésion du public. Même si près de 84 % des Polonais sont favorables à l’appartenance à l’UE, leur soutien est souvent superficiel et va rarement au-delà de l’appartenance au marché unique quand il s’agit d’appuyer l’intégration(4). En outre, la rhétorique nationale-conservatrice de PiS trouve un écho très favorable auprès d’une frange importante et politiquement active de la société(5).
La Pologne a besoin de légitimer le fait qu’elle est profondément ancrée dans une Union européenne en mutation, ce qui est impossible tant qu’elle ne respectera pas l’État de droit et ne protégera pas ses institutions démocratiques. De nouveaux projets d’intégration européenne plus ambitieux ont été proposés dans les domaines de la sécurité, des migrations et de la zone euro, mais la Pologne n’aura pas son mot à dire si elle poursuit dans la « déseuropéanisation ». La perspective d’une sortie de l’UE ne se profile pas encore à l’horizon, mais le gouvernement PiS doit se montrer prudent. S’il continue de s’éloigner de l’Europe alors que celle-ci s’engage vers un renforcement de l’intégration, c’est peut-être l’UE qui laissera son partenaire polonais derrière elle, et non l’inverse.
Cet article est extrait d’un rapport publié par le think tank ECFR (European Council on Foreign Relations) : www.ecfr.eu/ publications/summary/europe_and_its_discontents_polands_collision_course_with_the_eu_7220
1) « Witold Waszczykowski, La UE va riformata ma no all’egemonia di alcuni Paesi. Sarebbe la fine », Repubblica, 22 mars 2017
2) « Approche unique pour tous »
3) « Konrad Szymański, Polska chce uzdrowić Unię Europejską », Rzeczpospolita, 24 août 2016
4) « Polacy nie chca opuszcza΄c UE », Rzeczpospolita, 3 juillet 2017
5) Voir : Adam Balcer, Piotr Buras, Grzegorz Gromadzki, and Eugeniusz Smolar, « Polish views of the EU: The Illusion of a consensus », Stefan Batory Foundation, janvier 2017