Par Olivier Véran, Ministre des Solidarités et de la Santé
Depuis 2020, le ministère en charge des Solidarités et de la Santé est en première ligne dans la gestion de la pandémie à l’échelle européenne. Certes, la crise sanitaire a bouleversé l’agenda européen, mais l’essentiel des infrastructures qui assure aujourd’hui la sécurité sanitaire de l’Union était déjà en place, avec l’ECDC, l’EMA et le règlement sur les menaces transfrontalières graves.
Nous connaissions les concepts anciens, qui pour certains résonnent comme des antiennes, l’armée commune, la politique étrangère commune, et qui pour d’autres sont devenus des réalités concrètes au service de tous, comme c’est le cas de la monnaie unique dont nous venons de célébrer les 20 ans.
La santé fait partie de ces idéaux qui peuvent aujourd’hui prétendre se conjuguer au présent de l’Europe. A chaque suffrage européen, l’Eu-rope sociale est sur toutes les lèvres, dans tous les discours et dans bien des espoirs. Par la force des circonstances et par le poids d’une contrainte sans précédent qui s’est abattue sur tous les pays du monde, cette Europe de la santé, cette Europe sociale, devient une évidence. Il est temps pour l’Europe de faire de nécessité vertu.
Présente dans les plans des fonctionnalistes qui dessinaient les communautés économiques européennes, la santé était certainement perçue comme trop régalienne pour être partagée avec un nouvel échelon de décision. Ce sont donc les effets d’entrainement du marché unique et de la crise qui ont inscrit la santé dans les politiques communes de l’Union européenne. La crise sanitaire que nous traversons a marginalisé les postures et nous a collectivement appelé à faire le choix du nécessaire.
En forgeant sans cadre préétabli une politique d’achat commune de vaccins, de contre-me-sures, en livrant, sans préjudice des politiques vaccinales nationales, le reste du monde en vaccins, l’Union européenne a su incarner, dans le champ de la santé, la voie étroite de la plus-value européenne : efficacité, solidarité et innovation. Au cours de cette expérience, les États n’ont pas redouté l’appauvrissement inhérent à l’intervention d’un échelon supranational, ils ont collaboré et démontré combien l’action européenne peut enrichir les modes d’action au niveau national, sans que l’Europe n’ait la moindre capacité de les remettre en cause.
Cette voie étroite qui nous permettra d’approfondir la construction d’une Europe de la santé ardemment souhaitée par une très large majorité des citoyens de l’Union, s’est aussi incarnée dans les milliers d’évacuations sanitaires réussies entre de nombreux États membres. Certains diront que ce moment est l’un de ceux qui contribuent à résorber le déficit démocratique qui pèserait sur l’Union. J’estime pour ma part que cette réussite est celle de la spontanéité, de la connivence et de l’expression d’une « European Way of life » qui s’exprime parfaite-ment dans le champ de la santé. L’Europe n’a pas simplement été solidaire, elle a été fraternelle.
Préférons le Kaïros au statu quo et saisissons cette opportunité au bénéfice des citoyens de l’Union ; c’est le débat que je souhaite initier entre les États membres, la Commission et le Parlement européen pendant la Présidence française de l’Union européenne. Pour y parvenir, quelques thématiques prioritaires me paraissent particulièrement adaptées aux objectifs de cette PFUE (Puissance, Relance et Appartenance) et susceptibles de répondre simultané-ment aux besoins des États membres et aux aspirations des citoyens européens.
Il y a la sécurité sanitaire de l’Union européenne qui fait consensus, c’est le sujet dont a su s’emparer avec brio la Commission européenne grâce au paquet législatif de novembre 2020 sur la sécurité sanitaire, initiative qui a été prolongée ensuite avec le Règlement du Conseil sur HERA. Ainsi, nous disposons désormais d’un acquis fort : à l’instar du domaine économique et financier, l’Union européenne va disposer d’un vecteur de réponse aux crises qui comporte un volet conjoncturel et structurel. Cet acquis n’est certainement pas parfait et nous serons conduits, j’en suis persuadé, avec l’expérience, à le renforcer, vers davantage d’intégration, sur le modèle de l’Union économique et monétaire.
Je vois ensuite trois autres domaines d’action dans lesquels l’Union disposerait d’une légitimité forte en santé.
Le premier est celui de la santé publique ; ce sujet n’est pas neuf, l’Union s’est dotée d’un programme en santé EU4Health considérable-ment renforcé. Pour autant, est-il dimensionné aux enjeux communs que nous devrons affronter, comme le vieillissement démographique qui pèse l’ensemble des États membres ? Surtout, s’il s’agit de répondre à la demande des citoyens de l’Union qui classent en 3ème position la santé parmi les éléments qui seraient les plus utiles pour l’avenir de l’Europe, il nous revient d’identifier les problématiques de santé publique pour lesquelles l’échelon européen serait pertinent.
De ce point de vue, bien que bénéficiant déjà d’interventions de l’Union européenne, les maladies non transmissibles constituent de mon point de vue un sujet clef : les maladies rares, le cancer, les maladies chroniques rares, la lutte contre la résistance antimicrobienne, la santé mentale, pourraient bénéficier d’une intervention accrue à l’échelle de l’UE, seul niveau de taille critique pour les financements à hauts risques sans garantie de retour sur investissements. Un plus fort engagement de l’UE dans le champ des maladies non transmissibles nous amène mécaniquement à envisager la question de la prise en charge de la prévention, parent pauvre des systèmes de soins nationaux et domaine où l’effet de complémentarité avec l’Union est évident.
Le deuxième domaine d’action a trait avec la manière dont nous traitons la santé publique par rapport aux autres politiques de l’Union. La multiplication ces dernières années de plans relatifs à des enjeux de santé publique dans l’Union reflète finalement l’intérêt grandissant des États membres et des institutions européennes à travailler ensemble pour créer une Union de la santé publique.
En effet, au-delà de ces expériences passées « verticales », car thématisées, et des réponses que l’Union a déjà apportées, des gains collectifs significatifs pourraient être générés en envisageant ensemble une perspective plus globale et de plus long terme. Cela suppose aussi de veiller à ce que les autres politiques de l’Union, en premier lieu, celles du marché intérieur, ne génèrent pas d’effets nocifs sur la santé. Pour ce faire, je suis persuadé que nous aurons à reconsidérer la manière dont nous évaluons l’impact de ces politiques sur la santé de nos concitoyens.
En définitive, il me semble qu’un pilier « santé publique de l’Union de la santé » générerait plus d’efficacité, tout en renforçant l’appartenance à l’Union.
Enfin, le troisième sujet privilégié concerne les dimensions internationales de l’Union de la santé. Il s’agit là de la face externe de l’Union de la santé, qui doit être cohérente avec la boussole stratégique de l’UE. Je pense que la santé mondiale pourrait bénéficier d’une Union européenne jouant toute sa mesure et portant une ambition forte au sein du système multilatéral en santé. La position centrale de notre Union, pour nous tous financeurs des biens publics mondiaux dans ce domaine, invite ainsi à renforcer la cohérence et l’impact des outils de coordination et de coopération de son action extérieure. C’est dans un esprit de solidarité, avec une vision lisible et une voix unie, que nous pourrions contribuer à l’atteinte des objectifs du développement durable (ODD).